L'aspirine a été pendant plus de trente ans l'antiplaquettaire de référence pour les maladies vasculaires. Au début de l'année 2000, trois autres agents seront disponibles en clinique. Le premier est le dipyridamole, utilisé maintenant à des doses plus élevées et sous une forme galénique nouvelle. En association avec l'aspirine, il a montré, dans la prévention secondaire des accidents cérébraux, une efficacité supérieure à l'administration d'aspirine seule. Le clopidogrel est le second agent qui s'est avéré, dans une grande étude multicentrique, un peu plus efficace que l'aspirine dans la prévention secondaire de la cardiopathie ischémique et des artériopathies carotidiennes et périphériques. Enfin, il y a les antagonistes de la GPIIb/IIIa, une glycoprotéine plaquettaire. Par voie intraveineuse, ces anti-GPIIb/IIIa ont montré leur efficacité dans les angioplasties coronaires et dans les syndromes ischémiques sans infarctus transmural.
Le rôle capital des antiplaquettaires dans la cardiopathie ischémique et l'artériopathie carotidienne et périphérique est connu de longue date. En raison de son coût peu élevé et de sa relative bonne tolérance, l'aspirine était jusqu'il y a peu l'agent antiplaquettaire de référence. Toutefois, les recherches et les études cliniques récentes ont montré l'intérêt de nouveaux antiplaquettaires tels que le dipyridamole, le clopidogrel et les antagonistes de la GPIIb/IIIa. Nous nous proposons, après un court rappel des mécanismes d'activation plaquettaire, de décrire ces substances et de voir leurs applications cliniques.
Dans l'athérosclérose, la rupture de la plaque favorise l'adhésion, l'activation et l'agrégation plaquettaires. L'activation plaquettaire est initiée par de nombreux
agonistes, dont les principaux sont indiqués dans la figure 1. Certaines substances bloquent ces sites d'activation, comme par exemple le clopidogrel.
L'activation de la plaquette aboutit à un changement de la conformation d'une glycoprotéine de membrane, la GPIIb/IIIa, qui lui permet alors de se lier à des protéines comme le facteur de von Willebrand ou le fibrinogène. Les plaquettes seront alors capables d'agréger, le fibrinogène faisant un pont entre deux plaquettes.
Comme le montre la figure 1, ce changement de conformation de la GPIIb/IIIa est en fait l'étape terminale et commune de l'activation plaquettaire, quelle que soit la voie d'activation. Certaines substances (anticorps, peptides de synthèse) sont capables de bloquer la GPIIb/IIIa, et ainsi d'empêcher l'agrégation plaquettaire.
Il s'agit d'un dérivé des pyrimidopyrimidines qui possède des propriétés vasodilatatrices et antiplaquettaires. Son mécanisme d'action demeure peu clair et de multiples hypothèses ont été émises à ce sujet.1 Le mécanisme principal serait une inhibition des phosphodiestérases cycliques avec accumulation intraplaquettaire de cAMP et diminution du 5' AMP, ce qui inhiberait indirectement l'agrégation plaquettaire.
L'utilité et l'efficacité du dipyridamole dans des situations aussi variées que la prévention secondaire de l'infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux (AVC), le maintien de la perméabilité des pontages coronaires et la prévention secondaire de l'artériopathie périphérique ont été fortement discutées et remises en doute, à tel point que certains consensus au milieu des années 80 en déconseillaient la prescription.1 Une étude récente, appelée ESPS 2,2 a remis le dipyridamole sur le devant de la scène. Cette étude incluait quatre groupes de patients (au total 6602 patients) ayant présenté un accident ischémique transitoire ou un AVC. Un groupe était traité avec un placebo, un avec de l'aspirine (2 x 25 mg/jour), un avec du dipyridamole (2 x 200 mg/jour) et un avec de l'aspirine (2 x 25 mg/jour) et du dipyridamole (2 x 200 mg/jour). Les événements analysés étaient l'AVC, le décès, ou encore le décès et/ou l'AVC.
Le dipyridamole était utilisé à des doses plus élevées que lors des études antérieures et la galénique a été modifiée pour obtenir une meilleure biodisponibilité. Les résultats de l'étude ont montré que le risque d'AVC était réduit de 18% avec l'aspirine par rapport au placebo (p = 0,01), de 16% avec le dipyridamole seul (p = 0,03) et de 37% avec la combinaison aspirine et dipyridamole (p < 0,001). Le risque de décès ou d'AVC était réduit de 13 % avec l'aspirine seule (p = 0,01), de 15% avec le dipyridamole seul (p = 0,015) et de 24% avec la combinaison aspirine-dipyridamole (p < 0,001). Le traitement n'avait pas d'effet significatif sur la mortalité.
Bien qu'il ne s'agisse que d'une seule étude et que les posologies d'aspirine employées soient discutables, l'association aspirine-dipyridamole est considérée maintenant comme un traitement de choix en cas d'AVC. Il faut cependant mentionner le coût nettement plus élevé de ce traitement par rapport à une prévention secondaire par aspirine seule ainsi que la fréquence des céphalées qui lui est associée. Il serait souhaitable de disposer d'autres études cliniques pour définir la place exacte de cette association pour prévenir la récidive d'AVC. Des études coût-efficacité des différentes stratégies thérapeuti-ques sont également souhaitables. Le tableau 1 résume quelques points découlant de l'étude ESPS 2.
Il s'agit d'une thienopyrimidine qui inhibe de façon irréversible les récepteurs à l'ADP de la surface plaquettaire, inhibant ainsi partiellement l'agrégation plaquettaire. L'efficacité du clopidogrel et de l'aspirine dans la prévention secondaire des maladies vasculaires coronariennes, carotidiennes et périphériques a été comparée dans une étude randomisée en double-aveugle et multicentrique.4 Au cours de cette étude, intitulée CAPRIE, 19 185 patients ont reçu soit du clopidogrel (75 mg/jour), soit de l'aspirine (325 mg/j). Le suivi moyen était d'environ deux ans. Les événements primaires étaient la récidive d'AVC (fatal ou non), d'infarctus du myocarde ou toute cause de décès d'origine vasculaire.
Dans le groupe clopidogrel, on retrouvait 939 événements contre 1021 dans le groupe aspirine. Les patients qui recevaient le clopidogrel (n = 9599) avaient un risque annuel de récidive d'événement ischémique de 5,3% contre 5,8% chez les patients qui recevaient de l'aspirine (n = 9586). Ceci équivaut à une réduction du risque relatif de 8,7% en faveur du clopidogrel (p = 0,043). D'après ces données, le clopidogrel préviendrait 24 événements cliniques majeurs/année pour 1000 patients traités, contre 19 pour 1000 patients traités par aspirine. Le risque global de décès n'était pas différent dans les deux groupes (3,05% contre 3,11% par année).
En ce qui concerne les effets indésirables, la fréquence des rashs cutanés et des diarrhées a été plus élevée dans le groupe clopidogrel que dans le groupe aspirine (p respectifs = 0,017 et 0,08). Les troubles gastro-duodénaux (nausées, vomissements) étaient plus fréquents dans le groupe aspirine (p = 0,096), ainsi que les hémorragies digestives (p = 0,05). Du point de vue hématologique, des thrombopénies inférieures à 100 G/L ont été constatées à des taux similaires dans les deux groupes (0,26%). Il y a eu respectivement 10 (0,10%) et 16 (0,17%) cas de neutropénies dans les groupes clopidogrel et aspirine. Le tableau 2 résume les points essentiels de l'étude CAPRIE.
L'aspirine, le dipyridamole et le clopidogrel inhibent de façon partielle la fonction plaquettaire. Plusieurs molécules (tableau 3) ont été développées pour inhiber plus efficacement l'agrégation, ceci en bloquant directement le récepteur de la plaquette (la glycoprotéine IIb/IIIa) permettant l'agrégation plaquettaire.
Les antagonistes de la GPIIb/IIIa ont été étudiés dans trois situations principales : a) l'angioplastie coronaire ; b) l'angor instable et l'infarctus non transmural du myocarde et c) l'infarctus du myocarde, en association à la fibrinolyse. La plupart des études effectuées (tableau 4) avec les anti-GPIIb/IIIa sont de grandes études multicentriques, randomisées et en double-aveugle.
L'étude EPIC5 a été la première étude randomisée en double aveugle qui a montré l'intérêt des antagonistes de la GPIIb/IIIa chez des patients devant bénéficier d'une angioplastie coronaire élective mais considérés à haut risque sur la base de la clinique (angor instable réfractaire au traitement, angor instable avec progression vers une nécrose myocardique) et sur la base de critères angiographiques. Tous les patients étaient traités par aspirine et héparine et étaient randomisés dans les bras suivants : a) bolus et perfusion de placebo ; b) bolus d'abciximab et perfusion de placebo et c) bolus et perfusion d'abciximab. Les événements analysés étaient le décès, l'infarctus du myocarde ainsi que la nécessité d'un geste invasif non planifié. Une diminution de 35% des événements primaires a été constatée dans le bras bolus et perfusion d'abciximab par rapport au placebo (12,8% contre 8,3%, p = 0,008). Le bénéfice du traitement par abciximab persistait à six mois avec une réduction significative de 23% d'événements ischémiques ou d'une nécessité d'une nouvelle revascularisation.5 Les études RAPPORT et RESTORE montrent également des résultats favorables.
Deux autres études, CAPTURE6 et EPISTENT,7ont également montré l'efficacité de l'abciximab dans les angioplasties électives avec nécessité de placer un stent.
Quatre études principales ont évalué l'effet des antagonistes de la GPIIb/IIIa dans l'angor instable et les infarctus non transmuraux (tableau 4).
La dernière étude disponible, appelée PURSUIT,8est la principale par le nombre de patients randomisés. En effet, presque 11 000 patients présentant des douleurs angineuses, des dépressions ou une surélévation transitoire du segment ST, des inversions de l'onde T ou une élévation des enzymes myocardiques ont été inclus dans l'étude qui avait pour objectif de comparer l'eptifibatide au placebo. Les patients qui recevaient l'eptifibatide présentaient une réduction de 16,6% du risque de décès ou d'infarctus non fatal à 96 heures et une réduction de 12,9% à sept jours. A trente jours, l'étude montrait une réduction du risque absolu de 1,5% de décès et d'infarctus du myocarde chez le groupe eptifibatide par rapport au groupe placebo (15,7% contre 14,2%, p = 0,04). L'importance du collectif de cette étude, l'inclusion de patients présentant tout le spectre des syndromes ischémiques avec notamment des anomalies électrocardiographi-ques plus marquées que dans les études antérieures et la participation d'un très grand nombre de centres font que les résultats positifs constatés dans PURSUIT apportent des arguments importants pour traiter avec des anti-GPIIb/IIIa la plupart des patients présentant un syndrome coronaire aigu sans infarctus transmural.
Quelques études pilotes comme TAMI-89 ou Impact-AMI10ont été effectuées chez des patients présentant un infarctus du myocarde et ayant bénéficié d'une lyse. Ces premières études montrent un effet favorable de reperméabilisation coronarienne. Toutefois, le faible nombre de patients inclus (respectivement 70 et 180) indique que des études à plus large échelle sont nécessaires.
Le tableau 5 résume quelques points importants des études avec les anti-GPIIb/IIIa. Nous aimerions encore discuter trois au-tres points : les complications hémorragiques, l'utilisation des anti-GPIIb/IIIa par voie orale et le problème de la sélection des patients devant bénéficier d'anti-GPIIb/IIIa.
Bien que le taux d'événements hémorragiques soit plus élevé chez les patients traités par anti-GPIIb/IIIa, l'incidence des saignements majeurs, définis selon TIMI,15 est relativement basse. Cette augmentation du risque est acceptable et est très proche du risque relié à d'autres thérapies reconnues,18 mais cela implique un contrôle et un suivi soigneux des patients (héparinisation prudente en visant des ACT entre 200-300 sec).19 Le problème des hémorragies cérébrales demeure présent mais est heureusement peu fréquent (0,19% des patients traités par abciximab).
Les patients avec une cardiopathie ischémique symptomatique présentent un taux de récidive élevé.7,20 L'utilisation d'un antagoniste oral de la GPIIb/IIIa dans ce contexte est séduisante. Plusieurs inhibiteurs oraux de la GPIIb/IIIa ont été développés et sont actuellement à l'étude dans des essais cliniques. Les résultats préliminaires soulèvent d'importantes questions quant à l'efficacité et la sécurité de ces agents.21 L'arrêt prématuré de l'étude OPUS,22 qui a montré un bénéfice mineur des anti-GPIIb/IIIa oraux dans la mortalité à trente jours mais un excès de mortalité précoce dans un des groupes, a ravivé les incertitudes planant pour l'instant sur les anti-GPIIb/IIIa oraux. De plus, la durée du traitement par les anti-GPIIb/IIIa ainsi que la nécessité d'un contrôle sanguin ne sont pas encore con-nus de même que le risque hémorragique d'une association avec l'aspirine ou le clopidogrel. Il est donc encore trop tôt pour se prononcer sur l'utilisation des anti-GPIIb/IIIa oraux en clinique.
Le coût des anti-GPIIb/IIIa reste une limite à leur utilisation généralisée (en Suisse, l'ampoule d'abciximab de 10 mg, insuffisante pour un traitement complet, coûte FS 665.). Il serait souhaitable de définir quels sont les patients à haut risque qui doivent bénéficier de ces traitements. Certains ont proposé de traiter les patients cliniquement instables, ceux en cours d'infarctus du myocarde et les diabétiques. D'autres suggèrent que des taux de troponine élevés sont un marqueur de risque à court et à long terme et que ces patients devraient bénéficier d'un traitement par anti-GPIIb/IIIa. Il a été par contre montré que le bénéfice du traitement par anti-GPIIb/IIIa était indépendant de la morphologie des lésions coronariennes. On constate donc que le traitement par anti-GPIIb/IIIa ne peut être systématiquement utilisé chez tous les patients et que la sélection des patients à risque, qui doit encore être affinée dans les études à venir, va prendre une place capitale dans le choix thérapeutique.
Basés en grande partie sur une meilleure compréhension des mécanismes induisant l'agrégation plaquettaire, de très nombreux agents antiplaquettaires ont vu le jour ces dernières années. Certains se sont imposés en clinique et le quasi-monopole de l'aspirine comme agent antiplaquettaire est révolu. De nombreux autres concurrents sont en phase clinique, mais il leur faudra démontrer un rapport coût-efficacité supérieur à celui de l'aspirine.