L'année 1999 a vu la parution de plusieurs travaux majeurs qui définissent ce qu'on peut attendre des corticostéroïdes dans la broncho-pneumopathie obstructive chronique. Ces études s'intéressent aux exacerbations de cette maladie aussi bien qu'au traitement au long cours par inhalation. L'année qui s'écoule a également vu l'American Thora-cic Society prendre position sur la réhabilitation respiratoire. Celle-ci survient après que de nombreux travaux récents aient permis de fixer le cadre de cette nouvelle approche thérapeutique.
La broncho-pneumopathie obstructive chronique (BPCO) est une maladie caractérisée par un syndrome obstructif permanent, peu ou pas réversible, causé dans plus de 90% des cas par le tabagisme. L'asthme est donc une entité clairement différente de la BPCO, même si certains asthmatiques peuvent développer une obstruction irréversible avec les années rendant la distinction clinique entre les deux maladies quelquefois difficile. Du point de vue du pathologue, la BPCO est un mélange d'emphysème et de bronchite chronique obstructive. Sa pathogenèse est de nature inflammatoire et il n'est donc pas étonnant que l'on ait tenté depuis longtemps de la traiter par les corticostéroïdes. Curieusement, jusqu'à tout dernièrement, il n'y a pas eu un grand nombre d'articles originaux sur la question. Toutefois, l'année 1999 a vu la publication de plusieurs travaux majeurs sur l'usage des corticostéroïdes par voie générale dans l'exacerbation de la BPCO et par voie d'inhalation dans le traitement au long cours. Une revue de ce sujet paraît tout à fait d'actualité.
Ces exacerbations sont une cause fréquente d'hospitalisation. Il est intéressant de noter qu'on trouve trente fois plus d'éosinophiles dans la muqueuse bronchique des BPCO en phase d'exacerbation que dans les conditions de base.1 Le recrutement de ces éosinophiles relève probablement de mécanismes tout à fait différents de ceux de l'asthme.
Deux travaux anciens avaient étudié l'effet d'une courte administration de corticostéroïdes par voie générale lors d'exacerbation de BPCO nécessitant une hospitalisation. L'un des travaux concluait à une amélioration plus rapide de la spirométrie dans le groupe traité, alors que le deuxième travail, qui n'administrait qu'une seule dose de prednisolone, ne trouvait pas de différence. Aujourd'hui, le bénéfice des corticostéroïdes dans cette indication est bien confirmé grâce à trois nouvelles études récentes.2,3,4
Le travail de Davies et coll., publié en été 1999 dans le Lancet, porte sur cinquante BPCO admis à l'hôpital pour exacerbation.2 La moitié d'entre eux recevaient 30 mg/jour de prednisolone pendant quatorze jours, alors que l'autre moitié était mise sous placebo. L'amélioration du VEMS était significativement plus rapide dans le groupe traité (90 ml/jour vs 30 ml/jour) et l'hospitalisation plus courte (7 jours vs 9 jours). Pour le reste, les deux groupes ne différaient pas quant à leur évolution à six semaines. Un travail assez semblable a été publié en 1996 à propos de 27 patients avec exacerbation, mais ne nécessitant pas d'hospitalisation.4 Le premier groupe d'entre eux recevait neuf jours de prednisolone et réussissait à ne pas être hospitalisé pendant les deux semaines suivantes. A l'inverse, la moitié de ceux du deu-xième groupe, qui recevait un placebo, devait soit être hospitalisée, soit quitter l'étude et recevoir des corticostéroïdes pour ne pas l'être. Il faut souligner que ces deux travaux administraient aux patients une dose modérée de prednisone (environ 1/2 mg/kg) pendant une durée courte (10 à
14 jours).
Une troisième étude sur le même sujet, publiée en 1999,3est un peu particulière puisqu'elle administre aux patients des doses énormes de prednisolone (500 mg/jour) pendant les trois premiers jours, suivies d'une diminution rapide et d'un arrêt complet en deux ou huit semaines. Un groupe contrôle était mis sous placebo. Les échecs de traitement étaient plus fréquents dans le groupe placebo par rapport aux deux autres. En revanche, il n'y avait aucun avantage à traiter les patients pendant huit semaines de corticostéroïdes, plutôt que pendant deux semaines. L'étu-de présente l'intérêt d'un suivi prolongé qui mon-tre qu'à six mois le groupe placebo ne se distingue plus du groupe traité. Comme dans les études précédentes, les corticostéroïdes apparaissent donc utiles pour mieux passer le cap de l'exacerbation, mais ne modifient pas à terme le pronostic du patient. Enfin, en mettant ensemble les résultats de ces trois études, rien ne justifie l'usage de doses supérieures à 1/2 mg/kg et la prolongation du traitement au-delà de deux semaines. Les effets désastreux d'un traitement prolongé de corticostéroïdes par voie générale sont bien connus et il faut relever que même sur une courte durée, l'apparition d'un diabète était une observation fréquente dans les groupes traités de ces trois études par rapport aux groupes placebo.
Le «test aux stéroïdes» consiste à administrer 35-40 mg/jour de prednisone pendant deux semaines au patient souffrant de BPCO en état parfaitement stable, afin de déterminer s'il présente une composante réversible. Une méta-analyse portant sur une dizaine de travaux5 a montré que si les patients sont bien sélectionnés sur la base de l'anamnèse, afin d'exclure les asthmatiques, seuls 10% environ des BPCO présentent un test aux stéroïdes positif (augmentation de 20% au moins du VEMS). L'intérêt de ce test est donc relativement limité au vu de la faible proportion de patients susceptibles d'en bénéficier. Il est certainement à considérer lorsqu'un doute diagnostique persiste entre asthme et BPCO chez un patient donné. Une autre indication est posée avant une intervention chirurgicale élective et lorsque la sévérité du syndrome obstructif représente un facteur de risque que l'on voudrait atténuer. En revanche, il n'a jamais été possible d'établir formellement que ce test permette de déterminer systématiquement quels patients BPCO sont susceptibles de bénéficier au long cours de corticostéroïdes en inhalation. Une tentative récente faite sur une quarantaine de patients danois s'est soldée par un échec : seuls deux patients sur quarante ont présenté un test à la prednisone positif et un seul des deux a accepté ensuite de prendre des corticostéroïdes inhalés pendant six mois.6En conclusion, une bonne anamnèse devrait permettre de choisir, parmi les patients porteurs de BPCO, ceux qui pourraient éventuellement bénéficier d'un test aux stéroïdes.
Au vu des effets délétères des corticostéroïdes administrés par voie systémique, l'apparition de la forme inhalée a créé pour les patients BPCO l'espoir qu'un effet bénéfique pourrait être observé par analogie avec ce qui s'est produit dans l'asthme. Malheureusement, cet espoir est en bonne partie déçu aujourd'hui. Une importante étude (EUROSCOP) a été publiée en 1999 par le New England Journal of Medicine.7 Plus de 900 patients BPCO de sévérité légère (VEMS moyen à 77% du prédit), fumeurs actifs, mais présentant une bonne observance médicamenteuse, ont été randomisés en un groupe recevant 2 x 400 µg de budésonide par jour versus un groupe placebo. Le suivi a duré trois ans. De manière intéressante, le VEMS a montré une stabilisation dans le groupe budésonide pendant les six premiers mois alors qu'il déclinait régulièrement dans le groupe placebo. A partir de neuf mois et jusqu'à trois ans, cependant, le déclin du VEMS est apparu le même dans les deux groupes (environ -60 ml/an en moyenne).
Dans la Copenhagen Lung Study, qui portait également sur 290 BPCO légers, traités par budésonide ou placebo pendant trois ans, aucune différence dans le déclin du VEMS n'a non plus été observée entre les deux groupes.8 Finalement, une troisième grande étude (ISOLDE) a comparé la fluticasone 2 x 500 µg/j versus placebo chez des patients dont le VEMS était nettement plus atteint que dans les deux autres travaux (VEMS à 50% du prédit). Le groupe traité a bénéficié
ici d'un taux d'exacerbation plus bas et d'une meilleure qualité de vie que le groupe de contrôle. Cette étude, toutefois, n'a pas encore été publiée en détail.9
En résumé, on peut dire que les corticostéroïdes inhalés au long cours dans la BPCO ne représentent pas le médicament miracle que l'on aurait pu souhaiter. Ils représentent au mieux un médicament d'appoint chez les sujets qui présentent déjà un syndrome obstructif modéré à sévère. En revanche, ils ne semblent pas freiner de manière durable le processus inflammatoire induit par le tabagisme au début de la maladie. En ceci, une fois encore, la BPCO se distingue fondamentalement de l'asthme.
La réhabilitation respiratoire est la seconde acquisition thérapeutique de l'année que nous considérerons. Ce choix est volontairement paradoxal car cette approche thérapeutique n'est pas nouvelle. La réhabilitation respiratoire mérite d'être citée ici au vu des recommandations officielles récemment publiées par trois sociétés scientifiques majeures : European Respiratory Society,10 American College of Chest Physicians11 et American Thoracic Society.12 Ces trois sociétés reconnaissent l'utilité de la réhabilitation respiratoire en tant que programme thérapeutique multidisciplinaire visant à faire recouvrer la plus grande autonomie et la meilleure qualité de vie possible aux patients insuffisants respiratoires chroniques.
Plusieurs raisons expliquent cette légitimation de la réhabilitation respiratoire par les cénacles scientifiques. En premier lieu, plusieurs études contrôles ont été publiées dans les dernières années13,14,15 et une évaluation critique de la question est parue sous la forme d'une méta-analyse.16 Il ressort de ces études que la réhabilitation respiratoire a un effet bénéfique sur trois points majeurs chez les patients atteints de broncho-pneumopathie obstructive chronique (BPCO) : elle atténue la dyspnée, augmente la capacité d'effort et améliore la qualité de vie. Il est remarquable que ce bénéfice survienne sans changement de la fonction pulmonaire elle-même, dans un contexte de lésions pulmonaires largement irréversibles. Cette observation justifie l'usage du terme «réhabilitation respiratoire» plutôt que «pulmonaire», les points d'impact relevant plus du mode respiratoire et de la capacité oxydative musculaire que du poumon. Par ail-leurs, plusieurs publications ont rapporté une diminution du nombre de journées d'hospitalisation à la suite d'un programme de réhabilitation. Il s'agit là bien sûr d'un argument majeur en faveur de ce traitement, et qui est généralement admis bien qu'il n'ait pas fait l'objet d'une étude contrôlée randomisée. Un effet favorable sur la survie n'a pas été formellement mis en évidence. On sait cependant que le sevrage tabagique, l'oxygénothérapie au long cours et l'assistance ventilatoire au long cours peuvent prolonger la survie. Or un programme de réhabilitation respiratoire représente un cadre favorable pour instituer ces mesures lorsque l'indication est posée.
Au-delà de l'effet global de la réhabilitation, la contribution des différents éléments d'un programme a été évaluée. Ainsi, l'utilité du réentraînement à l'exercice est maintenant incontestée. Il s'effectue selon diverses modalités, souvent associées : cycloergomètre, tapis roulant, stepper, escalier, marche à l'extérieur. Au terme d'un programme, la capacité d'effort maximale est augmentée de l'ordre de 10%. Ce bénéfice peut paraître faible, mais il faut réaliser que les patients n'utilisent que très rarement leur capacité d'effort maximale dans la vie courante. Plus pertinente est l'augmentation d'endurance qui est typiquement plus importante. Les mécanismes sous-tendant cette amélioration sont également mieux compris. On sait maintenant que les patients sont happés dans un cercle vicieux : dyspnée Æ sédentarité Æ déconditionnement physique Æ dyspnée accrue. Le substrat biologique en est une diminution des enzymes oxydatifs musculaires, qui est corrigée par le réentraînement physique.17,18 Après un programme de réhabilitation, on note une élévation plus faible du lactate sanguin et de la ventilation pour un niveau d'effort donné, ce qui explique bien la diminution de la dyspnée.19 Il est remarquable qu'une diminution de la dyspnée survienne également chez des patients si sévèrement atteints qu'ils ne peuvent plus fournir un effort suffisant pour atteindre un réel entraînement musculaire. On suppose que d'autres facteurs interviennent, tels qu'une amélioration de la coordination du mouvement ou une désensibilisation à la dyspnée. Les patients atteints de BPCO sont souvent très dyspnéiques lorsqu'ils utilisent leurs membres supérieurs pour se coiffer, se doucher ou déplacer des objets. L'entraînement spécifique des muscles des membres supérieurs permet d'atténuer ce symptôme. Par contre, l'entraînement des muscles respiratoires n'est généralement pas recommandé car il est pénible et n'est pas d'une utilité prouvée. De même, la technique de respiration abdomino-diaphragmatique, censée restituer un fonctionnement plus normal dans la BPCO, n'est plus recommandée car elle peut accentuer le travail respiratoire déjà élevé de ces patients.10,12
Quelles sont les composantes principales d'un programme de réhabilitation respiratoire ? C'est bien sûr le réentraînement physique, pour les raisons déjà mentionnées. C'est également l'enseignement thérapeutique, ou éducation du patient, dont l'utilité est largement admise bien qu'il ait été moins étudié. L'enseignement vise à faire acquérir au patient une compréhension de la maladie et du traitement, et surtout une capacité d'agir adaptée à sa situation individuelle. Les points essentiels sont le renoncement au tabac, la maîtrise des techniques d'inhalation, et l'apprentissage de stratégies de contrôle de la dyspnée. Dans certains cas, ce sera l'apprentissage d'une technique d'oxygénothérapie au long cours ou d'assistance ventilatoire. Souvent, l'objectif n'est rien moins qu'un changement radical de mode de vie, comprenant l'arrêt du tabac et la reprise d'un exercice physique, qui doit être poursuivi à long terme. Dans cette perspective, un soutien psychologique est souvent nécessaire car un état dépressif est fréquent chez ces patients.
Quelles sont les indications de la réhabilitation respiratoire ? Elle s'applique potentiellement à tout patient restant handicapé par une affection respiratoire chronique malgré un traitement adéquat, sans limitation d'âge. Par contre, les contre-indications sont le manque de motivation ou la présence d'une affection susceptible d'interférer avec la réhabilitation : cardiopathie grave, arthropathie handicapante, néoplasie avancée. Le type de programme est choisi selon plusieurs facteurs. Un séjour de réhabilitation, par exem-ple de trois semaines, est indiqué pour les patients gravement atteints ou dont le domicile est éloigné. Ce cadre, qui permet un programme intensif, est également particulièrement indiqué lorsque plusieurs objectifs sont fixés visant à un réel changement de mode de vie. Un programme ambulatoire de réhabilitation convient mieux aux patients professionnellement actifs, mais est également utile comme renforcement à la suite d'un séjour de réhabilitation.
En conclusion, la réhabilitation respiratoire a passé avec succès le test de l'évaluation scientifique. Cette nouvelle est réjouissante car elle signifie que la résignation n'est plus de mise pour l'insuffisant respiratoire chronique et son médecin.