La psychogériatrie est paradoxalement une discipline jeune, maiselle ne suscite que rarement l'enthousiasme chez les jeunes en formation. Cependant, en raison du défi que représente pour notre société le vieillissement de la population, il est indispensable à terme, d'en maîtriser les enjeux, et donc essentiel de la rendre plus attrayante et dynamique. L'aborder par l'interdisciplinarité devraitcontribuer à l'enrichir, à lui donner une spécificité et à l'inclure dans le champ des connaissances de pointe. En effet, quelle que soit sa pathologie, le patient psychogériatrique est un être humain avec une histoire de vie, qui entretient des relations avec l'environnement, subit des influences et donne des réponses cognitives, affectives et comportementales. Plasticité est le maître mot caractérisant cette évolution ; il désigne la capacité d'un système quelconque à s'adapter au changement par des modifications structurales et fonctionnelles. Ce terme n'est pas dépourvu d'ambiguïté, car des phénomènes de plasticité apparaissent à chaque niveau d'organisation, depuis les niveaux sub-cellulaires et cellulaires jusqu'aux répon-ses comportementales. Mais justement, c'est cette ambiguïté qui lui permet d'accéder aux règles de transformation d'un niveau à un autre et donc à l'interdisciplinarité. Ainsi, plusieurs stratégies convergentes deviennent nécessaires pour accéder à l'histoire du patient. L'examen clinique traditionnel doit être intégré dans une approche plus globale tenant compte, d'une part, de l'apport des sciences humaines, et d'autre part, de celui des neurosciences fondamentales et cognitives.L'apport des neurosciences est récent mais pourrait bouleverser la définition même de certaines affections mentales de l'âge avancé, avant d'influencer la prise en charge et la décision thérapeutique. Le vieillissement cérébral, qui débute insidieusement à par-tir de la cinquième décennie, représente une longue période d'interface entre lesfacteurs héréditaires et les influences du milieu environnant. Il constitue l'un des facteurs de risque principaux pour la plupart des démences et notamment pour la maladie d'Alzheimer, qui n'incarne pourtant pas la finalité ultime de la sénescence, puisque de nombreux centenaires semblent en être épargnés. A l'heure actuelle, se dessine un continuum clinique et pathologique entre les différentes formes de démence ; les mécanismes sous-jacents particulièrement ceux de la cascade pathologique aboutissant à la mort neuronale et à la perte des réseaux de connexions révèlent une complexité extraordinaire, néanmoins accessible grâce aux outils performants de la neuro-imagerie, de la neuro-anatomie, de la neurochimie et de la neurogénétique. Intervenir dans cette cascade sera un jour possible, des marqueurs diagnostiques et de nouveaux moyens thérapeutiques sont à l'étude. Les troubles affectifs, principalement dépressifs, sont aussi fréquents chez le sujet âgé qui souvent, doit faire le deuil de ses proches comme de ses représentations symboliques et se trouve, de ce fait, très exposé au suicide. Le vieillissement cérébral peut là aussi représenter un facteur de risque supplémentaire lorsque l'équilibre biologique se fragilise. Les nouvelles molécules thérapeutiques ciblant le système sérotoninergique sont plus efficaces que les substances cholinergiques utilisées dans les démences débutantes. Mais les relations entre dépression et démence sont loin d'être claires et les problèmes cognitifs qui les caractérisent mettent peut-être en cause des circuits cérébraux semblables, particulièrement vulnérables au processus de sénescence.Certains pensent que lesexplications trop scientifiques mettent le patient et ses souffrances à l'écart pour ne s'intéresser qu'à la maladie. C'est méconnaître leur pouvoir heuristique et leur capacité d'intégration. Aucune interprétation neurobiologique ne saurait être dissociée des mécanismes émergents de la pensée et de l'affect, ni ne remplacera jamais le contact avec la personne souffrante. Et là aussi, l'interdisciplinarité joue un rôle primordial. Le praticien ne peut que s'entourer de tous les professionnels du vieillissement pour le bien du patient. Ces derniers ont en main un savoir et des techniques irremplaçables. L'intégration ou la réintégration harmonieuse du corps, la prise en compte des besoins psychologiques, spirituels et sociaux ne peuvent se passer des spécialistes. Tous ont à mettre en commun non seulement leurs connaissances, mais aussi leurs pratiques.Nos sociétés développées sont des sociétés vieillissantes et les pays en développement connaîtront bientôt le même phénomène. En Suisse, le rapport de l'Office fédéral de la statistique prévoit qu'en 2035 environ, une personne sur dix aura plus de 65 ans et une sur quatre plus de 80 ans. Dès lors, il faut envisager des structures adaptées, rechercher des modèles de soins et d'accueil répondant aux désirs des intéressés et de leurs accompagnants, réfléchir à une éthique globale transcendant les générations. Pour cela aussi, il faut des compétences. La psychogériatrie est une discipline d'avenir, à la fois spécifique et générale. Certains préfèrent parler de psychiatrie de la personne âgée ; mais là n'est pas l'enjeu. L'heure n'est pas à la délimitation stricte des champs d'action et de pouvoir, l'heure est au partage des connaissances et des savoir-faire, l'avenir de la personne âgée est à ce prix.