L'atteinte rénale est un facteur de mauvais pronostic dans le lupus érythémateux disséminé. Les mécanismes pathogéniques impliqués sont complexes, avec interaction d'anticorps, de cellules inflammatoires et de cyto-kines. L'étude histologique de la néphrite lupique permet d'adapter le traitement et ainsi d'améliorer le pronostic, préservant les patients d'une insuffisance rénale à long terme. Les stéroïdes sont toujours la base du traitement immunosuppresseur, mais les cytotoxiques, et surtout le cyclophosphamide, se sont imposés comme traitement incontournable de la glomérulonéphrite proliférative.
La néphropathie lupique (NL) est une complication fréquente du lupus érythémateux disséminé (LED) : 30 à 50% des patients souffrent d'emblée d'une atteinte rénale, et le suivi montre que 60% des adultes et 80% des enfants présenteront tôt ou tard une telle atteinte. Les patients de race noire sont plus à risque de développer une NL.1 Une meilleure compréhension des mécanismes immunologiques et une identification des facteurs de risque ont ouvert la voie à une meilleure approche thérapeutique et ont permis de transformer le pronostic des patients : la survie à cinq ans des patients avec glomérulonéphrite proliférative est passée de 17% avant 1970 à plus de 80% actuellement.2
La littérature médicale est riche en articles sur la pathogenèse de la NL, mais les mécanismes exacts sont actuellement encore mal connus et complexes.
De multiples autoanticorps ont été identifiés dans le LED. Leur rôle précis reste discuté, mais la plupart des auteurs reconnaissent une relation entre anti-ADN et atteinte rénale.
La NL est souvent vue comme le modèle de la maladie à complexes immuns (CI), avec mise en évidence presque constante de dépôts glomérulaires3,4 formés par des complexes ADN/anti-ADN,5 mais d'autres anticorps ont aussi été identifiés parmi ces CI, notamment des anti-C1q6 ou des anticorps dirigés contre des antigènes structuraux des glomérules. De petits fragments d'ADN peuvent avoir une affinité directe pour certains sites de la membrane basale et participer à la formation in situ de CI.
Le mécanisme par lequel des anticorps monoclonaux anti-ADN peuvent réagir avec certains composants intrinsèques des membranes basales a fait l'objet de plusieurs études.7 L'ADN, résultant de l'apoptose de cellules dans lesquelles la phagocytose aurait été incomplète, ne circule pas libre, mais sous forme de nucléosomes formés d'un complexe ADN/histone.8 Ces nucléosomes cationiques se fixent ensuite sur les charges négatives des sites laminine ou héparane sulfate des membranes basales, permettant la formation d'un complexe anti-ADN/nucléosome,9et ces complexes vont induire une altération de la perméabilité glomérulaire et une albuminurie. Le rôle des nucléosomes semble supporté par la démonstration que les antinucléosomes sont plus fréquents dans le LED (80%) que les anti-ADN, et qu'ils précèdent souvent les anti-ADN. Les anti-ADN seraient en réalité souvent des anti-nucléosomes, mal identifiés en raison de problè-mes de méthode. Tous ces faits conduisent à con-sidérer le nucléosome comme l'antigène primaire.
De multiples cellules (mononucléaires, neutrophiles et lymphocytes) sont impliquées dans la NL, attirées sur place par chimiotactisme. Le macrophage est la principale cellule effectrice de la NL ; très abondant, il prolifère et se divise dans le rein sous l'influence de facteurs de croissance CSF-1 et GMCSF,10 ses fonctions sont souvent altérées. Les lymphocytes T sont impliqués dans le recrutement et l'activation des macrophages, dans la production de cytokines et de facteurs modulateurs de la perméabilité vasculaire, et agissent aussi par une cytotoxicité directe. Enfin, les cellules rénales (cellules mésangiales et cellules tubulaires) modulent à leur tour la prolifération des lymphocytes T. Il existe donc une dynamique complexe entre lymphocytes, macrophages et cellules rénales.
Toutes ces cellules sont impliquées dans la production de cytokines et de chémokines : TNFa,IL-6, IL-12, IL-1, MCP-1, RANTES. Chaque cytokine a une activité pro- ou anti-inflammatoire. Les cytokines TNFa, IL-1 et IFNg ont un rôle dans l'adhésion des cellules par stimulation des molécules d'adhésion ICAM-1 et VCAM-1, bien que ce rôle ne soit pas tout à fait défini.
Souvent, les premiers signes sont une protéinurie isolée (>1 g/24 h) ou un syndrome néphrotique, une activation du sédiment urinaire avec leucocyturie et/ou érythrocyturie et une baisse de la filtration glomérulaire. Près de 20 à 50% des patients avec LED présentent une HTA, proportion augmentée en cas de NL et surtout de glomérulonéphrite proliférative.
Le tableau biologique est commun aux patients avec ou sans NL : anémie, leucopénie, antiphospholipides dans plus de 40% des NL,11 anti-ADNds dans près de 90% des cas12et abaissement du complément. Les anti-Sm sont trouvés dans 30% des LED, cette fréquence est accrue dans les NL.
Divers marqueurs ont été associés à un risque accru d'insuffisance rénale chez les patients avec LED : une créatinémie initiale > 100 µmol/l, un taux d'hématocrite 13 de même qu'une protéinurie > 3,5 g/24 h, un C3 abaissé, une HTA, une durée prolongée de l'atteinte rénale, l'absence de normalisation de la créatinine après 48 semaines de traitement et un âge > 30 ans. Mais ce sont surtout certains éléments de l'histologie rénale qui ont le plus de valeur pour signer un mauvais pronostic : présence de croissants cellulaires, fibrose interstitielle, atrophie tubulaire, index d'activité ou de chronicité élevé.14,15
De nombreux travaux ont tenté de spécifier quel marqueur permettrait de prédire une récidive de NL, mais sans succès ; les divers marqueurs nous aident essentiellement à confirmer une poussée lupique. Une augmentation du titre des anti-ADN a souvent été associée à une rechute de NL,16 et des rétrospectives montrent même jusqu'à 89% de rechute dans les dix semaines qui suivent une élévation du titre des anti-ADNds,7 mais ce marqueur peut également rester élevé indépendamment de toute récidive. D'autres marqueurs ont été associés à une récidive de NL : élévation du C1q-binding protein ou des IgG anti-cellules endothéliales, diminution du complément (C3, C4) ou chute du taux d'hématocrite.
Chez les patients avec LED, une suspicion de NL devrait conduire à une ponction-biopsie de rein (PBR). L'utilité d'une PBR a été clairement démontrée par une meilleure approche thérapeutique en fonction du type de lésion histologique et du degré d'activité et de chronicité.17 L'histologie a aussi permis d'établir un pronostic selon le type d'atteinte. Une constante de la NL est la présence, à l'immunofluorescence, d'immunoglobulines au niveau du mésangium et des glomérules. La classification des glomérulonéphrites (GN) a été révisée par l'OMS en 1996 :
I : glomérules normaux ou minimal change
II : prolifération mésangiale
III : GN proliférative focale et segmentaire
IV : GN proliférative diffuse
V : GN extramembraneuse
VI : GN sclérosante avancée
L'un des principaux apports récents dans la NL est l'établissement par l'OMS de sous-classes de GN selon le degré d'activité et de chronicité des lésions, permettant d'affiner le pronostic et l'indication à un traitement.18 Ce degré d'activité ou de chronicité est établi se-lon la présence ou non de certains éléments histologiques : prolifération cellulaire, croissants fibreux ou cellulaires, dépôts hyalins, fibrose ou inflammation interstitielle, atrophie tubulaire.
Actuellement, le pronostic entre les diverses classes de GN tend à s'égaliser, grâce à des traitements mieux adaptés. Les classes I, II et III focalisées sont habituellement de bon pronostic. Les classes III étendues et les classes IV sont de moins bon pronostic, autorisant un traitement agressif. La classe V est la plus controversée quant au pronostic : présente dans 10 à 20% des cas, cette GN est rarement associée à une prolifération cellulaire et est de meilleur pronostic que les GN prolifératives, même si 14 à 25% des patients évoluent vers une insuffisance rénale à dix ans.19
L'examen histologique rénal peut aussi montrer d'autres lésions que la seule atteinte glomérulaire : on trouve dans 50 à 75% des cas des dépôts d'Ig et de complément dans les membranes basales tubulaires. Des atteintes tubulo-interstitielles, des cas d'amyloïdose et des atteintes vasculaires sont encore décrits.20
Les GN de classe II ou III peuvent évoluer vers un autre type de GN et le degré d'activité de la NL peut également varier au cours du temps, raisons pour lesquelles il est parfois indiqué de répéter une biopsie. La suite du traitement peut en dépendre.
Outre les traitements dictés par la clinique (stéroïdes, antihypertenseurs, hypolipémiants, inhibiteurs de l'enzyme de conversion...), l'introduction des cytotoxiques a permis depuis quelques décennies de transformer le pronostic des patients avec NL. Le traitement est dicté par l'histologie, le degré d'activité des lésions, la fonction rénale, en tenant compte de la toxicité du traitement. Les schémas thérapeutiques sont valables aussi bien chez l'enfant que chez l'adulte.21
Si la clairance est conservée, si le sédiment ne montre qu'une activation mineure, et si l'histologie montre une GN type I ou II, l'introduction d'un traitement immunosuppresseur peut être différée, mais il y a lieu de suivre ces patients et de monitorer la fonction rénale. Des stéroïdes à petites doses sont parfois prescrits avec un bon effet sur la protéinurie.
Alors qu'un traitement de stéroïdes 0,5 mg/kg/j paraît suffisant dans une GN III focale, la plupart des auteurs s'entendent pour réserver un traitement agressif pour les GN III étendues ou les GN IV, plus encore en présence de signes d'activité importants. Le but du traitement est de diminuer les symptômes et de ralentir la progression de la maladie.
Il faut distinguer entre traitement d'induction et traitement d'entretien.
Le schéma d'induction proposé comprend presque toujours des stéroïdes à haute dose. La voie i.v. est meilleure car ce mode d'administration induit une lymphopénie plus rapide et l'activité inflammatoire rénale est plus vite maîtrisée. Près de 75% des patients répondent favorablement à ces hautes doses de stéroïdes, permettant de plus une épargne corticoïde au long cours.22 La dose proposée est de 0,5 à 1,0 g 1x/j pendant trois jours, suivie par des stéroïdes p.o. 1 mg/kg/j. Les effets secondaires initiaux sont rares : HTA, troubles du rythme, psychoses.
L'addition de cytotoxiques à la phase aiguë n'a pas montré de réel bénéfice, tant pour le cyclophosphamide (CPM), l'azathioprine (AZA) que le chlorambucil.2,23
Toutes les études ont poursuivi les stéroïdes en phase d'entretien. L'addition de cytotoxiques, couramment utilisée depuis plusieurs années dans les GN prolifératives, a fait l'objet de multiples études et publications.
Y a-t-il un bénéfice à administrer des cytotoxiques ?
Plusieurs études ont prouvé le bénéfice d'un traitement par cytotoxique. La Mayo Clinic montre en 1978 déjà que 70% des patients traités par stéroïdes + CPM 6 mois étaient stables à 50 mois contre seulement 20% des patients traités par stéroïdes seuls,24 mais le suivi à long terme de ces patients n'a pas montré de différence significative sur le taux d'insuffisance rénale.25 Selon la même stratégie thérapeutique, le National Institute of Health (NIH) a aussi montré la supériorité d'un traitement de stéroïdes et CPM par rapport à des stéroïdes seuls, avec taux d'insuffisance rénale à dix ans de 10% et 50% respectivement.26,27 Par la suite, plusieurs autres auteurs confirment une survie rénale nettement améliorée avec l'introduction des cytotoxiques.2,28,29
Quel est le meilleur cytotoxique ?
De nouvelles études prospectives ont comparé les divers cytotoxiques entre eux. Austin montre, sur un suivi à dix ans, une proportion d'insuffisance rénale nettement plus grande dans le groupe traité par stéroïdes seuls (63%) que dans le groupe traité par stéroïdes avec AZA (22%) ou CPM i.v. (6%) (tableau 1),26 mais la différence en faveur du CPM n'est pas significative. Steinberg et Cameron concluent aussi à la supériorité du CPM par rapport à l'AZA, mais, là non plus, les différences ne sont pas significatives en termes de survie et d'insuffisance rénale.2,27 En conclusion, l'AZA semble montrer un bénéfice intermédiaire entre les stéroïdes et le CPM, et ce traitement est parfois proposé après huit à douze semaines de CPM si celui-ci ne peut être continué (dose cumulée), à titre d'épargne des corticoïdes, ou dans les situations de grossesse.
Ce sont surtout les effets secondaires qui ont plaidé en faveur d'un traitement de CPM par voie i.v. plutôt que p.o. Aussi bien le NIH que Steinberg montrent une tendance à la supériorité du CPM i.v. par rapport au CPM p.o., tant sur la survie que la survenue d'insuffisance rénale, mais cette différence n'est pas statistiquement significative.26,27 Par contre, tous les auteurs s'entendent pour reconnaître une toxicité nettement supérieure à la voie p.o.26,27,30 Le principal effet toxique du CPM est une aménorrhée, décrite chez 50 à 70% des patientes traitées par CPM p.o. contre 30% par voie i.v.31 Ce risque semble lié à la durée du traitement et à l'âge des patientes. Le CPM peut également provoquer une altération de la spermatogenèse.32 Les autres effets secondaires sont une toxicité uro-épithéliale potentielle, avec 17 à 43% de cystites hémorragiques sous traitement de CPM p.o.,33un risque 33 fois plus élevé de cancer vésical, un risque augmenté de lymphomes non hodgkiniens, de cancers de la peau et d'hémopathies. Seules les complications infectieuses à court terme sont supérieures dans le groupe traité par CPM i.v., ce risque semble nettement accru chez les patients âgés.
L'administration de cytotoxiques a comme second objectif la prévention des récidives de NL. Ce risque est évalué à 25% à cinq ans et 46% à dix ans chez des patients avec rémission antérieure de plus de trois ans. Une étude de Boumpas a montré que l'arrêt à six mois du traitement de CPM s'accompagne d'un taux de récidive de NL significativement plus important que s'il est poursuivi à plus long terme (tableau 2).33 Au vu de ces conclusions et des données concernant les effets secondaires, les recommandations actuelles dans les GN III étendues ou les GN IV sont d'associer aux stéroïdes un traitement de CPM i.v. 1x/mois pour six mois, suivi de pulses de CPM 1x/3 mois pour 18 mois.
Afin de limiter les différents effets secondaires, une alternative sous forme de pulses répétés de méthylprednisolone (MP) a été comparée au CPM. Les résultats montrent la supériorité des régimes avec CPM : Boumpas trouve un risque à cinq ans de doubler la créatinine respectivement de 18% sous CPM contre 50% sous MP (tableau 3),33 et Gourley montre en 1996 un taux de rémission de 62 à 85% sous CPM contre seulement 29% sous MP.34 La ciclosporine (CsA) au long cours a été utilisée avec succès dans le LED permettant une diminution du score d'activité,35 mais le réel bénéfice dans la NL reste mitigé : certains auteurs ont montré une diminution de l'activité inflammatoire, une baisse de la protéinurie, une régression de l'atteinte histologique et de l'index d'activité,36 mais au prix d'une HTA et d'une toxicité rénale potentielle. Le mycophénolate mofétyl (MMF), qui agit par inhibition sélective des lymphocytes, a parfois été utilisé comme traitement de secours dans des cas de GN IV ou dans des cas de récidive de syndrome néphrotique ou d'aggravation de l'insuffisance rénale ; il a alors montré de bons résultats avec baisse significative de la protéinurie et de la créatinine.37D'autres traitements, comme la plasmaphérèse, la greffe de moelle autologue, l'irradiation, le tacrolimus, des perfusions d'anti-CD40 ou la perfusion d'immunoglobulines n'ont pas encore fait la preuve de leur efficacité.
Dans les GN de type V, la réponse à un traitement immunosuppresseur est variable. Empiriquement, des stéroïdes à petites doses sont parfois indiqués, prévenant l'évolution vers une GN III ou IV.19 Un traitement de stéroïdes et AZA n'a pas montré de bénéfice par rapport aux stéroïdes seuls, par contre l'adjonction de CPM ou ciclosporine (CsA) a été proposée par certains auteurs.19,38 La CsA administrée au long cours a permis une régression de la protéinurie, et des biopsies de contrôle ont montré une diminution de l'index d'activité.39
La transplantation a été tardivement tentée et étudiée dans le LED. A court terme, la survie des greffons est semblable pour les patients avec ou sans LED, pour des populations identiques quant aux types de donneurs.40 Une étude française confirme ces résultats avec une survie des greffons de 83% à un an et 69% à cinq ans dans le groupe lupus, contre 82,5% et 70% dans le groupe non lupus.41 Les patients avec LED peuvent donc, tout aussi bien que d'autres patients, bénéficier d'une greffe de rein. Les recommandations actuelles proposent une transplantation trois à six mois après établissement de l'insuffisance rénale terminale (IRT), car il existe durant ce délai un potentiel de récupération.
L'activité de la maladie de base est très souvent moindre chez les patients en IRT, avec ou sans dialyse, permettant une diminution de la corticothérapie. Bien que rare, quelques cas de récidive de NL ont été décrits chez des patients greffés, estimés à 2% des patients.42 Les pertes de greffons sur récidive de la NL représentent moins de 5% des échecs totaux de greffe.43
En conclusion, la NL est une complication fréquente du LED qu'il est impératif de traquer et de caractériser par un examen histologique. Cette démarche permettra de déterminer le pronostic du patient et surtout d'ordonner le traitement adéquat, notamment par des cytotoxiques qui sont devenus la clé de voûte de la prise en charge des patients avec glomérulonéphrite proliférative. Même après rémission, une récidive de NL est toujours à craindre et les patients doivent être régulièrement suivis.
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