De nombreux facteurs génétiques influencent la susceptibilité au LED et le développement de la maladie. Parmi ceux-ci, les polymorphismes mis en évidence au niveau des gènes de diverses cytokines semblent jouer un rôle. Les données actuellement disponibles suggèrent des corrélations faibles mais significatives entre polymorphismes associés aux gènes TNFa, IL-10, IL-1Ra et LED. Ces associations sont observées soit avec l'incidence de la maladie, soit avec une évolution ou des manifestations cliniques particulières. Toutefois, ces études portent encore sur des groupes de patients trop restreints pour permettre de clairement distinguer les effets d'autres gènes en déséquilibre de liaison, en particulier ceux du complexe majeur d'histocompatibilité(TNF, C4 et HLA).
De multiples facteurs génétiques et environnementaux sont impliqués dans la physiopathologie du LED aux conséquences cliniques très hétérogènes. La susceptibilité au LED, de même qu'à d'autres maladies auto-immunes comme le diabète de type I, possède une composante génétique dont l'importance est démontrée par une association familiale avec 7-12% de parents du premier et deuxième degré affectés, et par une concordance supérieure à 20% chez les jumeaux monozygotes.1,2 Les facteurs génétiques ont récemment été l'objet de nombreuses investigations qui ont montré une association entre le LED et l'existence de polymorphismes (encadré 1) sur divers loci du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH), des protéines du complément, des cytokines, et des récepteurs des immunoglobulines.2
Depuis la première description d'une association avec le système HLA (Human Leucocyte Antigens) en 1971, plusieurs associations (avec des risques relatifs de 2 à 3) ont été rapportées chez des patients LED issus de différents groupes ethniques avec des antigènes HLA de classe II (DR2, DR3) et avec des allèles nuls de gènes du complément (C2, C4A) localisés dans la région HLA classe III.1,2 Une caractéristique du système HLA est le déséquilibre de liaison qui décrit la ségrégation de >= 2 allèles sur le même chromosome à une fréquence supérieure au produit des fréquences de chacun de ces allèles dans la population. Le déséquilibre de liaison (ou association gamétique préférentielle) permet de définir certaines combinaisons alléliques (ou haplotypes), par exemple, HLA-A1-B8-DR3. En raison du fort déséquilibre de liaison entre l'haplotype HLA-B8-DR3 et l'allèle C4A*Q0 (C4Anul), le rôle respectif du HLA et de la déficience en C4A reste difficile à déterminer. Des associations plus fortes ont été observées entre la production d'anticorps spécifiques (par exemple, anti-Ro/SS-A ou anti-La/SS-B) et différents
allèles HLA-DQ.1,2 Dans le modèle murin (NZBxNZW)F1 de LED, la contribution directe du gène Ea (l'équivalent murin du HLA-DR) a été démontrée.3
Plus récemment, d'autres gènes, en particulier ceux de certaines cytokines, se sont révélés être polymorphiques, avec une variabilité localisée plutôt dans les parties non codantes (promoteur, introns) (encadré 1). Certains de ces polymorphismes (TNF, IL-10) semblent associés à des différences dans le taux de production des cytokines. Les relations entre certains allèles et l'incidence ou l'évolution des pathologies auto-immunes font donc actuellement l'objet de nombreuses investigations.
De façon très schématique, les cytokines peuvent être classées en fonction de leurs activités biologiques, en distinguant celles qui favorisent la réponse inflammatoire (IFNg, IL-1, IL-18, TNFa, lymphotoxine et les chémokines), la destruction cellulaire (TNF, IL-1, IL-15), la production d'immunoglobulines (IL-4, IL-5, IL-6, IL-10, IL-13) et celles qui ont plutôt un effet anti-inflammatoire (IL-4, IL-10, IL-1Ra, TGFb) (tableau 1). La compréhension de leurs actions est rendue complexe par l'existence de redondance entre les activités, de synergismes, d'antagonis-mes et la présence d'inhibiteurs spécifiques (IL-1Ra) ou de formes solubles des récepteurs (récepteurs solubles de l'IL-1 et du TNF). Au cours du LED, se produit un déséquilibre entre une hyperactivation des lymphocytes B conduisant à une production augmentée d'Ig et particulièrement d'autoanticorps, et au contraire, un déficit fonctionnel des lymphocytes T et des cellules présentatrices d'antigène et donc de l'immunité à médiation cellulaire. Ce déséquilibre se retrouve au niveau des cytokines où l'on observe schématiquement une augmentation de celles qui activent les lymphocytes B (IL-6 et IL-10) et une diminution de celles qui stimulent les lymphocytes T (IL-2, IL-1, TNF). Toutefois, la constellation des cytokines impliquées dans le LED est probablement très différente suivant le stade de la maladie et celles qui activent l'immunité cellulaire (IFNg et IL-2) peuvent se révéler importantes à la phase initiale (fig. 1). Parmi les cytokines dont le polymorphisme semble jouer un rôle dans le lupus, on peut distinguer le TNFa, l'IL-10, et l'IL-1Ra.
Le rôle du TNFa dans la pathologie du LED est encore mal compris et controversé. Le taux sérique de TNFa est le plus souvent indétectable dans le sérum de patients lupiques4 et, s'il est augmenté, n'est pas corrélé à l'activité de la maladie.5 Une majorité de résultats expérimentaux convergent pour suggérer que le TNFa pourrait plutôt jouer un rôle protecteur. Cependant, le rôle du TNF est ambivalent : il peut être immunosuppresseur, c'est-à-dire atténuer l'incidence de certaines pathologies auto-immunes ou de la malaria, mais il est également un effecteur clé lors des lésions tissulaires induites dans ces pathologies. Le taux de TNF aussi bien que la chronologie de son action biologique sont des paramètres importants.
Chez l'animal, il a été démontré qu'un polymorphisme du gène Tnfa localisé dans le complexe H-2 est associé à une faible production de TNFa dans les souris NZBxNZW susceptibles.6 Les souris traitées avec du TNFa recombinant présentaient un retard significatif dans l'apparition de l'atteinte rénale et une prolongation de leur survie. Chez l'homme, la capacité de production de TNFa en réponse au LPS est diminuée lorsque les monocytes proviennent de patients lupiques par rapport à ceux isolés à partir d'individus sains.7 Le taux de production de TNFa montre des différences entre les individus qui pourraient corréler avec le phénotype DR : une faible production étant associée à HLA-DR2, alors qu'une production plus élevée est associée à DR3. Une incidence plus élevée des néphrites lupiques a d'ailleurs été rapportée chez les patients HLA-DR2.8
D'autre part, les études épidémiologiques mettent en évidence que l'incidence du LED est faible en Afrique de l'Ouest alors qu'elle est élevée chez les Afro-Américains descendants pourtant des mêmes populations. Une hypothèse serait que la forte endémie de malaria en Afrique de l'Ouest entraînerait une stimulation de la production de TNFa et protégerait ainsi du LED.9 Enfin les récepteurs solubles inhibant l'activité biologique du TNF récemment utilisés dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde ont parfois eu comme effet secondaire l'apparition d'anticorps anti-ADN natif.10
Les polymorphismes des gènes de cytokines sont détectés, soit sous forme de microsatellites (courtes séquences répétées hautement polymorphes), soit sous forme de SNP (single nucleotide polymorphisms), c'est-à-dire des polymorphismes dialléliques au niveau d'une paire de base (encadré 1), localisés dans les parties non codantes des gènes. Les différentes analyses de polymorphismes des gènes TNFA et B chez les patients LED sont résumées dans le tableau 2. Les résultats suggèrent une corrélation entre polymorphismes TNF et LED, bien que la contribution du TNF ne puisse pas toujours être discriminée de celle de l'haplo-type B8-DR3.11,14,15,17,19 L'association la plus fréquemment décrite concerne le SNP TNFA 308 localisé dans le promoteur du gène TNFA et pour lequel l'allèle le plus rare, TNF2 (A), est augmen-té dans le LED, et est associé à une production plus élevée de TNFa.21 Cependant, le fort déséquilibre de liaison entre TNF2 (A) et l'haplotype A1B8DR322 complique l'interprétation des corrélations observées avec la clinique. Une analyse des associations TNF indépendamment de HLA-DR3 serait informative en ce qui concerne les patients avec néphrite afin de confirmer les premières observations.8
Globalement, ces différentes études suggèrent que la nature des effets génétiques varie selon l'origine ethnique des patients. Elles révèlent également des corrélations variant avec les manifestations cliniques. La portée de ces travaux reste toutefois limitée par le nombre relativement restreint de patients, ainsi que par l'hétérogénéité de la maladie. De par l'effet immunomodulateur du TNF, les génotypes high producer pourraient être associés à une incidence plus faible du LED. Cependant, les associations observées dans les études cliniques (tableau 2) suggèrent plutôt que le développement de la maladie est plus marqué chez les patients avec un génotype high producer,probablement en raison du rôle effecteur du TNF dans les phénomènes inflammatoires (vasculites, néphrites).
L'IL-10 est un puissant stimulateur de la prolifération et de la différenciation des lymphocytes B et de nombreuses observations suggèrent que cette cytokine est impliquée dans l'activation polyclonale des cellules B observée dans le LED.23 Il a d'ailleurs été montré que les monocytes et les lymphocytes B des patients lupiques produisent beaucoup plus d'IL-10 que ceux des témoins.24
En outre, la concentration sérique d'IL-10 est plus élevée et corrèle avec certains indices de l'activité de la maladie, en particulier avec le titre des autoanticorps anti-ADN natif.25 La sévérité de la maladie est également corrélée à une augmentation du nombre de cellules produisant l'IL-10 par rapport à celles produisant l'IFNg.26 Enfin, il a été récemment mis en évidence que les cellules isolées à partir du sang périphérique de personnes non malades, mais apparentées à un sujet atteint de lupus, produisent spontanément plus d'IL-10 que celles des personnes non apparentées, ce qui suggère un rôle de cette cytokine dans la prédisposition génétique à cette maladie.27
Plusieurs polymorphismes du gène IL-10 ont été décrits dont l'un (IL-10-1082) semble corréler avec le taux de synthèse d'IL-10 in vitro.28 Quatre études (tableau 3) effectuées dans trois groupes ethniques distincts rapportent une association entre polymorphismes du promoteur IL-10 et le LED. Ces associations ne sont cependant pas confirmées par une étude très récente comportant le plus grand nombre de patients.33 Il est intéressant de relever que la combinaison de deux génotypes IL-10 et Bcl-2 (gène inhibiteur de l'apoptose) est associée à une augmentation très significative du risque de développer le LED.31
Le récepteur antagoniste de l'IL-1 exerce une action anti-inflammatoire en se fixant aux récepteurs de l'IL-1 sans déclencher de signaux intracellulaires, limitant ainsi l'accès de l'IL-1 à ses récepteurs et donc inhibant son action pro-inflammatoire. En ce qui concerne la mesure des taux sériques d'IL-1Ra, les résultats de la littérature sont contradictoires et varient en fonction des manifestations cliniques.34Un polymorphisme du gène de l'IL-1Ra a été mis en évidence et les associations observées avec le LED sont résumées dans le tableau 4.
Quelques études suggèrent que les polymorphismes d'autres cytokines, en particulier IL-4 et IL-6, pourraient être impliqués dans la susceptibilité au LED.38,39 Une association entre LED et un polymorphisme dans la partie codante du gène du récepteur de l'IFNg (IFNGR1) a été récemment rapportée.40
Le LED est une maladie impliquant plusieurs gènes du CMH ainsi que de multiples gènes non HLA qui déterminent l'émergence et l'activation de cellules T et B autoréactives. La complexité génétique du LED, comme pour d'autres maladies auto-immunes polygéniques, est liée à une faible pénétrance de chacun des gènes contribuant à la susceptibilité, ainsi qu'à une hétérogénéité génétique où le même phénotype résulte de l'effet combiné de différents gènes ou allèles. Les données actuellement disponibles suggèrent de fai-bles corrélations entre polymorphismes des gènes TNFa, IL-10, IL-1Ra et LED. Ces résultats seront probablement plus informatifs lorsqu'ils seront combinés avec l'analyse d'autres marqueurs génétiques et analysés sur des cohortes de patients avec des classifications cliniques plus délimitées. Dans le cas des marqueurs génétiques localisés sur le chromosome 6, l'interprétation des associations peut être compliquée par le déséquilibre de liaison comme on l'a vu pour les gènes TNF et certains haplotypes HLA. Des études portant sur différents groupes ethniques devraient permettre de mieux discriminer le rôle des polymorphismes TNF de celui des antigènes HLA.