La fibrillation auriculaire (FA) est l'arythmie supraventriculaire la plus fréquente dont le traitement idéal n'a pas encore été établi. Les récents progrès dans la connaissance de la physiopathologie de la FA ont permis de mettre en évidence le rôle de canaux ioniques spécifiques dans le développement de la FA, le remodelage atrial électrique et l'origine focale de certaines formes de FA paroxystiques. D'autre part, on a pu développer des stratégies thérapeutiques non pharmacologiques, tels l'ablation par radiofréquence, la stimulation électrique au niveau auriculaire et le défibrillateur implantable atrial.
La fibrillation auriculaire (FA) est une arythmie supraventriculaire fréquente avec une prévalence dans la population adulte de l'ordre de 0,4%. Son incidence augmente avec l'âge allant jusqu'à 8-10% dans une population âgée de plus de 75 ans. Les mortalités globale et cardiovasculaire sont deux fois plus importantes chez les patients avec FA que dans la population générale. En effet, les effets de la FA ne sont pas limités à des palpitations ou dyspnées, mais elle peut engendrer des arythmies ventriculaires, dysfonction ventriculaire gauche (tachycardia-mediated cardiomyopathy) et être la cause fréquente d'événements thromboemboliques.
Au cours de ces dernières années, des nouvelles données de la physiopathologie de la FA sont apparues, tels le remodelage atrial électrique, la mise en évidence du rôle de canaux ioniques spécifiques,1 l'origine focale de certaines formes de FA paroxystiques2 et des formes génétiques de FA.3 Parallèlement, une certaine évolution et une clarification se sont aussi produites dans la prise en charge du traitement antithrombotique de la FA4,5 par la réalisation de plusieurs grandes études randomisées (AFASAK, SPAF, BAATAF, etc.), la mise en évidence de certains effets proarythmiques (CAST) liés aux antiarythmiques, le développement de nouveaux antiarythmiques, en particulier de la classe III, et de nouvelles procédures non pharmacologiques, tels ablation par radio-fréquence, pacemaker et défibrillateur implantable atrial.2,6,7
La FA résulte du développement de multiples circuits de réentrées dans les oreillettes. Sa persistance chronique va ainsi produire des changements structurels au niveau auriculaire avec atrophie diffuse et fibrose menant à la dilatation auriculaire. L'absence de réponse au traitement peut être le reflet de cette fibrose qui dépend de la durée de la FA et augmente avec l'âge.
Dans une étude expérimentale chez l'animal,8 on a pu constater que le maintien artificiel de la FA entraînait des changements au niveau du substrat électrophysiologique auriculaire (surtout raccourcissement de la période réfractaire auriculaire) avec tendance à faciliter l'induction et le maintien de la FA (atrial fibrillation begets further atrial fibrillation).Ainsi, les changements anatomiques sont surtout liés à un raccourcissement des périodes réfractaires effectives et absolues de l'oreillette et suggèrent que la FA elle-même peut avoir un effet sur le «remodelage électrique». Après restauration du rythme sinusal (RS), on a pu observer une normalisation progressive de la période réfractaire auriculaire. Cette période réfractaire auriculaire peut rester courte plusieurs semaines après la restauration du RS et rendre l'atrium vulnérable à la rechute en FA.
Toute FA comporte un risque thromboembolique, qui est fréquemment de localisation cérébrale (> 90%). L'incidence d'accident vasculaire cérébral (AVC) est environ six fois plus grande chez des patients en FA qu'en RS. L'absence de contractions auriculaires régulières et rythmiques prédispose à une stase sanguine favorisant l'apparition de thrombi et rendant ainsi la FA cause d'AVC. Par ailleurs, il a été aussi démontré que la FA était associée à un état d'hypercoagulabilité augmentée.
Au cours de ces dernières années, plusieurs études randomisées4,5 ont évalué le rôle de l'anticoagulation orale (warfarine, coumarine) chronique et du traitement antiagrégant plaquettaire (aspirine) dans la FA non valvulaire. Le risque d'AVC a pu être diminué de 70% avec l'anticoagulation orale et de 36% avec l'aspirine. Un INR entre 2,0 à 3,0 semble être suffisamment efficace. Il n'y a pas de différence en efficacité entre la dose d'aspirine de 75 et de 325 mg/jour. Tous les patients avec facteurs de risque (antécédents d'AVC thromboembolique, diabète, antécédents d'hypertension artérielle (HTA), dysfonction ventriculaire gauche, dilatation de l'oreillette gauche > 45 mm) et ceux âgés de plus de 75 ans, devraient recevoir une anticoagulation orale en l'absence de contre-indication. Les patients de moins de 65 ans sans facteurs de risque ont un faible taux d'événements thromboemboliques et pourraient se passer de prophylaxie. Dans le groupe de patients âgés entre 65 et 75 ans sans facteurs de risque, le taux d'événements thromboemboliques est faible aussi bien avec l'aspirine qu'avec l'anticoagulation orale, de ce fait c'est au médecin traitant de choisir. Une analyse décisionnelle récente5a montré que 97% des femmes âgées de plus de 75 ans et 69% âgées entre 65 et 74 ans auraient bénéficié d'une anticoagulation orale. Pour les hommes, les pourcentages correspondants étaient de 75% et 53%.
Les principes de base devant régir toute prise en charge d'un patient avec FA sont : 1) identification d'une cause sous-jacente de la FA (maladie coronarienne, HTA, atteinte valvulaire, cardiomyopathie dilatée, hyperthyroïdie, alcoolisme chronique, infection aiguë, embolie pulmonaire) ; 2) évaluer et prévenir les risques thromboemboliques ; 3) contrôler la réponse ventriculaire (digoxine, bêta-bloqueur, vérapamil, diltiazem) ; 4) tenter de restaurer (choc électrique externe, antiarythmiques classe IA, IC ou III) et maintenir le rythme sinusal (antiarythmiques classe IA, IC ou III).
L'utilisation de l'échocardiographie transsophagienne (ETO) a permis de mieux connaître l'état des oreillettes dans la FA et la dynamique de la formation de thrombi.9 On sait aujourd'hui qu'on peut trouver chez environ 15% des patients avec FA un thrombus auriculaire à l'ETO. C'est, en particulier, au niveau de l'auricule gauche que l'on trouve la majorité (90%) des thrombi. Les facteurs prédictifs de la présence d'un thrombus sont l'existence de contraste spontané (stase sanguine) et une fonction ventriculaire gauche diminuée. Après cardioversion, en particulier après choc électrique externe, on a pu observer l'apparition d'une dysfonction électrique et mécanique atriale (stunning atrial). Ce phénomène est précoce et survient entre le premier et dixième jour après la cardioversion avec récupération par la suite. Ainsi, cet état de stunning atrialaugmente le risque de la formation de thrombi.
Quand peut-on utiliser l'ETO ? La cardioversion d'une FA durant moins de 48 heures comporte un très faible risque d'événements thromboemboliques (0,8%). Ce risque augmente de 5 à 7% après 48 heures. Les recommandations actuelles pour une FA de plus de 48 heures sont basées sur une anticoagulation efficace orale (INR entre 2 à 3) d'une durée de trois à quatre semaines avant de procéder à une cardioversion. Dans la mesure où l'ETO a une sensibilité et spécificité entre 90 à 100% pour la détection de thrombi auriculaires, l'utilisation de cet examen pour guider une cardioversion peut être utile. Le recours à l'ETO permet d'avoir un temps total d'anticoagulation plus court, surtout dans la période précardioversion et de restaurer plus vite le RS avec une amélioration plus rapide de la fonction contractile atriale. Ceci peut être utile chez des patients chez qui il est difficile d'avoir une anticoagulation efficace ou chez qui celle-ci est relativement contre-indiquée. En appliquant cette stratégie, on n'a pas observé de complications thromboemboliques chez 300 patients étudiés de manière prospective. Cependant, avant d'appliquer cette stratégie de manière routinière, des données plus larges sont nécessaires. Celles-ci nous seront fournies par l'étude ACUTE (Assessment of Cardioversion Using Transoesophageal Echocardiography) actuellement en cours où plus de 3000 patients seront inclus.
Le traitement pharmacologique reste pour le moment la stratégie initiale utilisée chez la plupart des patients pour contrôler la réponse ventriculaire, restaurer et maintenir le RS. Il est intéressant de relever le fait que le passage spontané en RS semble être relativement élevé. Plusieurs études récentes10-12ont montré que ce taux spontané de cardioversion peut se situer entre 50% à 70% des cas avec FA surtout chez des patients avec une FA de durée de moins de 48 heures et chez ceux sans HTA, insuffisance cardiaque ou atteinte valvulaire.
L'efficacité des divers antiarythmiques actuels en situation aiguë pour la restauration du RS est variable, se situant entre 50 à 90% de taux d'efficacité. Le maintien en RS reste modeste avec des rechutes en FA chez 50 à 60% des patients après six à douze mois de traitement. La durée de la FA semble être le facteur prédictif le plus puissant et fiable du succès de conversion et maintien en RS.
Bien que la restauration du RS améliore l'hémodynamique globale, on ne sait pas aujourd'hui si cette restauration du RS améliore de manière effective la survie par rapport à une stratégie associant le ralentissement de la fréquence ventriculaire et l'anticoagulation orale. L'étude AFFIRM (Atrial Fibrillation Following Investigation of Rhythm Management), actuellement en cours, compare prospectivement ces deux stratégies.
Le mécanisme d'action de la plupart des antiarythmiques se fait soit par blocage des canaux ioniques (Na+, K+) ou par blocage des récepteurs membranaires de surface (bêta-bloqueurs). Divers antiarythmiques, en particulier ceux de la classe III, agissent à travers le canal Ik (delayed rectifier K current). C'est aussi par le blocage de ces canaux que se produit l'effet proarythmique de divers antiarythmiques. Les principaux effets notés sont l'apparition d'un QT prolongé avec risque de torsades de pointes, ou conversion de la FA en flutter auriculaire.
Parmi les antiarythmiques actuellement utilisés, l'amiodarone semble présenter le taux le plus bas de complications proarythmiques. Son taux de succès global est de 60% et environ 80% des patients ont une réponse favorable à long terme (> 6 mois). Dans une récente étude prospective13de 403 patients, l'effet de l'amiodarone administrée par voie orale a été comparé avec la propafénone et le sotalol. Après un suivi moyen de seize mois, l'amiodarone s'est avérée être plus efficace que les deux autres antiarythmiques à prévenir la rechute en FA.
L'ibutilide est un nouvel antiarythmique de la classe III, bloquant le canal Na lent et le delayed rectifier K current entraînant une prolongation de la repolarisation. Disponible uniquement par voie intraveineuse (i.v.), son taux de conversion à des doses i.v. de 0,01 à 0,025 mg/kg est de 12 à 46% après 19 minutes d'administration. On a pu constater des succès de cardioversion chez des patients avec oreillette dilatée, fraction d'éjection (FE) du ventricule gauche (VG) diminuée et affection valvulaire. Dans une étude14 réalisée chez 262 patients traités par ibutilide i.v., on a pu constater le passage en RS chez 34,9% des patients une heure et demi après le début de l'injection. Après 24 heures, 86% des patients étaient en RS. Malheureusement, environ 10% des patients ont présenté des arythmies ventriculaires dont 2,3% des tachycardies ventriculaires (TV) soutenues et 7,3% des TV non soutenues.
Le dofétilide est aussi un nouvel antiarythmique de la classe III. Il s'agit d'un agent de classe III «pur» qui prolonge la période de repolarisation en bloquant de manière sélective la partie rapidement activable du delayed rectifier K current. Il n'a pas d'effet inotrope négatif même chez des patients avec FE du VG diminuée. Ceci a pu être montré dans une récente étude15chez 1518 patients avec insuffisance cardiaque et diminution sévère de la fonction ventriculaire gauche (étude DIAMOND : Danish Investigations of Arrhythmia and Mortality in Congestive Heart Failure). Chez ce type de patients, le dofétilide a été efficace dans la conversion de la FA, la prévention de sa rechute et la réduction du risque de réhospitalisation pour aggravation de l'insuffisance cardiaque.
Chez des patients avec FA symptomatique et réfractaire à un traitement médicamenteux, le recours à une ablation du NAV avec pose d'un pacemaker définitif (VVIR en cas de FA chronique, DDDR avec changement de mode en cas de FA paroxystique), on peut obtenir une réponse ventriculaire adéquate. Le contrôle à long terme de la fréquence cardiaque peut se réaliser ainsi chez 95% des patients.6Par ailleurs, on a pu observer une amélioration de la qualité de vie, de la tolérance à l'effort ainsi qu'une diminution de la prise d'antiarythmiques. L'anticoagulation orale continue à être nécessaire.
Des études récentes ont montré la possibilité de procéder à une ablation curative de la FA basée sur le modèle chirurgical de la procédure de maze. Cette dernière procédure consiste à créer de multiples incisions au niveau auriculaire droit et gauche et de compartimentaliser ainsi les oreillettes pour isoler électriquement des segments ou pour réduire la masse musculaire à tel point qu'une FA ne peut plus être déclenchée. Des résultats encore préliminaires montrent qu'en faisant la même procédure par la technique de l'ablation par radiofréquence, on peut terminer une FA et avoir un effet clinique favorable.
Haissaguerre et coll.2ont identifié récemment des mécanismes focaux pouvant initialiser et perpétuer des épisodes de FA paroxystique. Des applications de courant de radiofréquence peuvent être délivrées à certains endroits présentant l'activation la plus précoce lors des battements ectopiques spontanés ou au moment du début de l'accès de FA. Ces endroits sont situés dans plus de 90% des cas dans une ou plusieurs veines pulmonaires, les 10% restants dans l'oreillette droite ou gauche. Il s'agit d'une technique nécessitant une intervention de plusieurs heures de durée et la prévalence de ce type de FA n'est pas encore clairement déterminée.
Dans des situations où la FA n'est pas permanente et où il existe des passages de bradycardie sinusale ou des pauses sinusales (maladie de l'oreillette, FA de type «vagal») avec conduction atrio-ventriculaire (AV) intègre, la stimulation auriculaire type AAI semble être supérieure au mode VVI. Le risque est moins grand de développer une FA et de présenter des événements thromboemboliques.16 Par ailleurs, on a pu aussi observer une incidence diminuée d'insuffisance cardiaque et de mortalité globale.16 Il faut relever le fait que bien que le mode AAI présente des avantages théoriques, dans la pratique il n'est pas beaucoup utilisé car il n'est pas toujours facile de s'assurer d'une fonction AV intègre à long terme.
Lorsque le patient présente des épisodes de FA paroxystiques ou autres tachycardies supraventriculaires, on peut programmer un switching automatique en VVI-R ou en DDI-R.17 Avec ce mode, l'accélération de l'oreillette n'est pas transmise, car au moment où le pacemaker détecte l'activité auriculaire spontanée trop rapide, il s'inhibe au niveau auriculaire.
Plus récemment, on a développé des formes de stimulation «multisite»7 en plaçant une sonde dans l'atrium droit et une autre dans le sinus coronaire. Cette technique de stimulation bi-atriale synchrone permet de prévenir les rechutes en FA.
Divers modèles de défibrillateurs auriculaires implantables ont été développés délivrant des chocs de faible énergie (moyenne de 6 joules) chez des patients présentant des épisodes répétitifs de FA malgré un traitement médicamenteux maximal. Une étude récente18chez 51 patients ayant subi la mise en place de ce type de défibrillateur, avec une sonde placée dans l'oreillette droite et une deuxième dans le sinus coronaire, a montré que sur un suivi moyen de 259 jours, 96% des 227 épisodes spontanés de FA chez 41 patients ont pu être cardioversés en RS.
La prise en charge actuelle d'un patient avec FA est complexe, pouvant associer un traitement pharmacologique à un traitement non pharmacologique. Le traitement antithrombique de la FA est actuellement bien défini. L'amiodarone semble être l'antiarythmique le plus efficace et produit le moins d'effets proarythmiques. Chez les patients symptomatiques ne répondant pas au traitement médicamenteux, l'ablation par radiofréquence du NAV avec mise en place d'un pacemaker définitif est une alternative adéquate, l'ablation de foyers focaux de FA est une technique prometteuse qui nécessite encore d'être mieux investiguée.