Depuis la fin des années 80, l'ensemble du système de secours et soins d'urgence en Suisse est traversé par de profondes réformes qui vont toutes dans le sens d'une amélioration de la qualité du service à la population et de la professionnalisation des intervenants. C'est dans cette dynamique que le Centre d'enseignement de professions de la santé et de la petite enfance, à Genève, a mis sur pied un nouveau programme répondant aux prescriptions de la Croix-Rouge suisse. L'article situe cette formation dans le contexte suisse et international. Il insiste sur la reconnaissance de la profession comme profession de la santé à part entière.
Depuis la fin des années 80, l'ensemble du système de secours et soins d'urgence en Suisse est en profonde mutation : il se professionnalise et vise toujours plus le service à la population. Nous citerons ici l'implantation du N° d'appel 144 dans toute la Suisse, la mise en uvre d'un contrôle de qualité pour les services d'ambulances par l'Interassociation de sauvetage (IAS),1,2 la révision des lois sanitaires cantonales, l'entrée en vigueur de prescriptions de formation de la Croix-Rouge suisse (CRS)3 pour la formation des ambulanciers-ères (ci-après ambulanciers), la reconnaissance de la spécialisation en médecine d'urgence par la FMH.4
C'est dans ce contexte que l'école genevoise a mis sur pied un nouveau programme répondant aux prescriptions de la CRS.
En 1987, le canton de Genève a été le premier canton romand et l'un des premiers en Suisse, avec Bâle et le Tessin à introduire dans sa législation sanitaire une loi relative à l'organisation et à l'équipement des ambulances ainsi que la formation des ambulanciers, faisant de ces derniers des professionnels de la santé à part entière. La mise en application de cette loi a débouché sur la création d'une formation professionnelle pour les ambulanciers au Centre d'enseignement de professions de la santé et de la petite enfance (CEPSPE) en 1988. Cette formation se déroulait en alternance avec l'emploi sur une durée de trois ans (900 heures environ de cours et de stages). Elle visait essentiellement à instaurer un processus d'intervention commun pour l'ensemble des partenaires du système de secours sanitaire. Elle a été construite sur la base de l'analyse des situations vécues quotidiennement par les ambulanciers et la conception de protocoles d'urgence standardisés, appelés «conduites à tenir».5 Ces protocoles ont été élaborés par les enseignants de l'école et son responsable scientifique avec la collaboration de spécialistes des diverses disciplines concernées. Leur pertinence a été validée par des séances de consensus réunissant l'ensemble de ces spécialistes.
Parallèlement, l'IAS, a édicté des directives pour la formation des ambulanciers marquant ainsi une première étape dans la professionnalisation du métier d'ambulancier. En 1994, la Croix-Rouge suisse (CRS) a reçu le mandat d'élaborer des prescriptions pour la formation professionnelle des ambulanciers. Ces prescriptions ont été adoptées par la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sanitaires (CDS) en mai 1998.3 Elles situent clairement la formation d'ambulanciers au même niveau que celles des autres professions de la santé (degré tertiaire)6 et, dès lors, la profession est reconnue comme une profession de la santé dans toute la Suisse.
Les ambulanciers titulaires de l'ancien titre professionnel peuvent obtenir le diplôme de la Croix-Rouge pour autant qu'ils puissent attester de deux ans d'expérience et d'une formation continue suffisante. Cette mesure permet de reconnaître les compétences de tous les ambulanciers professionnels dans la pratique quotidienne et évite de hiérarchiser la profession.
L'ensemble des mesures prises sur le plan politique par la CDS, dans le domaine de la formation par la CRS et par l'IAS notamment pour le contrôle de qualité des services de sauvetage, converge vers la professionnalisation de l'activité d'ambulancier et l'appartenance de ces professionnels au secteur de la santé. Cela représente l'aboutissement d'un processus d'une dizaine d'années qui implique des mutations profondes de l'organisation des secours et des soins d'urgence pour tous les cantons suisses. L'importance de l'enjeu fait que ces transformations interviennent à des rythmes différents selon les régions tout en ayant un même objectif. De nombreux problèmes restent à résoudre, en particulier la professionnalisation des secours dans les régions périphériques, la séparation des rôles pour les employés des services publics, la pénurie de professionnels dans certains cantons.
Dans les pays anglo-saxons ainsi qu'au Canada et dans les pays du Nord de l'Europe, l'organisation des services d'ambulances repose sur l'engagement de professionnels ambulanciers hiérarchisés en deux ou trois catégories.7,8,9 Les médecins interviennent en renfort, sur appel des ambulanciers déjà sur le site, ou parfois d'emblée sur la base du tri effectué par la centrale d'appels. Cette organisation implique une formation de haut niveau pour les ambulanciers responsables de la prise en charge des urgences vitales.10
Dans les pays dotés d'un système SAMU (France et Belgique, notamment), les interventions primaires urgentes sont beaucoup plus souvent médicalisées dès l'appel et, de ce fait, la formation des ambulanciers vise essentiellement les missions de transport de patients stabilisés.11,12
Aux Pays-Bas13 ou dans les pays scandinaves, la formation d'ambulanciers est souvent complémentaire à celle d'infirmière ou d'infirmière-assistante et le métier d'aide-ambulancier y est présent ainsi qu'en Grande-Bretagne.
Selon les pays, les formations autorisant les ambulanciers à effectuer des «mesures de base» durent de 100 à 500 heures et les formations incluant des actes médicaux délégués (mesures avancées) durent de 900 à 3000 heures.
Le travail de conception a été réalisé dès 1998 par la direction de l'Ecole genevoise d'ambulanciers en collaboration avec la direction du CEPSPE, les enseignants de l'école et plusieurs experts et spécialistes de la médecine d'urgence et du sauvetage.
La nouvelle formation repose sur les «prescriptions de la CRS pour la formation des ambulancières diplômées et ambulanciers diplômés» du 8 avril 1998.3 Ces dernières définissent la profession en référence à la chaîne du sauvetage. Elles reconnaissent à l'ambulancier une autonomie dans l'exercice des techniques de sauvetage et des soins préhospitaliers, elles le placent sous la responsabilité d'un médecin pour tout acte médical et envisagent la délégation d'actes médicaux sur la base d'une liste publiée séparément,14 par exemple la pose de voie veineuse ou la réanimation selon «basic life support» (BLS) et «advanced cardiac life support» (ACLS).
Les prescriptions contiennent les objectifs généraux de la formation regroupés en cinq fonctions ainsi que trois qualifications-clés qui donnent son orientation au processus d'apprentissage (tableau 1).
Sur le plan pratique, les conditions d'admission, la durée de la formation (4620 heures), la proportion entre école et stage (1/3 à 1/2 en école pour 2/3 à 1/2 en stage) et le type d'examens sont également fixés. La formation est placée sous la responsabilité des écoles en étroite collaboration avec les services de sauvetage.
Le modèle proposé tient compte de quatre éléments :
I les prescriptions de la CRS ne prévoient qu'un seul titre professionnel : le diplôme d'ambulancier ;
I les responsables des services de santé publique et ceux de nombreux services ou entreprises d'ambulances des cantons romands demandent d'organiser une formation d'auxiliaires ;
I les candidats et les employeurs demandent de prévoir deux modalités d'organisation de la formation (en alternance avec l'emploi ou en école à plein temps) ;
I la possibilité d'obtenir une équivalence partielle de la formation lorsque le candidat bénéficie de formation(s) et expérience dans le domaine des soins.
Caractéristiques du modèle :
I offre de formation modulaire en trois ans aboutissant au diplôme d'ambulancier situé au niveau tertiaire non universitaire. Cette formation est dispensée actuellement en école à plein temps ;
I offre d'une formation d'auxiliaires dispensée avec des modules communs à la formation d'ambulanciers diplômés, en alternance avec l'emploi (une telle formation vient de s'ouvrir au CESU de Lausanne) ;
I reconnaissance des acquis des candidats issus notamment d'autres professions de la santé. La conception modulaire doit faciliter l'accès à des formations plus courtes dites «passerelles» notamment pour les soins infirmiers et les spécialisations (le CESU de Lausanne étudie la possibilité d'ouvrir de telles «passerelles»).
La formation d'ambulanciers dispensée au CEPSPE est organisée uniquement en école à plein temps. Son plan de formation a été approuvé par la CRS en novembre 1999. Elle se déroule sur 128 semaines (environ 4700 heures) réparties sur trois ans. Elle s'adresse de façon prioritaire à des jeunes qui acquièrent leur première formation professionnelle. Les conditions d'admissions sont les mêmes que celles des autres écoles de la santé. A l'heure actuelle, les promotions accueillent dix-huit étudiants de toute la Romandie. La première volée a débuté sa formation en septembre 1999 avec dix femmes et huit hommes âgés de 20 à 28 ans.
La formation est caractérisée par un apprentissage basé sur des problèmes, elle privilégie le développement de compétences professionnelles, elle est centrée sur l'étudiant ainsi que sur le bénéficiaire de soins.
La démarche d'apprentissage valorisée par l'école depuis plus de dix ans peut être schématisée comme suit :
C'est sur ce modèle que les protocoles d'intervention ont été conçus. Par exemple, lors d'un traumatisme crânien isolé, l'ambulancier apprend à reconnaître les signes de gravités et, s'ils sont présents, préparer la personne pour son transport vers le service d'urgence approprié dans les cinq minutes (fig. 1). Dans une situation de coma flasque, ne présentant pas de latéralisation ni d'insuffisance respiratoire, il procèdera aux injections de glucose 40% et de naloxone (selon le schéma fig. 2), ce qui prendra une vingtaine de minutes. A aucun moment, il n'est appelé à faire un diagnostic. Il reconnaît un problème et prend les mesures appropriées.
L'apprentissage suit une progression : la première année est centrée sur le bénéficiaire en situation stable, la deuxième sur le bénéficiaire en situation complexe et la troisième année sur les situations exceptionnelles. Quatre enseignants attachés à l'école dispensent certains cours théoriques et pratiques et assurent le suivi pédagogique des étudiants. De plus, des intervenants représentatifs de différentes professions sont chargés d'enseignement.
La première année a été conçue en référence avec les programmes des autres écoles de la santé (infirmières notamment) afin de donner aux ambulanciers un bagage scientifique équivalent et favoriser par la suite la mobilité professionnelle. Les étudiants suivent notamment les cours de morphologie, physiologie et biochimie donnés aux écoles de la santé par les enseignants de la Faculté de médecine. Ils reçoivent un enseignement en sciences humaines relatif à l'approche psychosociale et à la communication, en santé communautaire, de méthodologie... Le plan d'études comprend de plus des disciplines spécifiques à la profession comme la conduite, les communications radio, la topographie, le rôle professionnel. Les deuxième et troisième années sont plus axées sur les soins préhospitaliers et les interventions d'urgence. Ces enseignements sont complétés par des notions liées aux activités de gestion et d'encadrement ainsi qu'aux interventions en situation exceptionnelle. Les contenus d'enseignement sont regroupés en modules axés sur des thématiques spécifiques, où l'enseignement théorique est complémentaire d'ateliers pratiques. Le programme est conçu dans un souci d'intégration des apprentissages et un important nombre d'heures a été prévu pour des activités de synthèse et d'intégration interdisciplinaire.
Une commission scientifique réunissant des médecins d'urgence, des ambulanciers de chacun des cantons romands ainsi que des représentants des écoles a été constituée en automne 1999. Cette commission a pour but de valider le contenu scientifique de la formation. La collaboration avec l'ensemble des professionnels de la chaîne de sauvetage est privilégiée. Cette étroite collaboration est essentielle pour développer l'identité professionnelle des étudiants et assurer la pertinence des contenus enseignés.
Soixante pour cent du temps de formation sont consacrés à des stages préhospitaliers et spécifiques. Cinq stages se déroulent dans des services d'ambulances privés ou publics. Deux stages spécifiques valident des objectifs de soins de base auprès de la personne âgée et handicapée en première année. En deuxième et troisième année, l'étudiant suivra des stages hospitaliers (urgences, anesthésiologie, pédiatrie, obstétrique et santé mentale), dans une centrale 144 et dans un SMUR (service mobile d'urgences et de réanimation). En fin de formation, l'étudiant aura un stage à option pour lequel il fixera ses objectifs d'apprentissage. La diversité des stages permet de répondre à l'ensemble des situations auxquelles l'ambulancier est confronté.
Après une évolution de près de dix ans, la profession d'ambulancier est enfin reconnue comme une profession de la santé tant sur le plan politique que sur celui de la formation. Cette reconnaissance implique un haut niveau de qualification qui autorise aujourd'hui les ambulanciers à effectuer par délégation des actes médicaux sur le lieu même de la prise en charge. Cela implique également la soumission au secret médical et le respect d'un code éthique et d'une déontologie professionnelle. Il faudra bien entendu encore un peu de temps pour que ces changements soient effectifs jusque dans les régions les plus isolées. Un effort particulier doit être fait par les centres de formation pour répondre aux besoins des professionnels et par les professionnels eux-mêmes pour développer la formation continue afin de parvenir dans les meilleurs délais à mettre à disposition le personnel qualifié nécessaire.