La reconnaissance par la Fédération des médecins suisses d'une formation en médecine d'urgence sous la forme d'une attestation de médecin d'urgence SSMUS est une étape essentielle dans la reconnaissance de la médecine d'urgence et de son importance. Cette formation s'adresse spécifiquement aux médecins dont la mission sera d'assumer la médicalisation des secours préhospitaliers. Elle est une première étape dans la conceptu-alisation, la standardisation et l'offre d'une formation post-graduée en médecine d'urgence, qui doit s'étendre également aux médecins de premier recours, ainsi qu'aux médecins hospita-liers uvrant dans le cadre de centres d'urgence. L'ensemble de ces missions, assumées sur la base d'une formation spécifique, permettra de constituer une réelle médicalisation efficiente de la chaîne des urgences, dont les maillons et les acteurs seront complémentaires.
La publication récente du programme de formation complémentaire de médecin d'urgence selon la Société suisse de médecine d'urgence et de sauvetage (SSMUS)1 précise les conditions de formation et d'octroi de l'attestation de formation complémentaire en médecine d'urgence pour les médecins suisses. Il s'agit d'une étape importante dans la reconnaissance de la médecine d'urgence, mais aussi des «urgentistes» qui militent depuis des années pour l'existence formelle de cette discipline au sein des formations reconnues par les médecins suisses.
Cette formation en médecine d'urgence, dont les prémisses ont été dessinées il y a plusieurs années par la Croix-Rouge suisse, complète les dispositifs sanitaires largement mis en place par nos autorités, afin d'améliorer l'organisation des soins urgents ou, autrement dit, la chaîne des urgences. Il en va du numéro d'appel «urgences» (144) à la mise en place progressive d'équipes de secours mobiles médicalisées telles que les SMUR ou les médecins de secours héliportés.
Certaines questions restent néanmoins d'actualité. Cette formation en médecine d'urgence qui fait l'objet d'une attestation formelle, couvre-t-elle tous les besoins, par exemple ceux du médecin de la REGA opérant sur le site d'un accident de la circulation, mettant en condition de transport les personnes blessées avant leur acheminement vers un site hospitalier ? Couvre-t-elle également les besoins de formation du neurochirurgien de garde devant intervenir en urgence à l'hôpital pour de tels patients ? Concerne-t-elle encore les besoins des médecins de premier recours, intervenant à domicile en urgence dans le cadre des activités de garde ? Est-elle enfin adressée aux médecins assumant l'accueil et le tri des patients dans les centres d'urgence hospitaliers ? Y a-t-il une base commune à ces activités, une spécificité propre motivant dès lors une formation aux limites formellement identifiées, ou s'agit-il d'une étape précisant de manière opportune un premier volet de ce que les Anglo-Saxons appellent emergency medicine au sens d'une spécialité à part entière ?
Ces questions, ces concepts, ces étapes nécessitent clarification pour les médecins, puisque beaucoup d'entre nous sommes concernés par «les urgences» mais que nous n'opérons pas dans les mêmes conditions, ni dans les mêmes lieux, ni avec les mêmes missions. Ces questions surviennent à un moment où l'organisation des soins en matière d'urgence n'est pas seulement en mutation et se dote d'infrastructures performantes ; elle survient également dans une période où la population évolue en matière de recours aux services d'urgence par une plus grande fréquence de consultations en urgence. Ceci s'observe peut-être en raison d'une plus grande fragilité découlant sur une demande plus forte d'une réponse immédiate face à une urgence ressentie. Cela se traduit par un rôle croissant des centres d'urgence, qu'ils soient de type «permanence» ou «centre d'urgence hospitalier», où l'on assiste à une augmentation considérable de la population consultante ou admise. Cette augmentation est largement supérieure à celle de la démographie et exprime dès lors bien les modifications des besoins, ainsi que des pratiques.
Cet article vise donc à clarifier les besoins respectifs de formation post-graduée et continue en médecine d'urgence pour les médecins, en précisant la place spécifique de la formation en médecine d'urgence «SSMUS» au sens de la réglementation de la Fédération des médecins suisses.
Le dispositif des soins permettant la prise en charge efficiente des urgences est ce qu'il est convenu d'appeler la chaîne des urgences. Elle va de l'organisation de l'alarme aux soins hospitaliers en urgence pour les cas les plus lourds, lorsqu'ils sont nécessaires. Les médecins sont concernés dans différents maillons de cette chaîne. Leurs missions et leurs compétences doivent être considérées comme complémentaires, et en aucun cas concurrentes. Sont décrits ci-dessous trois des maillons de cette chaîne des urgences, qui concernent spécifiquement la médecine d'urgence, et dès lors la formation post-graduée qui en découle.
Au sens de l'attestation de formation complémentaire de médecin d'urgence SSMUS,1 cette formation vise à donner une compétence spécifique permettant la prise en charge appropriée de patients en détresse sur le lieu de l'accident ou de l'événement médical, et durant le transport à l'hôpital. Il s'agit donc d'une activité dont les missions sont dévolues à la médicalisation des secours sur le site même de l'accident ou de l'affection médicale aiguë.
L'activité du médecin d'urgence SSMUS s'exerce dans le cadre d'une infrastructure d'alarme et de secours, imposant le déplacement du médecin avec un véhicule spécifique d'intervention (type SMUR ou hélicoptère). Ces missions et compétences sont résumées dans le tableau 1. L'éligibilité à une telle formation dépend de la formation clinique prérequise. De manière synthétique, une telle formation est accessible aux anesthésistes, aux chirurgiens, aux pédiatres et aux internistes, pour autant qu'ils puissent se prévaloir d'une formation comprenant au moins un stage en anesthésiologie (un an), un stage en médecine interne ou en chirurgie générale (un an), un stage dans un centre d'urgence (trois mois), ainsi qu'en médecine intensive (trois mois). La participation à un cours de médecin d'urgence reconnu par la SSMUS est également requise.
A la lecture de ce programme, on constate que l'objectif de la formation post-graduée de médecin d'urgence SSMUS est de permettre la maîtrise de l'ensemble de la médecine de sauvetage préhospitalière, en particulier dans des situations de danger et en cas de conditions difficiles, où les possibilités diagnostiques et thérapeutiques sont limitées, et le temps compte pour la prise de décision. Ces compétences permettent la réanimation, le tri des patients, l'organisation des secours et la mise en condition des patients avant leur transport à l'hôpital.
En matière de médecine d'urgence, la plupart des recours de la population à une consultation médicale en urgence concernent les médecins de premier recours, qu'ils soient consultés à leur cabinet, ou lors de leur activité de garde. Il est dès lors essentiel que les médecins praticiens disposent d'une formation post-graduée à l'urgence. Cependant, cette formation n'est à ce jour pas conceptualisée et dès lors ni standardisée ni organisée. Un certain nombre d'efforts pour pallier ces manques ont été faits, que ce soit dans l'identification de leurs besoins2 ou dans l'organisation de cours spécifiques de médecine d'urgence tels que ceux organisés ces dernières années par les centres d'urgence de Genève et de Lausanne.3 Le tableau 2 décrit leurs missions et compétences requises.
Dès lors, un effort devrait être consenti par les institutions de formation pour standardiser cette formation, mais surtout pour l'intégrer formellement au cursus de formation des médecins généralistes. L'observation actuelle des pratiques en matière de médecine d'urgence assumées par les médecins de garde permet largement d'identifier des lacunes en la matière. On comprend dès lors mieux le succès des offres de formation spécifiques destinées à les combler.3
Les centres d'urgence hospitaliers assument, comme on l'a dit, un nombre croissant de situations cliniques d'urgence. Il s'agit à la fois de patients graves «triés» et dont le transport à l'hôpital a été médicalisé. Mais il s'agit également d'un nombre considérable de patients moins graves, sollicitant d'eux-mêmes, ou via leurs proches, une consultation en urgence en raison d'urgences ressenties. Entre ces deux extrêmes, un vaste éventail d'autres situations d'urgence relève spécifiquement des centres d'urgences hospitaliers, telles que par exemple les urgences gériatriques (chutes à domicile, perte d'autonomie, etc.), les urgences psychosociales et toxicologiques (complications aiguës des dépendances, tentatives de suicide, crises d'anxiété, etc.), ainsi que les complications traumatologiques ou psychologiques de la violence sociale (coups et blessures, traumatismes psychiques, etc.). La médecine d'urgence hospitalière représente dès lors un autre maillon de cette chaîne des urgences, nécessitant des compétences multidisciplinaires et des missions spécifiques en matière d'accueil et de tri des patients, en matière de réanimation, y compris de réanimation compliquée, et en matière d'organisation en urgence de soins spécialisés permettant l'accès immédiat aux structures les plus lourdes (plateau technique de réanimation), d'outils diagnostiques (imagerie, endoscopie, etc.) et de traitements (blocs opératoires, spécialistes chirurgicaux, soins intensifs, etc.). En d'autres termes, les centres d'urgence hospitaliers ont une mission spécifique d'accueil et de tri, mais également de réanimation et de mise en condition de prise en charge par les spécialistes concernés.Enfin, ces centres doivent également constituer un lieu de coordination des soins permettant l'utilisation des structures extra- et intra-hospitalières les plus appropriées. L'exemple des patients gériatriques ou dépendants de substances révèle bien la mission de coordination de la médecine d'urgence hospitalière où un grand nombre de structures médicales, sociales ou sanitaires hébergeantes (établissements médico-sociaux, hôpitaux psychiatriques, etc.) doivent être sollicitées pour l'optimalisation de l'utilisation des structures de soins. Les centres d'urgence hospitaliers assument donc une série de missions et de compétences spécifiques, mais requièrent également un plateau technique et des compétences spécialisées en aval (spécialistes, structures hospitalières lourdes) qui imposent de réserver cette activité à un certain nombre d'hôpitaux de référence, de manière à éviter la dissémination de structures d'urgence inefficientes et possiblement incompétentes. Le tableau 3 résume les compétences et missions spécifiques requises des équipes multidisciplinaires des centres d'urgence hospitaliers.
De manière évidente, la pratique des soins dans la chaîne des urgences est dévolue à des médecins ayant des formations et des missions diverses. Ces missions sont complémentaires et, comme on l'a dit, elles ne doivent pas être considérées comme concurrentes.
Ce qui constitue la plate-forme commune de ces pratiques diverses, c'est le caractère «généraliste» ou, en d'autres termes, transverse des soins où les pratiques différentes sont réunies par l'absence de spécificité d'organes, mais plutôt par une spécificité de l'approche conceptuelle et des missions. Il s'agit de tri, il s'agit d'accueil, il s'agit de mise en condition, c'est-à-dire de stabilisation (voire réanimation), d'équipement et d'accompagnement (vers le prochain maillon de la chaîne) dans les meilleures conditions possibles de rapidité et d'efficacité. Verra-t-on un jour se développer une réelle spécialité en médecine d'urgence à l'image des Anglo-Saxons ? Nous en sommes peut-être encore loin, mais la reconnaissance par la FMH d'une formation spécifique du médecin d'urgence SSMUS est un pas important qu'il convient de valoriser. Il s'agit en effet d'un réel effort d'améliorer l'efficience des soins de notre système sanitaire.
La médecine d'urgence est un vaste ensemble de pratiques médicales opérant dans différents maillons de ce qu'il est convenu d'appeler la chaîne des urgences. A ces différents maillons correspondent des missions, et dès lors une formation spécifique dont nous venons de parler. L'identification précise de ces missions, et dès lors de ces compétences requises, permet d'élaborer une formation post-graduée des médecins répondant à ces besoins. Si les choses sont maintenant bien établies pour ce qui est de la formation spécifique de médecin d'urgence SSMUS, il n'en va pas encore de même pour la formation à l'urgence des médecins de premier recours ou pour celle des médecins exerçant dans les centres d'urgence hospitaliers. Une standardisation de ces formations doit être entreprise et reste de mise. De plus, si la question de la formation continue du médecin d'urgence SSMUS est actuellement à l'étude dans le cadre de l'attestation de formation complémentaire pour cette catégorie de formation, il n'en va pas de même pour ce qui est de la formation continue à l'urgence des médecins de premier recours ou des médecins hospitaliers. Nous pouvons espérer qu'au cours des prochaines années ces concepts voient le jour et aboutissent à une offre de formation standardisée et organisée pertinente.