faux projetsVictoire ? Ou simple manuvre politicienne ? Difficile de trancher. Seule chose claire : lundi 18 septembre, le Conseil fédéral a renoncé à son projet de supprimer l'obligation de contracter. Certains font mine de ne pas être contents. Les parlementaires, par exemple, qui avaient demandé au Conseil fédéral de faire des propositions permettant aux assureurs de choisir les médecins. Les assureurs également qui se réjouissaient déjà en rêvant au pouvoir qui allait leur échoir. Mais c'est surtout H. Raggenbass, le Conseiller national-président du conseil d'administration de Swica ayant lancé la motion parlementaire, qui boit la tasse. L'après-midi de l'annonce encore, semble-t-il, il était sûr du oui du Conseil fédéral. Intoxication ?Pour les médecins, la première réaction est de pousser un ouf de soulagement. Mais immédiatement après, il leur faut se demander : à quoi a rimé le lancement de ce projet mal ficelé, puis mal défendu ? Que restera-t-il dans l'esprit de la population de ce gâchis de fausses informations et de faux-semblants ? Et si ce n'était que la première tentative d'une volonté qui ne cessera pas de s'exprimer tant qu'elle n'aura pas obtenu ce qu'elle veut ? Les très nombreux parlementaires administrateurs de caisses ou stipendiés par celles-ci vont revenir à la charge, évidemment.***Présentant les mesures accompagnant l'annonce du retrait du projet de loi sur l'obligation de contracter, Ruth Dreifuss a expliqué qu'elle allait obliger les assureurs à offrir dans toute la Suisse les formes différentes d'assurance que sont les HMO ou le modèle du «médecin de famille». Une décision visant avant tout, d'après M.-C. Petit-Pierre, à donner aux caisses «l'occasion de montrer comment elles mettraient en uvre la levée de l'obligation de contracter». Nous y voilà. Le projet n'est donc que provisoirement abandonné. Quant à l'occasion de montrer ce qu'elles feraient, les caisses l'ont depuis des années. Le résultat n'est pas très brillant.Sans compter que, pour entrer dans les HMO mises sur pied par les caisses, on ne peut pas dire qu'il y ait engouement populaire. Soyons francs : c'est même un flop. Alors, pourquoi persévérer ? Pour maîtriser les coûts de la santé ? La solution n'est pas la bonne. Aux Etats-Unis, non seulement les HMO ont soulevé à peu près tout le monde contre eux mais en plus ils n'ont pas réussi à entraîner une baisse durable de ces coûts. Tout indique que les HMO punitifs et contrôlant des assureurs suisses ne feront pas mieux. Il faudrait organiser des réseaux centrés sur les besoins des patients et motivant les médecins. A quand le courage politique de cette révolution copernicienne ?***Et puis ce petit trait mesquin, pour ne pas perdre la face, concernant les médecins de plus de 65 ans. Alors que le projet de supprimer l'obligation de contracter a semblé inadapté et mauvais à la grande majorité des milieux interrogés, le Conseil fédéral décide qu'il sera quand même appliqué aux médecins de plus de 65 ans. Avec le motif que la probabilité est plus grande, à cet âge, que le médecin ne suive plus une formation capable d'assurer une qualité suffisante des soins. Ah bon ? Mais comment les caisses pourront-elles juger de cela ? Voilà une question qui ne sera jamais posée. Les caisses, évidemment, se précipiteront pour exclure tous les praticiens dépassant cet âge, et le jour prochain où la retraite à la carte sera une réalité pour toutes les professions, les médecins en seront exclus parce qu'il fallait bien donner, un jour de septembre 2000, un lot de consolation aux assureurs. Pas un projet de réforme du système de santé qui ne les favorise. Si le projet ne passe pas, ils ont droit aux égards dus aux martyrs. Les assureurs seraient-ils une organisation politique tirant les ficelles dans l'ombre ? Pas impossible, à lire une étonnante interview de Françoise Saudan conseillère aux Etats probablement la plus au fait de la politique de santé publiée par la Tribune de Genève du 18 septembre. Voici ce qu'elle dit : «Toutes les grandes caisses-maladie ont leurs administrateurs qui siègent au Parlement et gagnent des dizaines de milliers de francs. Résultat : dès que les caisses ont un petit souci la prise en charge des requérants d'asile, par exemple elles obtiennent immédiatement un arrêté fédéral urgent. C'est invraisemblable !».Qui sont exactement les administrateurs des caisses à siéger au Parlement ? Sont-ils devenus administrateurs après être entrés au Parlement ? Combien reçoivent-ils et pour quels services ? Se trouve-t-on, oui ou non, devant une forme larvée de corruption ? Un peu plus loin, dans la même interview, Mme Saudan évoque des «séminaires» organisés par les caisses, où sont «invitées» des personnalités politiques. Cela se fait-il avec l'argent de nos primes ? Dans quel but politique ? Avant de suivre le Parlement dans de nouveaux projets de lois qui tendent à renforcer le pouvoir des assureurs, Ruth Dreifuss devrait exiger enfin la transparence que tous les acteurs du système de santé demandent. La clarté des comptes des assureurs n'est pas qu'une question économique. Elle est, et de façon pressante, une question posée au fonctionnement de la démocratie helvétique. On s'y attendait et c'est arrivé : le Conseil fédéral a approuvé le tarif médical unifié TarMed. Mais ce n'est sans doute que le début de l'histoire. Car il faudra encore que tout le monde caisses-maladie, hôpitaux, médecins se mette d'accord sur le contrôle de la neutralité des coûts. Enorme sac d'embrouilles. Qu'est-ce que cette neutralité, en effet ? Et sur quels chiffres, et de quelle année, la baser ? Comment déterminer ce que serait la juste augmentation des coûts, due au vieillissement de la population et aux nouvelles procédures, de celle qui résulterait de la tarification elle-même ? Des manuvres en coulisses pourraient bien essayer d'utiliser le système de contrôle de la neutralité pour introduire ce que le passage au tarif TarMed devait éviter : un budget global. Politiquement, les médecins semblaient avoir ga-gné sur toute la ligne, la semaine dernière. Sont-ils «intouchables» ? se demandait même, en titre, La Liberté du 20 septembre. Etrange renversement de situation. La réalité est une immense lassitude face aux décisions politiques. Eric Rochat s'en fait l'écho, dans un très bel édito publié dans le Bulletin des médecins suisses de la semaine dernière. «D'ukases en enquête, de restriction en prélèvement, de colloques en tables rondes, quelles que soient nos motivations, nous sommes tous las, et chaque jour un peu plus».B. Kiefer