Pourquoi une médecine«communautaire» ?
A. Pécoud
M. Burnier
Rev Med Suisse
2000; volume -4.
20876
Résumé
Ce numéro rassemble une série d'articles issus du Département universitaire de médecine et santé communautaires de Lausanne. Il est destiné à étoffer notre réflexion sur le sens de la médecine communautaire, cette tentative de développer une médecine «idéale» (idéaliste ?) où le médecin est à la fois imprégné de la volonté d'aider l'individu souffrant et profondément concerné par l'état de la société qui l'entoure.Le lecteur trouvera une réflexion des Drs M. Célis et M. Vannotti : l'expérience de l'approche systémique permet à ces auteurs de décliner les différents niveaux de l'interaction entre l'individu et son environnement. La «complexité» n'est pas l'apanage de l'approche bio-psycho-sociale :l'article de la Dresse A. Pechère-Bertschi sur l'hypertension chez la femme montre à quel point la complexité fait partie du processus biologique. L'épidémiologie clinique est une branche essentielle à la médecine communautaire : l'article des Drs J. Cornuz et B. Favrat traitant du «risque absolu» devrait être lu par tout médecin continuellement soumis aux publicités de l'industrie pharmaceutique. Les «alcoologues» des années 1980 s'intéressaient avant tout à la cirrhose et autres lésions somatiques provoquées par l'alcool ; l'alcoologie moderne a remonté le temps du patient en explorant les 20 ou 30 années qui précèdent les dégâts. Elle vise à former des soignants capables d'infléchir cette longue marche qui va du plaisir à la consommation excessive puis à la dépendance : J.-B. Daeppen détaille une méthode relativement simple pour aborder ce problème, «l'intervention brève», aux confins de la thérapeutique et de la prévention. Enfin, deux articles nous font passer clairement dans la prévention : la lutte contre l'hépatite B dans les prisons(Dr M.-A. Boillat) et la qualité exigée de la mammographie (Dr F. R. Verdun et coll.). Cette technique est proposée à des femmes sans maladie, elle n'est donc pas autorisée à faire courir le moindre risque à ces personnes.Cette suite d'articles met donc ensemble les approches individuelles et populationnelles. Toutes deux sont bien sûr indispensables et se sont développées avec force au profit de notre santé, mais souvent de façon dichotomique. Faut-il tenter de faire coïncider ces deux approches chez le même soignant ? Le médecin de premier recours n'est-il pas, de par sa position dans la société, la personne qui devrait toujours «penser individu et communauté» ? Dans notre pays, beaucoup d'activités du généraliste réalisent déjà cette association : médecin scolaire, activité du médecin «sentinelle», implication dans les campagnes de prévention, etc. Pourquoi faut-il développer cette association bien qu'elle se rapproche de «l'utopie», puisqu'il s'agit souvent de mettre ensemble des intérêts contradictoires ? Nous croyons qu'il s'agit d'une tâche prioritaire de l'enseignement, exigée par les défis qui nous attendent. En effet, l'augmentation, sans limite, de la demande en soins et celle, également sans limite, de l'offre des systèmes de soins, seront de plus en plus confrontées aux limites des possibilités de financement : la génération des médecins actuellement en formation devra affronter cette impasse. La volonté d'associer le bien de l'individu et celui de la société devra se faire à tous les niveaux de la médecine, mais c'est peut-être au début de la chaîne, au lieu du «premier recours», qu'elle se fera avec le plus de conséquences. A ce niveau, l'utopie d'associer l'intérêt individuel et celui de la collectivité sera tentée par une personne (et non par un système), concernée par la souffrance de l'autre, désireuse de réaliser l'alliance thérapeutique et dont les armes principales seront le dialogue et le partenariat : peut-être que, dans ces conditions, la gestion des choix sera moins déchirante que celle qui serait dictée par les coupures de budgets publics, les directives des assurances ou les arrêtés fédéraux...
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Policlinique médicale universitaire
Département universitaire de médecine et santé communautaires
Lausanne