Le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie exige un niveau de qualité élevé tant technique que médical afin d'être compatible avec les exigences de radioprotection en vigueur au sein de l'Union européenne et en Suisse. Ce n'est qu'à ce prix que cet examen associé à une irradiation par rayons X, et destiné à des femmes qui ne présentent aucun symptôme, est acceptable d'un point de vue éthique. Lorsque les requis de qualité sont satisfaits, le risque associé à l'utilisation des radiations ionisantes est minime, et ne pose pas de problème, lorsque l'on considère les bénéfices associés à la détection précoce d'une pathologie maligne.
Le cancer du sein constitue l'un des problèmes de santé publique les plus importants dans les pays développés. En Suisse, chaque année près de quatre mille femmes apprennent qu'elles sont atteintes par ce cancer. Le cancer du sein est responsable de la mort de plus de mille quatre cents femmes.1
Actuellement, il n'existe pas de mesure préventive primaire réellement acceptable susceptible d'éviter aux femmes l'apparition d'un cancer du sein. En l'absence d'une telle possibilité, la mammographie constitue le seul examen qu'on puisse proposer aux femmes pour lutter avec efficacité contre le cancer du sein. En effet, elle permet de mettre en évidence les signes précoces d'un cancer du sein avant que ce dernier ne se traduise par des signes cliniques. La mammographie de dépistage s'est véritablement imposée dans les pays occidentaux comme la méthode de choix pour une mesure de prévention secondaire du cancer du sein.
La mammographie est une technique d'imagerie qui, conceptuellement, est simple. Cependant, la mise en évidence des pathologies mammaires requiert un niveau de qualité d'image qui dépasse toutes les autres techniques radiologiques, tant au niveau de la résolution spatiale (détection et caractérisation de microcalcifications) qu'au niveau de la résolution en contraste (détection de masses dont les caractéristiques physiques sont très proches du tissu sain). Ces requis imposent l'utilisation de rayons X dont l'énergie est inférieure à celle utilisée en radiologie conventionnelle, ainsi que l'emploi de systèmes de détection moins sensibles que ceux utilisés pour la radiographie standard. Dans ces conditions, une légère déviation au niveau des paramètres d'exposition ou de développement du film se traduit par une variation de dose significative. A titre indicatif, une différence d'un kilovolt peut engendrer une différence de dose de 40%. Ceci justifie la nécessité d'utiliser des paramètres d'exposition adéquats afin de réduire la dose délivrée à la personne dépistée, et d'instaurer un contrôle de qualité de toute la chaîne radiologique. En Suisse, ce point est couvert par l'application de l'Ordonnance sur les installations radiologiques à usage médical (ORX).
Les requis de qualité ne s'arrêtent pas là. Le positionnement et la compression constituent tout autant des points critiques de la qualité des clichés. Ceci vient d'être confirmé par une étude américaine récente consacrée à l'analyse des clichés produits dans un programme de dépistage où les chaînes radiologiques étaient optimisées. Les résultats de cette étude ont montré que 44% des mammographies n'étaient pas correctement positionnés.2 Ainsi, même si d'un point de vue technologique les installations de mammographie sont relativement simples, elles nécessitent des techniciennes (ou techniciens) en radiologie médicale motivées, attentives et spécifiquement formées pour cette activité.
Lorsque la mammographie est réalisée chez une femme qui présente une symptomatologie susceptible de correspondre à un cancer du sein, la dose d'irradiation délivrée est justifiée (pour autant que la technique soit optimisée), puisque le risque encouru par cette irradiation est nettement moindre que le risque de ne pas diagnostiquer un cancer du sein en renonçant à la mammographie. Le choix ne se pose pas dans les mêmes termes lorsque la mammographie est proposée à une femme qui ne présente aucun symptôme, et qui a été sollicitée pour effectuer cet examen dans le cadre d'un programme organisé de dépistage. En effet, dans de tels programmes, un cancer du sein sera diagnostiqué chez un très petit nombre de femmes (entre 4 et 7 sur mille femmes dépistées par année).
Dans ce contexte, le dépistage du cancer du sein par mammographie n'est acceptable que si les inconvénients liés à la réalisation d'une mammographie de dépistage sont réduits à un minimum acceptable. Des règles strictes de contrôle de la qualité à chaque étape du dépistage, notamment au niveau de la qualité des images et des doses délivrées sont définies partout où des programmes de dépistage sont mis en uvre. En Suisse, le Conseil Fédéral a promulgué en date du 23 juin 1999, une ordonnance sur les prestations de soins définissant les critères de qualité que doivent satisfaire les mammographies de dépistage pour être remboursées par les caisses d'assurance maladie. L'un de ces critères précise que les mammographies de dépistage doivent être réalisées dans le cadre de programmes organisés. Les exigences de cette ordonnance en la matière rejoignent les recommandations formulées par l'Union européenne dans le cadre du programme «Europe contre le cancer».3 S'agissant du contrôle de la chaîne radiologique, le nombre des paramètres qui doivent être évalués et la fréquence des contrôles de qualité sont beaucoup plus élevés que ceux requis par l'ORX. Le contrôle de qualité concerne également l'interprétation des mammographies de dépistage. Une mesure essentielle imposée pour optimiser la qualité de lecture des clichés est l'obligation d'organiser une lecture multiple, et indépendante, des mammographies par au moins deux radiologues différents.
Depuis environ une année, les cantons de Vaud, du Valais et de Genève ont mis en place un programme de dépistage organisé.4 Les recommandations européennes sont appliquées dans tous les instituts participant aux programmes. En outre, un cours de formation des techniciennes (et techniciens) en radiologie a été mis en place afin d'assurer une homogénéité de la qualité dans le positionnement.
Cet article s'intéresse exclusivement à l'aspect lié à l'irradiation consécutive à la réalisation de la mammographie de dépistage. Son objectif est de présenter les résultats obtenus dans les différents instituts intégrés aux programmes de dépistage vaudois, valaisan et genevois au niveau des doses délivrées. Ceci, afin de démontrer que le risque radiologique associé à la mammographie de dépistage est extrêmement faible par rapport aux avantages qu'offre la détection précoce du cancer du sein.5,6
Bien qu'il n'ait jamais été prouvé qu'une femme ait développé un cancer du sein à la suite de mammographies multiples, même sur une longue période, on ne peut écarter ce risque puisqu'une augmentation de l'incidence du cancer du sein a pu être démontrée parmi des populations exposées à des doses beaucoup plus élevées (200-250 mSv) que celles habituellement délivrées à l'occasion d'examens mammographiques (3 à 4 mSv par examen).7
L'estimation du risque radiologique lorsqu'il est question de faibles doses est complexe. En effet, les cancers radio-induits sont histologiquement semblables aux cancers spontanés. Ainsi, l'évaluation du risque lié à l'irradiation ne peut se faire qu'en mesurant l'excès de cancers observé par rapport au nombre de cancers correspondant à l'incidence naturelle. Cette méthodologie, pour mettre en évidence des différences significatives, nécessite d'étudier des populations d'autant plus nombreuses que la différence de dose mesurée est petite. Ainsi, si 2000 patientes sont nécessaires pour mettre en évidence l'effet d'une irradiation à 200 mSv (1000 patientes exposées 1000 patientes non exposées), 200 000 patientes seront nécessaires pour démontrer un effet lié à une irradiation de 20 mSv. L'exploitation des données actuellement disponibles dans ce domaine montre que le facteur de risque d'induction du cancer du sein à partir de 40 ans est de l'ordre de 5.0 10-4par Sv. année. Il est important de noter que ce risque diminue avec l'âge.
En utilisant ce type d'estimation, une comparaison entre le risque d'induction de cancer lié à la mammographie (en considérant une période latente de dix ans) et l'incidence naturelle du cancer du sein est présentée dans le tableau 1. Ces données concernent les Pays-Bas, mais sont tout à fait transposables à la Suisse.8 Elles ont été adaptées à un dépistage bisannuel débutant à 50 ans, et où la dose délivrée est de 2 mSv par examen.
Pour cette population, une femme qui entre dans un programme de dépistage à 50 ans, et qui fait une mammographie tous les deux ans avec une dose de 2 mSv, a 520 fois moins de risque de développer un cancer radio-induit qu'un cancer spontané. Ainsi, le risque associé à la mammographie est largement compensé par l'avantage qu'offre le dépistage, puisqu'il permet de réduire le risque de décéder consécutivement à un cancer du sein.
Afin de s'assurer de la qualité de la chaîne d'imagerie des unités de radiologie impliquées dans les programmes de dépistage vaudois et valaisan, un audit portant sur l'évaluation du rapport dose d'exposition-qualité d'image a été organisé au début du mois de septembre 1999 dans le canton de Vaud et en avril 2000 dans le canton du Valais. Plusieurs instituts genevois ont également été contrôlés durant l'année 2000. Dans chaque unité de radiologie contrôlée, le même objet-test MTM 100 (fantôme) doté de dosimètres thermoluminescents a été exposé dans les mêmes conditions que celles utilisées pour le dépistage. Cet objet-test est présenté à la figure 1. Pour améliorer la statistique, deux clichés ont été systématiquement effectués et chaque cliché a été évalué par trois lecteurs. Cet objet-test comporte sept groupes de microcalcifications (de tailles décroissantes), sept masses de différentes tailles, et sept structures linéaires de faible contraste. Lorsque cet objet-test est radiographié, il est possible de déterminer un score global qui sert d'indicateur pour évaluer la qualité d'image produite par l'installation. Le but poursuivi est d'obtenir un score le plus élevé possible tout en maintenant la dose requise au niveau le plus bas possible. En accord avec les centres responsables de la coordination des programmes genevois, valaisan et vaudois, un score minimal de qualité d'image de 24 a été fixé. La dose glandulaire maximale pour cet objet-test de 45 mm a été fixée à 2 mSv. Ces exigences sont conformes aux recommandations européennes.
Les scores et les doses à l'entrée mesurés pour l'ensemble des unités de radiologie investiguées dans les trois cantons sont présentés à la figure 2. L'analyse des résultats montre que la situation du niveau de la qualité d'image et de la dose dans les instituts évalués est globalement satisfaisante puisque, pour la limite de dose appliquée dans le cadre du dépistage, pratiquement toutes les unités de radiologie obtiennent des scores de qualité d'image supérieurs au minimum fixé. La dose moyenne obtenue pour l'ensemble des instituts impliqués dans cette étude est de 0,96 mSv pour un score de qualité d'image moyen de 36.
De ce fait, la dose moyenne pour un examen de mammographie de dépistage est d'environ 2 mSv puisqu'il nécessite deux incidences par sein. Cette situation correspond à celle mentionnée dans le tableau 1. Ainsi, dans ces programmes, le risque pour des femmes asymptomatiques de décéder d'un cancer du sein radio-induit est 520 fois moins élevé que celui de décéder d'un cancer d'origine naturelle. Comparé à la prévalence du cancer du sein dans la population suisse, ce risque est négligeable et la dose engagée dans ces programmes est tout à fait acceptable.
Nous n'avons abordé jusqu'à présent que la dose délivrée au sein. Afin de comparer le risque radiologique associé à la mammographie avec les techniques d'imagerie utilisant des radiations ionisantes sur d'autres parties du corps, on introduit la notion de dose effective. Cette grandeur est une mesure du risque global lié à l'irradiation. Elle s'obtient par sommation pondérée des doses aux divers organes. La figure 3 compare la dose effective délivrée lors d'une mammographie de dépistage avec les doses délivrées par les examens les plus courants. A titre indicatif, l'irradiation naturelle délivre à la population une dose effective annuelle de 4 mSv. On retiendra qu'un examen de dépistage (deux incidences par sein) délivre une dose comparable à dix radiographies intra-orales dentaires, ou qu'une radiographie de l'abdomen irradie dix fois plus qu'un examen de dépistage. Cette figure permet de confirmer le fait qu'une mammographie effectuée de manière optimale est un examen peu irradiant.
Par principe, il est important de limiter au strict minimum l'irradiation provoquée par un examen mammographique, en particulier lorsqu'il est prescrit à des fins de dépistage chez une femme qui ne présente aucune plainte. La meilleure façon d'y parvenir est d'appliquer un processus d'assurance de qualité comme l'ont fait les programmes de dépistage organisé mis en uvre dans les cantons de Genève, du Valais et de Vaud. Ce processus inclut notamment un contrôle de qualité de l'ensemble de la chaîne radiologique des instituts qui participent à ces programmes cantonaux. L'audit conduit par l'IRA confirme que ces instituts disposent d'installations qui satisfont aux normes définies par le programme «Europe contre le cancer».
Toutefois, l'exigence de qualité ne se limite pas aux aspects liés à l'irradiation des patientes. D'autres défis doivent être relevés par les intervenants qui participent à l'exécution des mammographies de dépistage. On insistera en particulier sur le positionnement et la compression, facteurs clés dans la réussite des clichés. En effet, dans le cadre du dépistage, les clichés sont les seuls éléments dont disposent les radiologues lorsqu'ils doivent décider s'il y a lieu ou non de procéder à des investigations complémentaires. L'effort de formation entrepris tant au niveau des techniciennes qu'au niveau des radiologues devra être poursuivi.
Enfin, les nouvelles technologies, telles que les installations numériques à lecture directe ou différée, ne devront être introduites dans le réseau du dépistage qu'après avoir fait l'objet d'une évaluation mesurant à la fois l'amélioration de qualité des clichés qu'elles apportent et leur capacité à maintenir la dose d'irradiation à un niveau acceptable.