En ces temps de grandes incertitudes, alors même que partout rôdent les millénaristes de tout poil, on se plaît à situer l'importance des événements en les rangeant aux rayons des records, des prouesses technologiques, des premières mondiales. C'est ainsi sous ce dernier vocable que certains médias ont salué la «légalisation de l'euthanasie» telle qu'elle a été approuvée, mardi 28 novembre, par
la grande majorité des députés du Parlement néerlandais, faisant ainsi des Pays-Bas le «premier Etat au monde» à autoriser officiellement cette «intervention médicale traditionnellement contestée». L'histoire, donc, retiendra que c'est devant un public venu nombreux, que les députés néerlandais ont voté le texte de loi qui leur était proposé et ce, avec une majorité sans appel de 104 voix con-
tre 40.
Pour entrer en vigueur, la nouvelle loi doit certes encore être approuvée par le Sénat, mais cette procédure paraît acquise, les partis favorables au projet disposant dans cette enceinte d'une majorité confortable. Seule la province australienne des «territoires du Nord» avait jusqu'à présent voté c'était en juillet 1996 une loi légalisant l'euthanasie avant qu'elle ne soit, quelques mois plus tard, abrogée au niveau fédéral. Aux Pays-Bas, la loi permettra aux médecins de recourir à l'euthanasie sans être poursuivis par les tribunaux, du moins s'ils respectent certaines conditions pratiques. Les praticiens devront se tenir à deux règles : s'assurer que le malade est affligé de souffrances «insupportables», qu'il n'a aucun espoir de survie et qu'il souhaite «réellement mettre fin à ses jours». Ils devront ensuite se soumettre au contrôle de commissions régionales spécialisées, chargées de veiller à ce que ces conditions auront été respectées. Ces commissions, constituées de médecins, pourront saisir la justice en cas de non-respect des conditions requises.
«Une loi, selon laquelle le souhait réfléchi de mettre fin à ses jours d'une personne mourante est accordé, est à sa place dans une société adulte», a estimé le ministre néerlandais de la Justice, Benk Korthals. En d'autres termes, dans ce pays, la pratique de l'euthanasie ne sera plus seulement «tolérée» comme elle l'est depuis 1996, mais bel et bien «légale». Autre «innovation» : les mineurs
pourront opter pour l'euthanasie à partir de 16 ans et ce sans l'accord de leurs parents. Le gouvernement a toutefois retiré en juillet une des dispositions les plus controversées du texte, qui prévoyait d'accorder l'accès à la mort choisie dès 12 ans. Dans la loi qui vient d'être votée, les mineurs âgés de 12 à 16 ans devront «bénéficier» de l'accord de l'un de leurs parents.
«Le débat parlementaire précédant le vote n'a pas été sans émotions, rapporte l'Agence France-Presse. Il a ravivé de vieux différends entre les partis chrétiens et ceux de la coalition gouvernemen-
tale du Premier ministre travailliste,
Wim Kok : sa propre formation, le PvdA (social-démocra-
te), le D66 (ré-
formiste de gau-
che) et le VVD (libéral de droite). Pour les partis de la coalition, après 25 ans de discussions, le gouvernement prend enfin ses responsabilités'». Restons un instant dans le strict champ politicien néerlandais. Les chrétiens-démocrates du CDA, parti d'opposition depuis 1994 après 76 années d'exercice du pouvoir, ont estimé que le gouvernement «veut réconcilier l'irréconciliable» alors qu'il est censé «protéger la vie humaine».
Les petits partis chrétiens conservateurs, SGP et Union chrétienne, descendants directs de l'ancien système politique néerlandais dans lequel les Eglises avaient une forte audience dans la vie publique, sont allés jusqu'à qualifier la loi de «monstre juridique». Selon les chiffres officiels des commissions déjà en place depuis 1998, sur 2565 cas d'euthanasie rapportés depuis cette date, 90% étaient des malades en phase finale d'une pathologie cancéreuse.
Au lendemain de cette décision, comme soudain inquiète de la portée d'un tel geste, la presse néerlandaise s'intéressait plus au traitement du sujet par la presse internationale qu'au vote proprement dit. «Les Pays-Bas surprennent à nouveau», titrait pour sa part l'Algemeen Dagblad (de centre-droit) qui reprend les réactions, positives et négatives, de ses confrères étrangers et de différentes organisations concernées par la question de l'euthanasie. Le titre observe qu'une fois encore les Pays-Bas offrent à l'étranger l'image d'un pays où «tout est possible», la mort accordée après le tourisme de la drogue et celui du sexe, «il sera à présent possible d'acheter un billet simple pour Amsterdam» écrit le quotidien.
«Je ne suis pas étonnée de la présence des médias étrangers, déclare, pour sa part, la ministre néerlandaise de la Santé, Els Borst, au Volkskrant (journal de cen-
tre-gauche). L'euthanasie est pratiquée également dans d'autres pays, mais clandestinement.» Quant au quotidien Trouw (protestant de gauche), il reprend les réactions des différentes religions face au précédent néerlandais. «Atteinte à la dignité humai-
ne» selon le porte-parole du Vatican, «Meur-
tre d'après la Bible», selon le rabbin Evers. L'euthanasie éveille plus la compréhension des bouddhistes. «Une loi qui permet l'autodétermination convient au bouddhisme», a expliqué un universitaire spécialiste de cette religion, Han de Wit. Quant à De Telegraaf (droite), il croit pouvoir affirmer que les parlementaires néerlandais ont écrit une «page d'histoire» en approuvant à une large majorité une loi considérée par le monde entier comme d'«avant-garde».
C'était le mardi 28 novembre 2000, aux Pays-Bas, dans notre bonne et déjà si vieille Europe. W