On peut distinguer, en matière de journalisme, ces deux catégories bien différentes que sont le fait divers et le feuilleton. Au premier, la célèbre unité de temps, de lieu et d'action ; au second, la durée, les rebondissements, l'éventail des possibilités et l'élargissement de l'espace géographique. Et quand les enjeux atteignent un certain seuil dans la perception et la symbolique collectives le feuilleton devient une «affaire». C'est ainsi qu'il y a désormais un feuilleton et une affaire de la vache folle, un feuilleton apparemment inépuisable et une affaire dont nul ne peut prédire l'épilogue. Plus de journée sans information, sans déclaration, sans retour en arrière et mise en perspective. On se souviendra sans doute des années charnières de ce deuxième millénaire comme les années «vache folle», le décalque mortifère à un siècle de distance des «années folles» et d'une euphorie que l'on pensait perpétuelle.
A Munich, les autorités bavaroises viennent de confirmer avoir détecté un second cas autochtone et disent suivre de près deux bovins qui pourraient également en être atteints. L'Allemagne apprend ainsi une vérité qu'elle avait longtemps cru pouvoir nier. Les tests ont confirmé qu'une vache née en 1995 et abattue à Kempten, dans le sud du pays, était atteinte d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), a indiqué dans un communiqué le secrétaire d'Etat à la Santé bavarois, Georg Schmid. Il a précisé que toutes les bêtes du troupeau seraient abattues, et leurs carcasses détruites. M. Schmid a pris soin d'ajouter que l'on ne pouvait pas raisonnablement exclure la découverte d'autres cas dans cet Etat, et qu'il comprenait les angoisses des consommateurs. «Je n'achète ma viande que chez un boucher en qui j'ai confiance, et dont je sais d'où provient sa viande», a-t-il déclaré à l'agence de presse Reuters.
A Madrid, le quotidien El Pais nous apprend qu'une vache d'origine française et présentant tous les symptômes de l'encéphalopathie spongiforme bovine a été abattue cette semaine à Burgos alors qu'elle était seulement en chaleur. Observant chez cette bête des tremblements fréquents comme dans les cas de vaches atteintes de l'ESB, les services vétérinaires ont recommandé qu'elle soit abattue. Après l'autopsie, il s'est toutefois avéré que l'animal se trouvait tout simplement en période de rut.
Un cas de tremblante du mouton, maladie proche de l'ESB, vient d'être détecté dans un important troupeau de chèvres du département français de la Vienne. «La tremblante, pathologie fréquente chez les moutons mais très rare chez les chèvres, a été détectée il y a plusieurs mois dans un troupeau d'une centaine de caprins dans la région de Gençay, au sud de Poitiers, et l'animal malade a aussitôt été incinéré, a précisé une source électorale sous couvert d'anonymat» précise l'Agence France-Presse. «Les cas de tremblante chez la chèvre sont des cas isolés, très rares mais pas anormaux, et il n'y a pas d'inquiétude à avoir, a expliqué un vétérinaire. Nous pouvons assurer que la tremblante ne passe pas dans le lait et donc que sa consommation ne présente aucun risque, en l'état actuel des connaissances scientifiques». Et s'il ne s'agissait pas de tremblante mais d'ESB, faudrait-il s'inquiéter ? Aucun abattage du cheptel caprin concerné n'est envisagé à ce jour, car pour la tremblante, l'abattage ne s'effectue que lorsque 10% du troupeau sont concernés par la maladie.
Abattre, ne pas abattre ? Telle est la question récurrente. A Saint-Etienne, c'est un troupeau de près de 300 vaches laitières d'un éleveur du département de la Loire, au sein duquel se trouvait jusqu'en 1996 un animal récemment diagnostiqué, porteur de l'agent de l'ESB, qui va être abattu. Le cas, révélé par l'hebdomadaire La Gazette de la Loire, est dit «à rebondissement», l'animal malade ayant été découvert le mois dernier dans le département de l'Ain. Le troupeau de 150 vaches laitières auquel il appartenait alors a été abattu un mois après. La vache laitière de race Prim'Holstein, née en 1993 en Saône-et-Loire, avait séjourné pendant 14 mois dans un groupement agricole, exploitation en commun de la Loire, réputé pour pratiquer une sévère sélection depuis des années et pour la qualité génétique de son troupeau. Des représentants agricoles expriment une nouvelle fois leurs critiques jugeant excessif l'abattage systématique de l'ensemble des troupeaux au sein desquels les bêtes malades ont séjourné et préconisant qu'il soit limité aux animaux de la même lignée.
S'inquiéter, ne pas s'inquiéter ? Et à quel saint se vouer ? «L'Union européenne a agi sous le coup de la panique, cédant aux pressions des consommateurs», estime Emmanuel Vanopdenbosch, du Centre belge pour la recherche vétérinaire et agrochimique, dans un entretien publié par le quotidien De Standaard. «Au lieu de circonscrire le risque d'ESB, ils ont en réalité créé un risque sanitaire encore plus grand», a ajouté Vanopdenbosch, conseiller auprès du Gouvernement belge et de la Commission européenne. Selon lui, la décision européenne d'interdire provisoirement les farines carnées et d'abattre tous les bovins âgés non testés créera des tonnes de déchets et pourrait s'avérer extrêmement coûteuse. Il a estimé que, pour la Belgique seule, l'interdiction des farines carnées impliquait l'incinération d'un million de tonnes de nourriture pour bétail, une mesure dont le coût s'élèvera à 244,8 millions de dollars.
Par ailleurs, a-t-il souligné, il faudra stocker avant destruction des tonnes de carcasses d'animaux. «J'ai vu ce qui se passe en Angleterre, poursuit-il dans De Standaard. Des rats, des chats, des chiens, des souris mangent des farines carnées et les disséminent. C'est un risque majeur, parce que les chats et les rongeurs sont également susceptibles de contracter l'ESB». Le feuilleton, sinon le spectacle, peut continuer.
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