On peut espérer que la composante inflammatoire de l'asthme puisse être maîtrisée à l'avenir par divers antagonistes plus spécifiques que ne l'était la première génération d'anti-inflammatoires stéroïdiens. Ces antagonistes sont issus d'une meilleure connaissance des mécanismes de l'inflammation allergique et incluent des antagonistes directs des cellules T (anti-CD4), des antagonistes des cytokines produites par les cellules T ou les mastocytes (interleukine 4 et interleukine 5), ou sécrétées par la cellule présentatrice de l'antigène (interleukine 12). Un monoclonal anti-IgE est proche d'être commercialisé. Si elles n'aboutissent pas toutes à des traitements efficaces, ces nouvelles approches contribuent à mieux comprendre le rôle des divers systèmes cellulaires dans la pathogénie de l'asthme.
Les lymphocytes T, et à leur suite mastocytes, éosinophiles et neutrophiles jouent un rôle-clé dans l'induction et la perpétuation de la réponse inflammatoire asthmatique.1 Deux autres partenaires, les cellules épithéliales bronchiques et les myofibroblastes, contribuent vraisemblablement fortement à cette réponse inflammatoire puisque ces deux lignées cellulaires sont également capables de produire des médiateurs pro-inflammatoires (cytokines, chémokines, métabolites de l'acide arachidonique, etc.) et de contribuer au remodelage de la paroi bronchique.2 Une connaissance de plus en plus précise des mécanismes conduisant à la polarisation lymphocytaire T de type TH2, à la production des immunoglobulines IgE spécifiques d'allergènes, à l'attraction in situ des éosinophiles (chimiotactisme), a ouvert la voie à l'élaboration de divers agents capables de contrecarrer la mise en place de ce réseau immunologique favorable à l'allergie. Nous passerons en revue ici certaines des approches les plus prometteuses, pour la plupart d'entre elles en phase d'essai clinique de stade I à II, voire III pour certaines, et dont on peut s'attendre à une utilisation dans la pratique, dans certains cas, même dès 2001.
Divers modèles animaux, puis les études humaines ont permis de démontrer l'importance de l'interleukine 4 dans l'induction du phénotype allergique, dans le maintien de la polarisation du lymphocyte TH2 et dans la production des IgE.3,4 L'interleukine 4, archétype de la cytokine de type TH2, est sécrétée en majeur partie par les lymphocytes T, dans une moindre mesure par les mastocy-tes et les basophiles.5 Dans la même famille des cytokines de type TH2, on compte également l'interleukine 5 responsable de la maturation, de l'activation et du maintien en vie des éosinophiles,6 l'interleukine 13 dont les fonctions recoupent fréquemment celles de l'interleukine 4, mais qui paraît dans l'asthme porter plus volontiers la responsabilité de l'hyperréactivité bronchique7 avec l'interleukine 9, et l'interleukine 10.
Fin 1999 a été publiée une étude particulièrement encourageante de phase I à II, randomisée et contrôlée, avec comme but d'évaluer l'intérêt du récepteur soluble de l'interleukine 4 dans l'asthme atopique modéré.8 Ce récepteur soluble consiste en la partie extracellulaire du récepteur de l'interleukine 4 humain et n'inclut que la chaîne alpha de ce récepteur. Dans des modèles pré-cliniques animaux, le récepteur soluble de l'interleukine 4 s'était montré capable d'inhiber la production des IgE spécifiques d'allergène.9 Dans l'étude humaine, le récepteur soluble utilisé (NuvanceTM, Altrakincept, Immunex Corp) avait une demi-durée de vie d'environ une semaine et était administré en nébulisation bronchique à la dose unique de 500 µg ou de 1500 µg, et comparée au placebo. Les patients sélectionnés (25 patients qui présentaient un asthme modéré et sous traitement chronique préalable de stéroïdes inhalés) interrompaient leur traitement de stéroïdes au moment de l'administration du récepteur soluble de l'interleukine 4. Au jour 4 de l'administration d'une dose unique de 1500 µg, on observait une amélioration significative
du FEV1 et FEF 25-75%. Les symptômes d'asthme (score de symptômes) restaient stables, c'est-à-dire bien compensés, chez les patients qui recevaient la dose de 1500 µg malgré un arrêt brusque des stéroïdes inhalés, alors que le groupe placebo voyait ces paramètres se péjorer. Dans le même groupe de traitement, les patients réduisaient leur besoin en b2-agonistes. L'effet anti-inflammatoire de cette dose unique de récepteur soluble était de plus marqué par une réduction significative de l'oxyde d'azote exhalé. La tolérance était globalement excellente. Cette étude est particulièrement impressionnante par son impact sur les fonctions pulmonaires, sur les symptômes et sur les marqueurs inflammatoires, alors qu'il s'agissait d'un traitement en dose unique. L'approche muqueuse sous forme d'aérosol, alors que beaucoup d'antagonistes des cytokines (et autres antagonistes dits «biologiques») sont intraveineux, donne un espoir supplémentaire d'adhésion optimale du patient à son traitement. Dans l'attente de la poursuite des essais cliniques par cette approche, un certain nombre de questions restent cependant encore ouvertes. Le récepteur soluble inhibe-t-il également l'interleukine 13 ? L'interleukine 13, en principe, ne se lie pas à la chaîne alpha du récepteur de l'interleukine 4, mais cette chaîne alpha est nécessaire à la transmission des signaux du récepteur de l'interleukine 13, puisqu'elle est partagée par les deux récepteurs. L'inhibition de l'interleukine 4 par son récepteur soluble pourrait-elle avoir un effet défavorable sur la lutte antiparasitaire à long terme ? Certaines études ont relevé le rôle crucial de l'interleukine 13 à cet égard ;10,11 la question ne sera pas résolue tant que l'effet du récepteur soluble à l'interleukine 4 sur la fonction de l'interleukine 13 n'aura pas été éclaircie. Une alternative au récepteur soluble à l'interleukine 4 est l'utilisation potentielle d'un double mutant de l'interleukine 4 qui est lui, capable de se lier à la fois au récepteur de l'interleukine 4 et à celui de l'interleukine 13, et qui agit comme antagoniste.12 In vivo, cette interleukine 4 doublement mutée inhibe la synthèse d'IgE induite par l'interleukine 4 et l'interleukine 13, de même que la réaction anaphylactique cutanée en réponse à l'allergène.13
L'interleukine 5 joue un rôle prépondérant dans la maturation, l'activation et le recrutement des éosinophiles lors de la réponse allergique inflammatoire.14 Chez l'animal, l'administration d'un anticorps anti-interleukine 5 inhibe le recrutement des éosinophiles de la moelle osseuse vers les tissus et, de la sorte, réduit considérablement la phase tardive en réponse à un allergène inhalé.15 Chez l'homme, une étude de phase I démontrait qu'une injection intraveineuse unique d'un anticorps anti-interleukine 5 monoclonal chez des sujets asthmatiques réduisait le taux des éosinophiles dans le sang et les expectorations.16 En revanche, ce traitement ne parvenait pas à inhiber la bronchoconstriction de la phase tardive induite par l'allergène, ni l'hyperréactivité bronchique. Ce résultat surprenant, et en partie décevant, pose la question du rôle de l'éosinophile, que l'on a pensé à ce jour crucial, dans la pathogenèse de la phase tardive de la réaction asthmatique.14
Une autre stratégie envisagée consiste à contrecarrer les cytokines TH2 par une cytokine TH1 telle que l'interféron-g ou l'interleukine 12. Des travaux préalables ont démontré, il y a quelques années, que l'administration d'interféron-g était incapable d'inhiber la production d'IgE dans la rhinite allergique.17 Globalement, une utilisation de l'interféron par la voie systémique paraît compromise. Pour ce qui est de l'interleukine 12, des travaux récents démontrent que l'administration d'un recombinant humain parvient à diminuer l'éosinophilie sanguine et celle des expectorations, mais comme précédemment pour les anticorps anti-interleukine 5, ne parvenait pas à bloquer la phase tardive asthmatique et l'hyperréactivité bronchique, ni même la phase précoce (Sanjiv Sur, AAAAI 2000 Proceedings, San Diego).
Une approche plus globale dirigée contre les cellules T est apparue possible au vu d'effets positifs de la ciclosporine ou du tacrolimus qui ont permis d'améliorer certains patients souffrant d'asthme sévère, mais l'utilisation plus généralisée de cette approche est limitée par ses potentiels effets secondaires.18,19 De même un anticorps chimérique dirigé contre la molécule CD4 (IDEC CE9.1) réduit les taux circulants de cellules T CD4+ de manière marquée, à la dose où il commence à être efficace dans l'asthme, et pose ainsi des questions sur l'induction d'une immunosuppression non encore évaluée à moyen terme.20
Dans une précédente édition des acquisitions thérapeutiques (1999), nous avions évoqué l'intérêt de l'anticorps monoclonal anti-IgE rhu Mab E25.21 Cet anticorps entièrement humanisé inhibe de manière très efficace la liaison de l'IgE à son récepteur et parvient à réduire l'expression de surface du récepteur à l'IgE de plus de 95% ainsi que les taux circulants d'IgE totaux et spécifiques. Des résultats préliminaires indiquaient un intérêt du traitement anti-IgE aussi bien dans l'asthme que dans la rhinite allergique. Le rhu Mab E25 parvenait, notamment dans l'asthme, à bloquer à la fois la phase aiguë et la phase tardive de la réaction allergique. Fin 1999 était publiée dans le New England Journal of Medicine la plus vaste étude à ce jour dans le domaine de l'asthme portant sur 317 sujets, 106 d'entre eux recevant une haute dose de rhu Mab E25, 106 une petite dose et 105 un placebo.22 Après vingt semaines de traitement, le score de symptômes d'asthme dans le groupe «doses élevées» devenait significativement différent de celui du groupe placebo (2,7 ± 0,1 vs 2,9 ± 0,1, p = 0,048). Si cet effet paraît limité, en revanche le traitement permettait d'abaisser ou d'interrompre l'utilisation des corticoïdes oraux chez 60 à 80% des patients de ce sous-groupe. La qualité de vie des patients sous traitement actif était également améliorée. Parmi les effets secondaires, on relèvera dix-sept accès d'urticaire bénins à modérés. Aucun effet secondaire sévère n'était relevé.
Quant aux développements récents dans le traitement de la rhinite allergique saisonnière, rhu Mab E25 ou un placebo était administré deux à trois fois durant la saison de pollinisation du bouleau à 251 adultes allergiques.23 Une amélioration significative du score de symptôme nasal, de la consommation de médicaments antihistaminiques par jour, du nombre de jours avec prise de médicaments anti-allergiques et de la qualité de vie était notée en faveur des patients traités par rhu Mab E25. Comme pour les études dans l'asthme, les taux circulants d'IgE étaient abaissés de manière marquée (> 90%). Ici également le médicament était bien toléré sans effet secondaire majeur.
Ces deux études confirment la bonne tolérance du rhu Mab E25 dans de larges études, ainsi que sa contribution à l'amélioration de l'asthme sévère et de la rhinite allergique saisonnière en parallèle du traitement classique. La qualité de vie, souvent diminuée de façon plus marquée dans la rhinite que dans l'asthme allergique, était également améliorée dans les deux cas. La place exacte de cette approche, qui reste difficile du fait de son application parentérale (sous-cutanée), est encore à préciser.
Les résultats décrits ci-dessus marquent à quel point une meilleure compréhension des mécanismes de l'allergie a permis de mettre au point des approches, dont certaines s'avéreront définitivement efficaces ou demanderont des améliorations ponctuelles, pour démontrer leur efficacité. En parallèle, l'épidémiologie de l'allergie a considérablement progressé au cours de cette dernière décennie. Les études de population comparant des sociétés au mode de vie occidental à des sociétés moins développées ont permis d'identifier un certain nombre de facteurs favorisant le développement du phénotype allergique tel que l'exposition à certains polluants, aux particules de Diesel, la diminution de l'incidence des expositions à des agents infectieux tels que la tuberculose ou certains virus, un déséquilibre alimentaire (rôle défavorable de la margarine) (pour une revue, voir référence 24). De même, les manifestations très précoces de la sensibilisation allergique dans la vie néo-natale et immédiatement post-natale permettent d'envisager des dépistages précoces des futurs allergiques.25 Ainsi, à côté d'une approche purement tertiaire, pharmacothérapeutique, peut-on maintenant envisager une prévention primaire ou secondaire. Ses coûts sociaux sont encore trop élevés et leur mise en pratique attend encore l'identification de marqueurs des sous-populations à risque. Mais d'un problème au départ de thérapeutique individuelle, l'actuelle épidémie d'affections allergiques soulève maintenant des questions de santé publique, et nous interroge sur notre mode de vie, autres aspects auxquels une réponse devra être trouvée.