Cette revue thérapeutique des dernières acquisitions en ophtalmologie est, d'une part, centrée sur les bouleversements récemment survenus dans la prise en charge des affections les plus fréquemment rencontrées dans la population de nos contrées, parmi lesquelles les troubles de la réfraction, bien sûr, mais aussi les allergies et la cataracte ; par ailleurs, cet article de synthèse accorde une large place à la prise en charge thérapeutique des affections constituant l'essentiel des maladies oculaires qui, dans notre hémisphère, peuvent aboutir à une cécité légale : le glaucome et la dégénérescence maculaire liée à l'âge.
L'ophtalmologie, en médecine, ne fait pas exception : ces dernières années, nos conceptions pathogéniques et nos approches thérapeutiques ont connu des bouleversements radicaux, totalement imprévus il y a encore quelques années, il y a quelques mois même pour certains. Parfois, l'évolution a été de nature essentiellement technologique, dans d'autres cas, elle a trait à la conception même de l'affection, souvent liée à une dysrégulation systémique. Par conséquent, dans ces affections, le traitement prescrit par l'ophtalmologue peut occasionnellement avoir une incidence générale que l'interniste ou l'anesthésiste, pour ne citer qu'eux, ne peuvent ignorer. C'est tout particulièrement le cas du glaucome et de ses thérapies nouvelles.
Le traitement antiglaucomateux a subi des modifications considérables durant les dernières années, non seulement en raison du changement du concept de la maladie qui n'est plus considéré seulement comme une conséquence d'hypertonie intraoculaire,1,2 mais particulièrement du fait de l'émergence, dans les derniers cinq ans, de nombreuses nouvelles substances hypotensives. Il s'agit d'inhibiteurs de l'anhydrase carbonique topiques (IAC), des analogues de prostaglandine et des alpha 2-adrénergiques. Chacune de ces substances présente une originalité par rapport aux traitements antérieurs : les IAC topiques (la dorzolamide (Trusopt®) et la brinzolamide (Azopt®) ont vu leur naissance seulement après de nombreuses années de recherche infructueuse en raison de la difficulté de créer une substance qui pénétrerait à travers la cornée. Les analogues des prostaglandines, le latanoprost (Xalatan®) et l'unoprostone (Rescula®) offrent une nouvelle modalité thérapeutique en augmentant l'évacuation de l'humeur aqueuse (HA), non comme d'autres médicaments plus anciens, par la voie conventionnelle, le trabéculum, mais par une voie non conventionnelle, uvéo-sclérale. Les
alpha 2-adrénergiques, la brimonidine (Alphagan®)
et dans une moindre mesure l'apraclonidine (Iopidine®), sont spécifiques aux récepteurs alpha 2 et sont donc exempts des effets secondaires connus avec les substances plus anciennes, non sélectives. Quelques travaux expérimentaux suggèrent un effet neuroprotecteur de ces substances, mais à l'heure actuelle, il nous en manque encore la confirmation clinique. L'effet hypotenseur de ces médicaments est variable : 30 à 35% pour les analogues des prostaglandines, 30% pour les alpha 2-adrénergiques et 16-19% pour les IAC topiques.3,4 Leur tolérance oculaire est en général bonne avec toutefois la survenue de fréquentes allergies, en particulier pour l'apraclonidine (40%) et la dorzolamide (20%), dans une moindre mesure avec la brimonidine (10%).5,6 Certains effets oculaires ne surviennent qu'après une utilisation prolongée. Les analogues des prostaglandines peuvent induire une augmentation de la pigmentation irienne,7,8 une croissance accrue des cils ainsi que l'exacerbation d'une inflammation intraoculaire, ou encore un dème maculaire chez les pseudophaques avec altération de la capsule postérieure.9 Plus récemment, une augmentation d'incidence de kératite herpétique a été décrite.10
Les effets secondaires systémiques des nouvelles substances antiglaucomateuses, après utilisation prolongée, sont moins bien connus. Les IAC topiques, bien qu'en moindre mesure que les IAC oraux, semblent également augmenter l'incidence de calculs rénaux.11 Cet effet est accentué par l'association des formes orale et topique, sans que l'abaissement de la pression intraoculaire en soit amélioré. D'autres effets secondaires (goût amer 54%, état dépressif, anorexie et démence) ont été décrits en relation avec les IAC topiques.3
Les analogues des prostaglandines peuvent induire, après utilisation prolongée, une hypertension artérielle systémique : leur activité vasoconstrictrice potentielle pourrait influencer non seulement de façon négative la perfusion oculaire mais également la perfusion cérébrale.12
Les effets systémiques des alpha 2-agonistes méritent une attention particulière.13 De par leur caractère lypophile, la brimonidine et la clonidine passent aisément la barrière hémato-encéphalique. Sédation et fatigue, ressenties par 19% des patients, sont potentialisées par les benzodiazépines et l'alcool. Cet effet doit être signalé aux patients et connu par leurs autres médecins traitants, en particulier les anesthésistes. L'hypotension artérielle est particulièrement prononcée chez les patients au repos et sans stimulation sympathique, alors qu'une hypertension artérielle est présente lorsqu'une substance alpha-agoniste non sélective atteint des concentrations suffisamment hautes pour stimuler les récepteurs alpha-1, ou s'il se produit une forte stimulation sympathique (de stress par exemple). Un effet vasoconstricteur survient à la stimulation seule des récepteurs alpha 2. Par ailleurs, ces substances peuvent induire des effets secondaires endocriniens, d'une part, en potentialisant la sécrétion de l'hormone de croissance et d'autre part, en inhibant la libération d'insuline. Par ailleurs, les patients peuvent être particulièrement gênés par l'inhibition de la salivation, rencontrée chez 33% des patients, induite par l'action sur les récepteurs post-synaptiques périphériques. Tous ces effets indésirables sont potentialisés chez l'enfant et leur utilisation est de ce fait proscrite.
Avec le changement de concept de la maladie glaucomateuse, la neuroprotection a pris une place importante dans la recherche actuelle.14,15 Si l'on admet que la mort des cellules ganglionnaires survient par apoptose, l'inhibition ou l'élimination de diverses substances impliquées dans la genèse de ce phénomène pourrait retarder, voire prévenir la neuropathie glaucomateuse. Récemment, un groupe de chercheurs a démontré que chez les rats, la perfusion intrapéritonéale de brimonidine améliore la survie des axones après un traumatisme préalable du nerf optique.16 Cependant, ce modèle expérimental ne correspond probablement pas à la pathogénie du glaucome chez l'homme, et d'autres facteurs, comme les différences entre espèces, ou l'administration et la biodisponibilité du médicament, pourraient distinguer les observations expérimentales de la réalité clinique. Ces résultats sont néanmoins encourageants dans la perspective de nouvelles modalités thérapeutiques pour cette affection.
La dégénérescence maculaire liée à l'âge est la première cause de cécité légale dans la population de plus de 65 ans. La majorité des cas surviennent suite à l'apparition d'une membrane néovasculaire choroïdienne. Cette lésion est constituée d'un réseau de capillaires néoformés, qui trouvent leur origine au niveau du réseau capillaire choroïdien et prolifèrent soit sous la rétine, soit à l'intérieur même de celle-ci. Ces membranes néovasculaires sont caractérisées par un tropisme fovéal, c'est-à-dire qu'elles ont tendance à s'étendre en direction du centre de la macula, dans la zone responsable de la vision des détails.
Jusqu'en 1999, le seul traitement validé pour ce type de lésions était la photocoagulation au laser argon. Toutefois, ce traitement est limité dans la pratique car il détruit complètement la rétine sus-jacente, ce qui le rend inapplicable lorsque le centre de la fovea est pris par la lésion. Depuis l'année dernière, nous disposons d'un nouveau traitement appelé thérapie photodynamique, qui a pu faire la preuve de son efficacité dans des études cliniques de phases I, II et III.17-21
Dans cette thérapie, on injecte par voie veineuse systémique un dérivé de la benzoporphirine (vertéporfine) qui, véhiculé dans des liposomes, va se fixer sur les récepteurs LDL des cellules endothéliales. Il existe une fixation préférentielle au niveau des capillaires des membranes néovasculaires par rapport aux capillaires normaux due au fait que le nombre et l'activité de ces récepteurs sont plus importants dans les tissus à haute activité mitotique, comme le sont les néovaisseaux en formation. On active ensuite les dérivés porphiriques par l'application d'une lumière rouge spécifique grâce à un laser diode. En retournant à leur état énergétique initial, les molécules de vertéporfine libèrent suffisamment d'énergie pour casser les liens covalents des molécules d'O2 et permettre la formation d'intermédiaires O-. Ces derniers réalisent un véritable bombardement des parois cellulaires les plus proches (essentiellement endothélium, capillaires et globules rouges). La rupture de la continuité endothéliale déclenche l'agrégation des plaquettes et active la cascade de la coagulation. On obtient ainsi une occlusion de la membrane sans lésions de la rétine sus-jacente, ce qui permet de traiter également des lésions localisées sous le centre de la fovea.
Actuellement, ce traitement a fait la preuve de son efficacité pour les lésions présentant une composante visible (néovaisseaux intrarétiniens). Il permet une stabilisation de l'acuité visuelle à deux ans dans presque 60% des cas, alors que l'histoire naturelle de la maladie ne fait état d'une telle stabilisation que dans un peu plus de 30% des cas.20 Il est en évaluation pour les lésions dites occultes pures (néovaisseaux sous-rétiniens). A part dans la DMLA, ce traitement semble également prometteur dans d'autres pathologies caractérisées par des membranes néovasculaires (haute myopie, stries angioïdes, pseudohistoplasmose présumée, etc.).21 Dans la haute myopie, il a également démontré son efficacité dans des études de phase III (résultats en voie de publication).
Il présente l'énorme avantage d'être extrêmement sûr par rapport à d'autres thérapies comme la chirurgie, la radiothérapie, tout en ayant une efficacité en tout cas équivalente, si ce n'est supérieure. Les perspectives d'avenir sont énormes avec notamment la venue prochaine de substances du même type peut-être encore plus spécifiques et efficaces, la combinaison de cette thérapie à d'autres techniques (antiangiogéniques par exemple) constitue une avancée thérapeutique majeure dans la prise en charge des DMLA à l'aube du 3e millénaire.
L'approche chirurgicale des néovaisseaux sous-fovéolaires a fait l'objet de quelques études pilotes qui ont permis de démontrer que la fonction visuelle postopératoire dépend de l'étendue des séquelles chororétiniennes entraînées par cette démarche. Il s'agit en particulier de la translocation de la zone fovéolaire, qui permet le déplacement de la zone fovéolaire hors de la région sous-fovéolaire choroïdienne occupée par la membrane néovasculaire. Ainsi, la zone fovéolaire centrale est déplacée sur un territoire où l'épithélium pigmentaire et la choroïde sont libres de toute lésion (fig. 1, 2).
Lors de l'intervention, un décollement de rétine total est réalisé par infusion de liquide sous-rétinien. Un plissement de la sclère est obtenu à l'équateur, dans le quadrant temporal opposé à la direction du déplacement fovéolaire ; du gaz est ensuite injecté dans la cavité vitréenne. Ainsi, le plissement scléral amène la rétine à glisser vers le côté opposé du quadrant scléral. En postopératoire, la fovea est ainsi déplacée et ne se trouve plus en regard de la lésion choroïdienne initiale. En un second temps, la membrane néovasculaire est traitée au laser. Ce déplacement fovéolaire sur un territoire de l'épithélium pigmentaire sain permet d'obtenir des résultats très encourageants, notamment le maintien de l'acuité visuelle, ou même son amélioration chez certains patients, plus particulièrement des personnes jeunes, avec un épithélium pigmentaire normal.
La translocation décrite ci-dessus comporte les risques inhérents à la chirurgie vitréo-rétinienne, à savoir notamment des lésions rétiniennes accidentelles survenant lors de la manipulation de la rétine, la formation d'une cataracte ou celle de plis résultant du plissement scléral.
Autre complication, des problèmes psycho-physiques peuvent éventuellement affecter la vision binoculaire, compte tenu du fait que la rotation de la rétine entraîne une légère déviation de l'axe optique. Cette situation est comparable à celle observée lors de parésies des muscles obliques extra-oculaires. Cependant, après une courte période postopératoire durant laquelle les images sont difficiles à superposer, des mécanismes de plasticité cérébrale peuvent réajuster la vision binoculaire. Lorsque ce problème ne peut être compensé, une chirurgie extra-oculaire sur les muscles obliques peut être tentée.
Cette technique de translocation est actuellement en cours d'évaluation, afin de déterminer quel groupe de patients présentant une néovascularisation sous-fovéolaire peut bénéficier de l'opération. Il apparaît que les membranes néovasculaires chez les personnes jeunes, myopes, ou dans les cas idiopathiques, puissent attendre davantage de bénéfices de la translocation, du fait que la fovea peut être déplacée vers des territoires choroïdiens associés à un épithélium pigmentaire sain.
En raison de l'importante exposition de la conjonctive aux allergènes, l'il est volontiers le siège de réactions allergiques. Les symptômes de la conjonctivite allergique comportent des démangeaisons, un larmoiement, une impression de corps étrangers et une sensibilité à la lumière vive qui, dans les cas sévères, peuvent être très invalidants pour les patients. Cliniquement, on observe une rougeur et un dème de la conjonctive, et la présence d'irrégularités conjonctivales situées principalement sous la paupière supérieure (papilles). A l'heure actuelle, de nombreux traitements topiques existent pour soulager les patients allergiques. Cependant, une nouvelle substance (ketotifène, Zaditen®) est à disposition depuis cette année. Cette substance est intéressante car elle a la particularité d'allier plusieurs effets conjugués, à savoir, une stabilisation des mastocytes, un effet antihistaminique et une inhibition de l'infiltration des éosinophiles.22 Elle agit donc rapidement, efficacement, et durablement sur les symptômes allergiques oculaires.
La décision de pratiquer une opération de la cataracte chez un patient traité par anticoagulants ou antiagrégants amène le chirurgien à s'interroger sur l'utilité de la suspension temporaire de ce traitement. La plupart des ophtalmologues préfèrent arrêter ces médicaments, principalement en raison du risque d'hémorragie rétrobulbaire, dangereuse pour la fonction visuelle de l'il lorsqu'une anesthésie rétro ou péribulbaire est pratiquée. Cependant, la suspension des anticoagulants ou des antiagrégants entraîne un risque de complications cardiovasculaires, telles qu'un accident vasculaire cérébral, une embolie pulmonaire, une thrombose veineuse profonde, ou même un infarctus.23 C'est pour cette raison qu'il serait souhaitable de ne pas interrompre l'anticoagulation durant la période de l'opération de la cataracte. Mais est-ce possible, sans risque hémorragique oculaire ou périoculaire pour le patient ?
Les techniques chirurgicales et d'anesthésie à disposition aujourd'hui nous permettent de répondre par l'affirmative. En effet, l'incision utilisée pour introduire les instruments chirurgicaux ou l'implant peut se faire au niveau de la cornée, tissu dépourvu de vaisseaux. Par ailleurs, de nombreuses études récentes ont montré que l'anesthésie topique, c'est-à-dire par instillation de gouttes anesthésiques dans le cul-de-sac conjonctival, quinze minutes avant l'intervention, permettait d'obtenir une très bonne analgésie pendant l'opération de la cataracte, et ceci avec une très bonne marge de sécurité.24
En conclusion, l'anesthésie topique et l'incision en cornée claire permettent d'éviter la suspension des traitements anticoagulants ou de l'aspirine chez les patients qui présentent de hauts risques de complications cardiovasculaires.
L'emploi de la chirurgie réfractive s'est étendu de façon exponentielle pendant ces dix dernières années. Les indications de la chirurgie réfractive pour la correction de défauts optiques sphéro-cylindriques sont bien codifiées. PRK et LASIK sont les deux techniques de photo-ablation par Laser-Excimer les plus fréquemment utilisées, (avec une préférence croissante pour le LASIK). Les indications reconnues sont la correction des myopies comprises entre 2 et 10 dioptries, des hypermétropies et des astigmatismes inférieurs à 5 dioptries. Comme il s'agit d'une chirurgie fonctionnelle, l'évaluation des résultats visuels de la chirurgie tient compte essentiellement des critères suivants : la meilleure acuité visuelle non corrigée, la meilleure acuité visuelle corrigée, et la différence entre la meilleure acuité visuelle corrigée pré- et postopératoire en termes de gain ou de perte exprimés en nombre de lignes par le test d'optotype utilisé en clinique pour la mesure de l'acuité visuelle.
Ces trois premiers critères témoignent de la sécurité de la technique. En ce qui concerne
l'efficacité de la méthode, celle-ci s'exprime par l'écart en dioptries entre la correction obtenue par rapport à la correction désirée. En termes de précision de la méthode, on considère que cet écart doit être de plus ou moins une demi-dioptrie par rapport à la cible programmée.
La publication récente du Canadian Refractive Surgery Research Group25 a permis d'évaluer, sur un collectif de 690 patients, avec un suivi compris entre 4 et 30 mois, les résultats fonctionnels et subjectifs après chirurgie réfractive, par PRK bilatérale simultanée. Les myopies étaient comprises entre 1 et 27 dioptries, (moyenne de 5,32 dioptries, déviation standard 2,85 dioptries). Ces patients ont été étudiés dans une douzaine de centres canadiens. Du point de vue subjectif, 91,8% des patients étaient satisfaits, voire très satisfaits du résultat obtenu. Il existait bien sûr une forte corrélation entre degré de satisfaction et résultat fonctionnel : 79,7% des patients obtiennent, sans correction, une acuité visuelle de 1,0 ou meilleure, tandis que 97,9% des patients présentent une acuité visuelle égale ou supérieure à 0,5. Pour l'ensemble des cas, 42% des patients estiment que l'acuité visuelle obtenue après une intervention est nettement supérieure ou meilleure à celle qu'ils avaient avec correction par lunettes ou verres de contact. Seulement 2,8% des patients répondent qu'ils portent régulièrement des lunettes pour la distance, 13,6% des patients doivent utiliser des lunettes pour la lecture. Pour l'ensemble, on constate que dans des conditions diurnes, les résultats sont décrits comme très favorables. Par contre, en vision nocturne, un tiers des patients se déclare non satisfait de la qualité de la vision, pour la conduite automobile, la nuit. Dans ces circonstances, les patients se plaignent d'éblouissement, de sensation de halo et d'une myopie résiduelle.
D'autres études ont démontré26 qu'après chirurgie réfractive, selon le diamètre pupillaire considéré, les aberrations optiques induites par modification du profil antérieur physiologique de la cornée, expliquent les symptômes décrits par les patients. Ces aberrations optiques sont minimales dans des conditions de vision diurne, tandis qu'elles augmentent de façon très significative en vision nocturne, lorsque la pupille est dilatée. Donc, une démarche préalable à tout acte de chirurgie réfractive consiste à mesurer, dans des conditions de faible éclairage, et par pupillométrie à l'infrarouge, le diamètre pupillaire pour chaque patient, de manière à pratiquer ensuite des zones d'ablation qui couvrent largement cette surface, réduisant ainsi la présence des phénomènes fonctionnels désagréables décrits par les patients. Pour perfectionner les résultats, on doit avoir en conséquence la possibilité d'affiner, de distinguer et de quantifier les aberrations optiques26,27 Avec cette analyse, on peut prévoir dans la programmation de la correction désirée, le profil d'ablation nécessaire pour arriver à la réduction de la fréquence, voire à la neutralisation d'un type particulier de défauts optiques, et ceci dans toutes les conditions d'éclairage, de façon individuelle pour chaque patient.
Observations astronomiques, front d'ondes, optique adaptative en chirurgie réfractive 28-38
Comme on l'observe fréquemment au cours de l'histoire de l'ophtalmologie, des progrès scientifiques récents d'autres disciplines sont immédiatement appliqués à la pratique ophtalmologique pour résoudre des problèmes concrets. Du point de vue technologique, la chirurgie réfractive se trouve parmi les premiers bénéficiaires des solutions adoptées pour l'observation astronomique pour des télescopes terrestres.
En astrophysique, l'instrument catadioptrique typique est le télescope dit réflecteur. Avec cet instrument, on peut atteindre une résolution théorique égale à une fraction de seconde d'arc, mais cette définition est limitée par les turbulences atmosphériques. Les méthodes utilisées pour neutraliser les imperfections des images obtenues en astronomie consistent à analyser la déformation de la surface d'un front d'ondes et la compenser en temps réel par un miroir annexe ou déformable. Ceci constitue la base de l'optique adaptative. En ophtalmologie, la déformation produite par les aberrations dues au dioptre oculaire peut aussi être corrigée par des principes d'optique adaptative, en modifiant sélectivement la courbure antérieure de la cornée point par point grâce à des analyseurs de front d'ondes, basés sur le principe de l'aberromètre de Sharp Hartmann36 permettant d'évaluer de multiples paramètres, réfraction totale, topographie cornéenne, et surtout mesure des aberrations dites monochromatiques. Une demi-douzaine de tels équipements sont en développement.
Acuité visuelle «normale» et «supernormale»30-39
L'acuité visuelle rétinienne atteint des niveaux nettement supérieurs à ceux de l'acuité visuelle mesurée en clinique, en utilisant les franges d'interférence produites par une lumière cohérente qui ne sont pas modifiées par le système optique de l'il. Si le système optique est corrigé d'une façon complète en termes de réfraction linéaire et spatiale, l'acuité visuelle serait exclusivement déterminée par la taille et l'orientation des photorécepteurs dans la fovea avec un pouvoir séparateur compris entre 30'' et 1,5' d'arc dans le plan rétinien, soit bien supérieur à l'acuité «normale» mesurée en clinique.
En conséquence, même lorsque l'image de l'objet est bien focalisée par correction du défaut sphéro-cylindrique (myopie, hypermétropie ou astigmatisme), il persiste une perte de la qualité des détails de l'image rétinienne due à des phénomènes d'aberrations et de diffraction.40,41
Tenant compte de toutes ces données, il apparaît que l'importance de la perte de qualité des images rétiniennes résulte de la somme des facteurs suivants : 1) les erreurs de focalisation, défauts sphéro-cylindriques non corrigés, qui sont responsables de 80% de la dégradation de l'image rétinienne et mis à contribution surtout dans les conditions de vision diurne ; 2) les aberrations monochromatiques et chromatiques ainsi que la diffraction, qui sont responsables d'environ 20% de la perte de la netteté des images rétiniennes et des manifestations fonctionnelles dont se plaignent les patients dans des conditions de vision nocturne après chirurgie réfractive.
Si l'on corrige dans leur intégralité les différents facteurs déterminant la netteté de l'image rétinienne, on pourrait atteindre, en pratique, une vision supérieure à la normale clinique de 10/10, soit 15/10, voire même 20/10 ; c'est ce que l'on décrit comme vision supernormale.
L'apport de nouvelles connaissances et leurs solutions techniques appliquées42 à la fonction visuelle nous autorisent à prédire des résultats fonctionnels après chirurgie réfractive, qui pourront atteindre des limites insoupçonnées il y a à peine quelques mois, ce qui constitue un progrès sensible pour le bien-être des patients. Ces nouveaux développements seront opérationnels, nous l'espérons, à partir de 2001.
On pourra étendre aussi le bénéfice des raffinements méthodologiques aux affections pathologiques de l'il à des fins thérapeutiques. En particulier, nous pensons aux cas de greffes cornéennes avec des astigmatismes résiduels irréguliers, aux pathologies cornéennes responsables des irrégularités de surface et des troubles de la transparence (dystrophies, status post-traumatique, post-infectieux, etc.) afin d'obtenir une amélioration des conditions morphologiques (permettant par exemple une adaptation plus facile des verres de contact, correcteurs ou thérapeutiques), en visant aussi un gain certain du point de vue fonctionnel en termes d'acuité visuelle. La photo-ablation thérapeutique ainsi conçue pourra, très probablement, remplacer ou retarder le recours à une greffe de cornée dans certains cas de kératocône. W