Nous traitons dans ces colonnes (Médecine et Hygiène des 20 décembre 2000, 10 et 17 janvier 2001) des conclusions de la Conférence de consensus que vient de publier l'Agence nationale française d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes) sur le thème de la crise suicidaire. Face à cette crise quels modes d'intervention proposer ? «Le sentiment d'être compris, reconnu et accepté par l'intervenant, la capacité d'établir un bon contact avec la personne suicidaire, ne peuvent être remplacés par aucune technique standardisée» soulignent sur ce thème les membres du jury. Il peut aussi être utile d'informer la famille des facteurs de protection, et en particulier de maintenir ou de restaurer le lien affectif du sujet en crise avec sa famille et avec les autres, et ce malgré ses tentatives de s'exclure du cercle familial ou de s'isoler. Il faut bien évidemment aussi éviter l'accès aux moyens ou retirer les objets susceptibles d'être utilisés par la personne en crise pour s'auto-agresser.
L'une des situations-clés dans ce domaine réside dans les services d'urgence puisque les crises suicidaires en phase aiguë passent fréquemment aux urgences hospitalières, le plus souvent comme effet immédiat d'un passage à l'acte, mais aussi sous la forme d'une symptomatologie anxieuse, somatique ou toxicologique. «L'organisation de l'accueil aux urgences, avec une mise au calme en essayant de garder autant que possible les mêmes interlocuteurs, contribue à une sécurisation immédiate qui est également favorable à l'évaluation du risque et aux décisions concernant la prise en charge» soulignent les membres du jury. Au chapitre des recommandations, ils estiment que l'évaluation du risque suicidaire doit associer les constatations cliniques et l'utilisation de l'«échelle de désespoir» de Beck. Elle respectera les principes suivants : une souffrance tolérable doit être écoutée, une souffrance intolérable (grande perplexité anxieuse, agitation) doit être soulagée par des traitements symptomatiques ; l'examen médical de la personne en crise reste indispensable. Il permet d'apaiser et d'entrer en relation.
D'autre part, la recherche d'antécédents de tentative de suicide fait partie de l'interrogatoire. La famille et les accompagnants sont à écouter car souvent impliqués dans le suivi ; la possibilité de soutien du suicidaire sera évaluée en cas de retour au domicile comme en cas d'hospitalisation à la demande d'un tiers. A l'issue de cette évaluation, un avis spécialisé ou une hospitalisation brève sont recommandés en principe de référence. L'hospitalisation du patient reste indiquée à partir des urgences en cas de : risque suicidaire imminent ; situation d'insécurité sévère dans les perspectives de sortie ; perplexité anxieuse sans distanciation vis-à-vis de la souffrance psychique.
«Après une consultation spécialisée et à l'issue de l'hospitalisation aux urgences, le relais de soins du sujet est à considérer à partir du réseau socio-sanitaire connu et disponible, peut-on lire dans les conclusions de la Conférence de consensus. Cette «mise en liens» est particulièrement indiquée pour les patients qui n'investissent aucune filière de soins autre que la répétition mécanique de leur passage aux urgences en situation de crise. Les urgences étant continuellement en difficulté pour gérer les flux d'entrants, on ne saurait trop recommander la possibilité de recours à des lits de crise». Enfin l'intervention du psychiatre se situe à toutes les phases de la crise suicidaire qu'il s'agisse d'évaluer la psychopathologie, de diagnostiquer la crise et les troubles psychiatriques qui peuvent lui être associés ou encore de déterminer des stratégies thérapeutiques immédiates et au long cours de ces patients.
Qu'en est-il des données concernant les médicaments. Dans la psychose maniaco-dépressive bipolaire, le lithium ramène le risque suicidant à un taux proche de celui de la population générale, du moins après une année de traitement. Dans les formes unipolaires, ce résultat n'est pas retrouvé. Pour les antidépresseurs, aucune étude validée versus placebo ne prouve une amélioration du risque suicidaire sur une population tout venant. En revanche, de nombreuses études épidémiologiques sont en faveur d'une diminution du risque chez les patients suicidaires déprimés. Quelques méta-analyses vont dans ce sens en montrant une amélioration plus rapide des idées suicidaires avec les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine par rapport aux tricycliques. «Ceci n'exclut pas l'existence de raptus suicidaires brutaux et d'idéation suicidaire rapportée avec tous les antidépresseurs, observent les membres du jury. Il est reconnu que le risque d'intoxication mortelle est beaucoup plus faible avec les nouveaux antidépresseurs qu'avec les tricycliques».
Quant aux neuroleptiques, il n'a jamais été clairement démontré que les neuroleptiques classiques réduisaient le risque de tentative ou de suicide chez les patients souffrant de schizophrénie même s'il existe quelques arguments en faveur d'un effet protecteur, contre le suicide, des neuroleptiques atypiques ou «nouveaux antipsychotiques». Les benzodiazépines, malgré leur efficacité sur certains troubles anxieux spécifiques, n'ont pas montré d'efficacité dans le risque suicidaire et il n'existe aucune étude expérimentale venant confirmer la nécessité d'associer systématiquement les benzodiazépines aux antidépresseurs dans le traitement de la dépression.