Résumé
A l'arrière-plan de l'agitation médiatique sur la collaboration entre Lausanne et Genève, ce numéro est peut-être emblématique : au-delà des initiatives et contre-initiatives, coalitions et contre-coalitions, messages et contre-messages, les équipes des deux hôpitaux universitaires ont travaillé ensemble pour vous apporter une analyse critique de la recherche clinique en gastro-entérologie et en hépatologie pour l'année 2000 et vous proposer un certain nombre de recommandations pratiques. Pourquoi ces deux équipes manifestent-elles ainsi leur communauté de vue dans la recherche clinique et la mise en uvre du progrès médical qui en résulte ?Nous avons, tout d'abord, une mission singulière : former un lien entre recherche clinique et soin quotidien au patient. Nous avons conscience de représenter un canal privilégié pour la mise à la disposition de nos confrères et de nos malades de concepts, méthodes et techniques nouvelles dans notre spécialité. Nous savons ensuite que, dans une communauté donnée, la participation à la recherche clinique est associée à la mise à disposition plus rapide de méthodes diagnostiques et de traitements plus efficaces.1,2 Enfin, les équipes hospitalières sont minuscules au regard des intérêts des acteurs majeurs de la recherche et de l'industrie. Or, la participation à la recherche clinique est malaisée dans un petit centre, en particulier lorsque les coûts de mise en place d'une étude sont difficiles à justifier par un faible recrutement de cas : il faut donc nous allier !Les études cliniques forment la base du jugement médical et des recommandations formulées dans ce numéro. Et de la même manière que les juges ou les décideurs gouvernementaux perdent compétence dans les domaines où ils détiennent des intérêts financiers, les autorités et les chercheurs les plus avancés suggèrent que soit interdit à l'ensemble des investigateurs cliniques de détenir salaires, actions, options d'actions ou rôles de décision dans les entreprises concernées par le résultat des recherches.3 Cette prise de position est actuellement mise en uvre par étapes successives dans la majorité des universités américaines. Elle s'est encore renforcée après que soit rendu public le décès d'un volontaire participant à une étude de thérapie génique. Il s'agit bien entendu d'éviter que les conflits d'intérêt n'altèrent les processus de décision dans la construction ou la réalisation des études cliniques, mais aussi de prévenir la perte de confiance publique envers la recherche clinique.3-6 En s'associant pour la conception et la réalisation d'un travail de recherche clinique, les petits centres comme Lausanne et Genève, gagnent en transparence, en masse critique, finalement en indépendance !L'analyse des études cliniques demande une expérience de leur conception et de leur conduite pour pouvoir détecter les biais, parfois subtils, qui en limitent la portée. Par biais de recrutement, on entend une différence intrinsèque entre les groupes qui sont comparés, une influence des patients ou des médecins sur la sélection des traitements, ou une différence de temps de suivi entre les groupes. Par biais d'information, on entend une mesure non valide, des critères inadéquats de diagnostic ou d'évaluation de l'effet d'un traitement, ou une différence dans les méthodes d'évaluation du suivi. On aura compris que l'intérêt clinique d'une étude ne tient pas seulement à la compilation des tests statistiques estimant l'effet d'un traitement, ou au calcul de nombre de malades à traiter pour obtenir un effet. Ces calculs ont été cités, chaque fois que possible, de même que le niveau de preuve à l'appui des recommandations formulées. Cependant, les études cliniques et l'utilité des changements d'attitude qu'elles suggèrent sont scrutées sous différents angles lors d'un échange de vue entre partenaires. C'est une forme de consensus qui aboutit à une modification d'attitude diagnostique ou thérapeutique. Pour cela il faut une masse critique et des partenaires !Avec la généralisation de l'accès à Internet, fort des multiples moteurs de recherche et portails d'informations médicales qui y sont proposés, l'intérêt que nos équipes s'associent pour proposer une analyse de plus de la littérature médicale peut se poser. Toutefois, il convient de relever que, d'une part, la recherche d'informations dans la toile informatique peut s'avérer délicate, et que d'autre part, la qualité et l'adéquation contextuelle de l'information recueillie peuvent être difficiles à établir.7 De plus, la globalisation de l'accès à l'information médicale peut entraîner une déstabilisation des systèmes de santé et une importante surcharge pour les experts et les praticiens.8 Face à ce nouveau défi et au volume d'information qu'il génère, il convient également de se mettre en réseau, d'exploiter au mieux nos diverses compétences afin de proposer la meilleure lecture possible de l'information, et une mise en perspective qui tienne compte du contexte dans lequel elle sera appliquée. Pour cela aussi il faut des partenaires, non seulement complémentaires pour assurer une couverture de tous les domaines de la spécialité, mais qui aient l'expérience du même environnement médical !Les équipes hospitalières sont enfin l'enjeu d'un double débat : d'une part, elles doivent fournir des soins spécialisés, sans toutefois entrer directement dans la compétition économique ; d'autre part, elles doivent produire une recherche clinique indépendante alors qu'elles ne disposent pas, loin s'en faut, du personnel et des budgets qui font les grands programmes de recherche fondamentale. Chaque équipe, selon ses compétences et son environnement, va développer des réponses différentes pour survivre à ces courants contradictoires. Face à la pression économique, il est tentant et parfois aisé pour un fournisseur de soins de donner priorité absolue à la productivité quantitative. A l'opposé, il est possible de s'investir plus exclusivement dans une recherche de base, au prix peut-être d'une certaine distance à la pratique clinique. La troisième voie, étroite, mais que nous poursuivons très humblement, pourrait, selon l'expression du Dr Jean Martin, médecin cantonal vaudois, s'appeler défense de l'intérêt public (Le Temps, 12 janvier 2001). Il ne s'agit pas ici de diaboliser l'industrie privée qui produit une quantité toujours croissante d'informations médicales et qui ne cache pas le but lucratif qu'elle poursuit. Il ne s'agit pas non plus de prétendre à une pensée médicale éthérée, affranchie des courants, modes, ou produits de l'industrie à but lucratif, mais de consentir tous les efforts pour accéder à une information indépendante et contrôlée par nos pairs. Participer à la recherche clinique et la scruter comme un soignant. Soigner dans le quotidien en attachant au recueil d'information, à la méthode, et à l'examen par nos pairs le même soin que dans une étude clinique !