Genève a depuis plus de trente ans la chance d'abriter une consultation spécialisée en sexologie. En effet, par vux testamentaires, M. Maurice Chalumeau a légué sa fortune pour la création d'une fondation universitaire portant son nom, lui assignant pour but de soutenir et promouvoir la diffusion des connaissances en sexologie. C'est grâce à ce fond que le Pr Geisendorf, chef du Département de gynécologie et d'obstétrique de l'époque fit venir de Lausanne un jeune psychiatre prometteur en la personne de Willy Pasini, pour ouvrir ce qui deviendra la consultation de gynécologie psychosomatique et de sexologiea actuelle.
Tout au long de ces trente années, un enseignement y a été dispensé qui a pris diverses formes au cours du temps : séminaires, présentations de cas in vivo, invitations de conférenciers ou formateurs externes. Dans ce cadre, plusieurs personnes travaillant ou enseignant en sexologie, tant en France qu'en Italie, sont venues se former à Genève. Certaines se réfèrent d'ailleurs encore dans leur propre enseignement à cette formation.
Par ailleurs d'autres collaborateurs, des médecins, des psychologues, une physiothérapeute, puis une sage-femme et des psychomotriciennes, ont progressivement enrichi cette consultation, formant une équipe pluri-professionnelle très riche en compétences diverses.
Ainsi, une des particularités reconnues de
l'école de Genève est d'avoir très vite intégré à une compréhension psycho-dynamique des troubles sexuels des patients, des moyens thérapeutiques pluridisciplinaires, incluant des approches verbales analytiques, systémiques, et aussi comportementales et corporelles. C'est ainsi que deux psychomotriciennes travaillent depuis plusieurs années à proposer aux patients les consultant pour des difficultés d'ordre sexologique, des séances de thérapies passant par et incluant activement le corps d'une manière expériencielle.
Ce travail de psychomotricité en sexologie a eu notamment pour pionnière Mme Véronique Haynal, qui a contribué à poser les bases d'une évaluation spécifique des patients dans ce champ. Mme Martine Graf en est la continuatrice actuelle depuis une quinzaine d'années. D'autres psychomotriciennes que nous ne saurions toutes citer ici se sont passé le témoin entre temps, chacune ayant apporté sa contribution.
Mme Linda Rossi, autre psychomotricienne de l'équipe actuelle, s'est quant à elle tournée, peu après son arrivée à la consultation de sexologie il y a plus de dix ans, vers une approche enseignée à Toulouse, peu connue à l'époque. Il s'agissait de l'Approche Sexocorporelle développée par le Pr Jean-Yves Desjardins.b Avec le soutien du Pr Willy Pasini et les financements du Fonds universitaire Maurice Chalumeau et de la formation continue, elle a pu se former, puis se perfectionner à cette approche.
A l'usage, nous avons constaté que cette approche, symptomatique, centrée sur une évaluation précise du fonctionnement et du développement sexuels des patients qui nous consultaient, permettait une compréhension spécifique de leurs troubles sexuels. De plus, elle apportait souvent une réponse thérapeutique appropriée et satisfaisante tant pour les patients que pour les thérapeutes référant les cas.
C'est ainsi que cet enseignement, qui continuait naturellement dans la lignée des idées qu'avait eues le Pr Willy Pasini1,2,3 en intégrant des psychothérapies à médiation corporelle aux autres approches proposées, faisait son entrée à la consultation de gynécologie psychosomatique et de sexologie. Il nous a ensuite semblé utile d'en faire profiter le plus grand nombre de personnes possible avec la mise sur pied d'une formation à l'Approche Sexocorporelle à Genève.
Est-il utile de faire des efforts de formation et d'information pour un large public, professionnel ou non ? Nous avons pour idée que la sexualité, bien que vécue au quotidien par une large majorité des gens, reste malgré tout un objet obscur, plein de mythes et de mystères pour la plupart d'entre eux. Ceci ne serait en soi pas un problème, si méconnaissance ne rimait trop souvent avec souffrance. Souffrance d'un couple au «mariage non consommé» et pourtant en désir d'enfant. Souffrance d'un homme éjaculateur précoce (ils sont 30% de la population masculine globale aux Etats-unis)4,5 dans le plus profond des déplaisirs à chaque fois que son éjaculation échappe à son contrôle et qu'il sent sa partenaire frustrée et pleine de reproches. Souffrance de ces femmes qui se voient condamnées par la méconnaissance de thérapeutes, même sexologues, à une anorgasmie coïtale, l'orgasme vaginal étant à tort considéré comme un mythe,c ou au mieux comme l'apanage de quelques rares femmes atypiques.
La sexologie est un champ complexe, et par ailleurs récent. Après les découvertes fondamentales de Freud6 faites au travers de l'observation fine du fonctionnement psychique de l'être humain, l'acquisition de données statistiques, et en laboratoire de connaissances du fonctionnement physiologique et corporel en ce domaine, n'a vraiment commencé que dans les années 50 avec les premières recherches de Kinsey, puis de Masters et Johnson.7 Du point de vue clinique, les pionniers, dont aussi Helen Kaplan, ont logiquement appliqué à ce champ les connaissances acquises dans d'autres domaines : psychanalytiques, comportementaux, cognitifs, systémiques, corporels, etc. Leurs apports ont été majeurs tant dans la compréhension que dans le traitement des affections sexuelles.
S'inscrivant dans cette continuité, des composantes complémentaires, et aussi fondamentales, ont été mises en évidence par un autre pionnier, le Pr Jean-Yves Desjardins inspiré par les travaux de Wilhelm Reich9,10 et d'Alexander Lowen :4 codes d'attraction, sources et modes d'excitation, archétypes (masculin et féminin), stéréotypes pour n'en citer que quelques-unes. Ces composantes n'ont été, jusqu'ici, ni clairement identifiées, ni évaluées par la plupart des sexologues, hormis quelques cliniciens, notamment ceux formés à l'Approche Sexocorporelle11-15 par le Pr Desjardins.
A notre sens, la mise en évidence de ces composantes de la sexualité humaine constitue l'une des contributions les plus importantes du XXe siècle dans la compréhension du fonctionnement sexuel humain. Qu'on le veuille ou non, tôt ou tard, l'évaluation sexologique standard devra inclure ces composantes à notre avis incontournables. En effet, leur mise en évidence ne relève pas d'une école de pensée, l'Approche Sexocorporelle, mais bien de la simple et fine observation des comportements sexuels humains. Quiconque observe bien à cette lumière son propre fonctionnement sexuel ou celui de ses patients, comprend rapidement que ces composantes permettent de rendre mieux compte de ce qui se passe réellement sur le plan sexuel.
Il s'agit dès lors pour nous, sexologues, d'intégrer à l'enseignement sexologique traditionnel cette nouvelle grille de lecture plus spécifique. Ceci ne dévalorise en rien ce qui a déjà été fait, mais vient le compléter. Que l'on nous comprenne bien, il n'y a pas plus de sens à valoriser les murs d'une maison plutôt que ses fondations, qu'en matière sexuelle de ne penser qu'aux modes d'excitation, à l'archétype, etc. sans considération pour d'autres éléments plus organiques, psychologiques ou relationnels. A l'inverse, se restreindre à ces derniers éléments, au mépris des éléments directement sexologiques ne permettra souvent pas au patient d'évoluer beaucoup sur le plan de sa sexualité. Les patients sont à prendre dans leur globalité, y inclus leur sexualité.
Il s'agit aussi de donner accès au plus grand nombre de médecins, ainsi que de non-médecins, à des connaissances souvent simples concernant la sexualité et son fonctionnement. Une information correcte peut parfois suffire à aider beaucoup, là où d'autres interventions plus compliquées, basées sur une compréhension approximative (puisque moins spécifique) du trouble sexuel, avaient échoué.
Par ailleurs, comment ne pas regretter le peu de connaissances en matière sexuelle de nos confrères médecins, installés ou non, alors que les patients sont fort nombreux à être préoccupés par ce sujet. Les sexologues devraient-ils être les seuls habilités à traiter de matières sexuelles ? Nous sommes convaincus du contraire. Comme dans d'autres domaines médicaux, les médecins de premier recours bien informés devraient être capables d'aider leurs patients en but à certains troubles sexuels de base, et de référer au sexologue ou à l'urologue ce qui sort du champ de leurs compétences.
Le fait que du côté de l'Université, un enseignement plurifacultaire de sexologie dans le cadre de la formation continue soit en train de se mettre en place sous l'impulsion du Pr Willy Pasini va dans le même sens.
Les réflexions ci-dessus nous ont conduit à renforcer l'offre de formation et d'information en sexologie. Ainsi, dès janvier 1999, une première formation à l'Approche Sexocorporelle était organisée à Genève.
Le premier cycle de formation (180 heures) vient de se terminer en novembre dernier avec une vingtaine de praticiens divers formés. Un deuxième cycle est déjà bien entamé puisque trois des six sessions de quatre jours ont déjà eu lieu, et un troisième cycle débutera en février 2001 avec une cinquantaine de participants.
Dans le même ordre d'idée, mais s'ouvrant à tout public, des week-end de sensibilisation et de travail sur différents thèmes touchant à la sexualité (dénommés «Vivre en Amour») ont été organisés par notre consultation. Des thèmes tels que «L'érotisme au féminin», puis «L'érotisme au masculin» et «Le désir sexuel et le sentiment amoureux» ont été abordés, «Séduction et communication» étant le thème prévu pour juin 2001 et «Habiletés érotologiques» pour décembre 2001.
Par ailleurs, en collaboration avec l'industrie pharmaceutique, qui soutient de tels colloques en France et en Italie notamment, un enseignement d'une demi-journée pour les praticiens de premier recours de Genève et de Lausanne sur le thème «Développement de la vie sexuelle et affective de l'adulte» a été dispensé en juin et novembre derniers. Les praticiens de Neuchâtel se verront offrir le même type d'enseignement au printemps 2001. Un tel enseignement avait déjà été proposé au Tessin en septembre 1999 par Mme Rossi.
Toutes ces activités de formation sont tournées vers l'extérieur, mais l'intérieur de l'institution n'est pas oublié. C'est ainsi que, sous l'impulsion du Pr François Ferrero, un enseignement de sexologie de base (ouvert aux praticiens de la ville) a été proposé cette année dans le cadre de la formation post-graduée de psychiatrie de 4e et 5e année du Département de psychiatrie, sous forme d'un module trimestriel de huit séances. Cet enseignement vient compléter une sensibilisation à la sexualité humaine dispensée en quatre séances l'an passé en 3e année.
Dans le cadre plus intime de la Consultation de gynécologie psychosomatique, un séminaire dévolu à la prise en charge du «couple en sexologie» est organisé pour la troisième année consécutive en collaboration avec le Dr Lucien Barrelet.d Ce séminaire, dans lequel des situations filmées en vidéo sont discutées, vise à donner quelques outils essentiels pour la gestion d'entretiens de couples, la spécificité sexologique y étant intégrée.
«Last but not least», l'émission pour adolescents et jeunes adultes de la TSR «100% 2000», qui anime deux fois par mois, en fin de soirée, les écrans romands, pour la deuxième année consécutive, accueille une séquence sur la sexualité dans laquelle une animatrice, conseillée par nos soins, répond à quelques questions de téléspectateurs. A chaque fois, nous y intégrons un message informatif à propos du fonctionnement sexuel humain.
De fait, au travers de nos préoccupations actuelles au sujet de la dispense d'un enseignement de sexologie touchant un public le plus large possible, nous visons un objectif de santé publique. Nous sommes en effet convaincus qu'une sexualité saine est un des éléments importants de l'équilibre de l'individu et par suite de l'équilibre fonctionnel du couple. Face aux changements fréquents que tout un chacun rencontre heure par heure dans sa vie émotionnelle et affective, une vie sexuelle satisfaisante peut constituer un élément stabilisant. Inversement, une insatisfaction à ce niveau sera par contre très souvent une source de perturbation majeure.
Nous espérons par cet article avoir su transmettre trois messages. Premièrement, la notion d'une évolution constante des connaissances dans le champ neuf de la sexologie. Deuxièmement, la notion de l'existence de possibilités d'évaluations plus spécifiques des troubles sexuels, tenant mieux compte des composantes sexuelles basées sur ces nouvelles connaissances. Le dernier message est l'importance pour les patients que leurs médecins ou thérapeutes aient une meilleure connaissance des bases du fonctionnement sexuel normal, leur permettant de traiter à leurs niveaux les troubles sexuels simples.
La science sexologique n'est pas à maturité, loin s'en faut. Cependant, nous pensons que l'apport des connaissances sexologiques nouvelles peut être en mesure de faire progresser grandement nos capacités à répondre plus spécifiquement aux besoins divers de la population, que nous soyons praticiens de premier recours, urologues, gynécologues, psychothérapeutes, sexologues ou encore éducateurs sexuels ou travailleurs en plannings familiaux. W