Une captivante étude vient d'être publiée dans le New England Journal of Medicine.1 Elle devrait nous surprendre et nous faire réfléchir sur nos sentiments de morosité voire de ressentiment professionnel et nos manières de les exprimer ! Le concept de ce travail est, à la base, fort simple. Dans un contexte de spleen professionnel, de nombreuses personnes sont convaincues que le temps de consultation est devenu plus court et que l'encadrement des soins pousse les médecins à augmenter leur productivité au détriment de la qualité. Nous sommes nombreux à estimer que, dans la complexité bureaucratique ambiante, le temps consacré à nos patients diminue. Les faits reportés par cette étude démontrent le contraire. Les données ont été obtenues à partir de deux enquêtes supervisées par l'association médicale américaine. Les différents systèmes économiques de remboursement propres aux Etats-Unis sont également évalués. Plusieurs résultats méritent d'être connus et pourraient inciter à une réflexion plus approfondie sur les causes de la frustration des médecins. Dans ce domaine aussi, seul un diagnostic exact nous permettra d'apporter un traitement efficace.
Les données rapportées par ces études montrent qu'entre 1989 et 1998 le nombre total de consultations a fortement augmenté, passant de 677 millions de visite à 797. Par contre, le taux de consultations par médecin n'a pas varié entre 1989 et 1998. Pendant cette période la population médicale a augmenté de 21% (18% pour les généralistes et médecins de premier recours et 22% pour les spécialistes). L'augmentation du nombre de consultations a donc été principalement prise en charge par les nouveaux médecins. Phénomène intéressant, la durée de la consultation a été plus longue si le médecin était une femme et la proportion de celles-ci augmente de manière considérable aux Etats-Unis (le pourcentage passant de 12,9% à 20,5%). Par ailleurs, la gravité du diagnostic n'influence pas sur la durée de la consultation. Plusieurs autres études effectuées pendant cet intervalle sont citées par les auteurs. Elles confirmaient un sentiment subjectif d'insatisfaction chez nos collègues américains. Ceux-ci estimaient que l'évolution des conditions de soins ne leur permettait plus de passer autant de temps avec leurs patients.
L'intérêt de ces résultats est bien souligné dans un éditorial accompagnant l'article.2 Pourquoi cette discordance entre les résultats obtenus et le sentiment ressenti par les médecins ? Cela est probablement dû au fait que les médecins doivent faire face à une pression accrue , aussi bien médicale qu'administrative. De plus, ils doivent prendre en charge de multiples problèmes. Beaucoup de connaissances ont évolué ces dernières années, entraînant une difficulté croissante dans le choix des stratégies diagnostiques ou thérapeutiques, dans les notions nécessaires à l'application de mesures de prévention efficaces et adaptées. De plus, l'attente des patients a fortement augmenté, rendant la consultation plus difficile. Mais surtout, ce qui rend la pratique plus stressante c'est l'il inquisiteur du contrôle externe. Celui-ci fait le profil du médecin, lui demande constamment de justifier tous ces actes et le surveille presque constamment. La demande de rapports et de pré-consentement augmente la charge de travail de manière sensible et la perte d'indépendance et d'autonomie est mal ressentie. Cette augmentation du temps passé à de la bureaucratie et à la justification se montre frustrante. Il s'agit d'une des raisons majeures provocant ce sentiment d'amertume qui, lui, se projète sur le temps attribué à la consultation. D'une étude toute simple ressort le sentiment qu'une réforme en profondeur du système de santé, ne s'arrêtant pas à son unique aspect économique, mais définissant mieux les rôles des soignants, s'avère indispensableJ.-F. Balavoine