Le syndrome de Cushing est caractérisé par un excès de glucocorticoïdes avec ses manifestations au niveau de multiples tissus, ainsi qu'une prédisposition aux infections et aux complications cardiovasculaires et métaboliques. Malgré sa rareté, il est donc essentiel de ne pas manquer ce diagnostic, qui reste un défi parfois particulièrement difficile en endocrinologie. Dans cet article, nous tenterons de fournir une attitude pratique pour le dépistage et le diagnostic de cette maladie en discutant l'utilité et les limites des différents tests.
Le syndrome de Cushing (SC) est un ensemble de symptômes et signes résultant de l'exposition prolongée et inappropriée des tissus à un excès de glucocorticoïdes.
Il est associé à une mortalité quatre fois supérieure à la population normale (de même âge et sexe), due principalement aux complications cardiovasculaires (hypertension artérielle et événements thromboemboliques) et à la susceptibilité aux infections bactériennes. Comme presque tous les effets physiques et psychiques du SC sont réversibles sous traitement, un diagnostic et un traitement précoces sont essentiels.1
L'approche diagnostique comprend trois étapes successives : 1) le dépistage chez des patients présentant des symptômes ou signes d'hypercorticisme, 2) la confirmation biochimique du diagnostic de SC, et 3) la recherche de son étiologie qui peut être soit indépendante de l'ACTH (autonomie surrénalienne), soit ACTH-dépendante (par exemple, adénome hypophysaire = maladie de Cushing), qui représente 85% des cas de SC (tableau 1).
Le dépistage d'un SC est d'emblée difficile pour plusieurs raisons :
I le SC est rare (prévalence de 10/1 000 000 personnes).
I Pour s'approcher d'une sensibilité de 100%, beaucoup de tests utilisés pour le dépistage ont une spécificité relativement faible, autour de 80-90%, ce qui donne lieu à un taux de résultats faussement positifs de 10-20%. La problématique du dépistage d'une maladie très rare avec un test de spécificité non parfaite est illustrée par l'exemple du test de freinage à la dexaméthasone 1 mg (sensibilité de 100% et spécificité de 80%) : si 1 000 000 de personnes d'une population non sélectionnée sont testées, 200 008 n'auront pas de freination à la dexaméthasone (10 patients avec un SC et 20% de faux positifs parmi les autres 999 990 personnes). Seule une personne sur 20 000 avec un test de freinage positif aura donc un SC. Cet exemple démontre qu'il est nécessaire de sélectionner, sur des arguments cliniques, une population avec une probabilité a priori augmentée de SC avant de réaliser un test de dépistage.2
I D'autres états physiologiques ou pathologiques peuvent entraîner un hypercorticisme, qui est parfois difficile à distinguer, cliniquement et biochimiquement, d'un SC (tableau 2). Par exemple, un quart des patients hospitalisés et un tiers des patients en période postopératoire ont des résultats anormaux aux tests de dépistage pour un SC. Les patients souffrant de dépression ou d'éthylisme chronique peuvent présenter des symptômes et signes cliniques compatibles avec un SC, car leur synthèse de CRH (corticotrophin releasing hormone) hypothalamique est augmentée, entraînant une élévation d'ACTH et de cortisol (syndrome de pseudo-Cushing).3Les tests de dépistage devront donc être réalisés seulement après une période d'abstinence d'alcool d'un à deux mois.
Patients présentant une suspicion clinique
Avant toute investigation, une prise exogène de glucocorticoïdes (par voie orale, topique, injectée, etc.) ou d'acétate de médroxyprogestérone (Mégestat ® ; progestatif activité glucocorticoïde) doit être exclue.
Bien qu'un SC soit rare, beaucoup de ses symptômes et signes sont très fréquents et donc non spécifiques (hypertension artérielle, obésité, diabète, irrégularités menstruelles) (tableau 3). Cependant, certains signes, surtout s'ils sont apparus récemment, augmentent la suspicion de SC : les téguments fins et fragiles (ecchymoses spontanées), le comblement des creux sus-claviculaires, les infections opportunistes ou fongiques (tinea versicolor, pityriasis), une obésité tronculaire avec faciès lunaire, une faiblesse musculaire proximale ou une ostéoporose inexpliquée.2,4 Un changement de la cinétique de prise pondérale au cours des derniers mois ou années est également suggestif d'une éventuelle cause secondaire à l'obésité. Des photographies anciennes peuvent être utiles pour objectiver la progression des signes d'hypercorticisme.
Enfin, l'évolution rapide des symptômes cutanés, avec un poids stable, voire diminué, oriente vers le diagnostic rare de carcinome surrénalien (associé parfois à des signes de virilisation, acné et hirsutisme) ou de tumeur ectopique sécrétant l'ACTH (et/ou CRH), avec dans ce dernier cas, une hyperpigmentation et une hypokaliémie parfois sévère.
Patients avec un incidentalome surrénalien
Suite à l'utilisation étendue de l'ultrasonographie abdominale, du scanner et de l'IRM, de plus en plus d'incidentalomes surrénaliens sont détectés fortuitement (prévalence de 1 à 3% dans la population). La plupart sont des adénomes non fonctionnels, mais 5 à 19% produisent du cortisol de façon autonome, définie par l'absence de freinage à 1 mg de dexaméthasone. Ces patients ne présentent aucun symptôme ni signe d'hypercorticisme et ils ont une cortisolurie normale, définissant ainsi l'entité d'un SC subclinique dont la relevance clinique reste controversée.5,6 Ces patients auraient une prévalence élevée de diabète de type 2, d'hypertension artérielle et d'obésité diffuse, souvent améliorés après adrénalectomie unilatérale.7 L'évolution spontanée des SC subcliniques est inconnue, mais la rareté d'un SC franc suggère que la grande majorité des SC subcliniques ne progresse pas. Ceci est illustré par la faible prévalence du SC franc dû à un adénome surrénalien (1,5/1 000 000) qui contraste avec la haute prévalence présumée des SC subcliniques (~2% d'incidentalomes dans la population générale, dont 5-10% avec un SC subclinique ; c'est-à-dire 2% x 10% = 0,2% de la population générale aurait un SC subclinique). On calcule donc rapidement qu'environ un seul patient sur 1300 avec un SC subclinique dans le cadre d'un incidentalome surrénalien développera un vrai SC. En l'absence de données définitives quant à la relevance clinique de l'entité d'un SC subclinique et de la démonstration qu'une intervention chirurgicale soit bénéfique chez ces patients, nous proposons d'effectuer un test de freinage ou une cortisolurie de 24 h uniquement chez les patients avec une présentation clinique ou paraclinique évocatrice d'un hypercorticisme (par exemple, hypertension, hypokaliémie, ostéoporose inexpliquée) (tableau 3).
Les deux tests classiques de dépistage sont le test de freinage à la dexaméthasone (1 mg) et la cortisolurie de 24 h, ce dernier étant à la fois un test pour le dépistage et le diagnostic définitif.2
I Cortisolurie de 24 h. Examen non invasif, mesurant de façon intégrée la concentration sérique de cortisol libre. Sa sensibilité est de 95 à 100% si la récolte urinaire est complète (s'en assurer en mesurant simultanément la créatininurie, qui est d'environ 1 g/jour chez un adulte de 70 kg) ; sa spécificité est de 98%. Des élévations modérées de cortisolurie se rencontrent notamment chez les patients éthyliques et chez 4% des obèses (tableau 4). Les normes sont à établir par chaque laboratoire (HUG : 30-220 nmol/24 h) et la suspicion pour un SC est élevée si la cortisolurie est > 700-800 nmol/24 h. Le coût de cet examen est de Fr. 60.-.
I Test de suppression à la dexaméthasone faible dose (1 mg dexaméthasone p.o. à 23 h et dosage de cortisolémie le lendemain à 8 h). Ce test étudie le caractère suppressible de la production endogène de cortisol, et il repose sur l'observation que quasiment toutes les sources de production inappropriée d'ACTH ou de glucocorticoïdes ne sont pas inhibées par 1 mg de dexaméthasone. Chez les sujets normaux, la cortisolémie est 98% (peu de faux négatifs), rendant le SC peu probable si la suppression est normale. Or, sa spécificité n'est que de 70-90% (10-30% de faux positifs) et en l'absence de suppression, il est donc impératif d'effectuer d'autres tests pour confirmer le diagnostic de SC (tableau 5). Une suppression à une valeur 8 Le coût de ce test est de Fr. 45.-.
cortisol salivaire : le cortisol libre sérique diffuse librement dans la salive où sa concentration est indépendante du flux salivaire. La mesure de cortisol salivaire est simple (mâcher un tampon de coton spécial pendant 2 min), peu coûteuse, non invasive et réalisable à domicile avec récoltes pendant plusieurs jours successifs. Les échantillons peuvent être stockés à température ambiante pendant plusieurs jours, ou congelés pour une plus longue période. Le test de dépistage qui, dans la littérature, a les meilleures performances, comprend une mesure de cortisol salivaire à 23 h, directement suivie par la prise de dexaméthasone 1 mg, et une deuxième récolte de salive le lendemain matin entre 8 et 9 h. Une étude a ainsi évalué 33 patients avec SC, 30 sujets normaux et 18 obèses.9 Une valeur seuil de 5 nmol/l pour le cortisol salivaire à 23 h donne une sensibilité de 100% et une spécificité de 88% chez des patients non obèses, tandis que ce seuil est à 8 nmol/l pour le groupe des obèses (BMI moyen 40 kg/m2) pour atteindre une sensibilité et une spécificité de 93%. Chez ces derniers patients, l'administration de 1 mg de dexaméthasone à 23 h augmente la sensibilité à 100% (avec une spécificité de 94%) pour une valeur seuil de 10,8 nmol/l pour la concentration de cortisol salivaire à 8 h le lendemain matin. Une deuxième étude portant sur 39 patients avec un SC, 39 patients présentant des signes et symptômes d'hypercorticisme non SC (dont des pseudo-Cushing) et 73 contrôles, le dosage isolé de cortisol salivaire à 23 h a une sensibilité de 92% pour la présence d'un SC (valeur seuil > 3,6 nmol/l).10
En résumé, le dosage du cortisol salivaire est caractérisé par sa facilité de prélèvement. Cependant, vu le peu d'études actuellement disponibles et l'absence de consensus sur les critères diagnostiques, nous proposons de limiter ce dosage pour le moment à des patients bien spécifiques, comme par exemple pour l'investigation d'une suspicion de SC périodique chez des patients non compliants pour des récoltes urinaires.
cortisolémie matinale à jeun : la sécrétion de cortisol est pulsatile et la fourchette des valeurs de référence est grande. Il existe donc un large chevauchement entre les valeurs des sujets normaux et des SC, rendant ce dosage inutile pour le dépistage ou le diagnostic d'un SC.
cortisolémie à minuit : une étude a montré qu'une valeur de cortisolémie 50 nmol/l permet de poser le diagnostic d'un SC avec une sensibilité de 100%.11 Cependant, ce dosage pose des difficultés pratiques comme test de screening pour le praticien en ambulatoire : dans les conditions optimales, le patient doit être au calme, hospitalisé depuis au moins 48 h (afin d'éviter les faux positifs dus au stress de l'hospitalisation), ne pas présenter de maladie intercurrente, et le dosage doit être idéalement réalisé durant le sommeil. Sous ces conditions, la sensibilité est de 100%.
Il est important de noter qu'il n'existe aucun test validé dans de grandes séries qui a une sensibilité de 100% pour le SC. De plus, une sécrétion périodique de cortisol, ainsi que des récoltes urinaires incomplètes peuvent entraîner des résultats faussement négatifs. Un résultat négatif au screening n'exclut donc pas avec une certitude absolue le diagnostic de SC et chez les patients présentant une très forte suspicion clinique pour un hypercorticisme endogène, les tests devront être répétés à plusieurs reprises.
En raison du taux de résultats faussement positifs pour le test de freinage avec 1 mg de dexaméthasone, un test de confirmation, sous forme d'une cortisolurie de 24 h, est impératif. Le diagnostic est probable si la cortisolurie dépasse 700 nmol/24 h en présence d'une clinique suggestive et en l'absence d'un éthylisme chronique (tableaux 3, 4). Par contre, une cortisolurie au-dessus de la limite supérieure de la norme (220 nmol/24 h), mais inférieure à 700-800 nmol/24 h ne permet ni d'affirmer ni d'infirmer définitivement un SC ; en effet, la valeur seuil considérée comme diagnostique pour un patient spécifique dépend de la présentation clinique. Une anamnèse fouillée et un examen clinique détaillé sont essentiels, soulignant une fois de plus que les tests de dépistage doivent rester réservés aux patients présentant au moins quelques caractéristiques spécifiques du SC (tableau 3, en italique).
La situation la plus problématique pour la confirmation d'un SC reste l'éthylisme chronique, qui peut mimer les aspects cliniques et biochimiques d'un vrai SC. Une étude a montré que le test combiné au CRH (corticotrophin releasing hormone) et dexaméthasone permettait de différencier les SC des pseudo-Cushing.12,13 Néanmoins, ces résultats n'ont pas encore été confirmés par d'autres études et ce test reste réservé aux spécialistes.
Finalement, il faut mentionner que le test classique de G. Liddle (test de suppression long à la dexaméthasone à faible dose) qui a été initialement considéré comme le gold standard, n'est que rarement utilisé en raison du taux élevé de faux négatifs, présents dans 31 à 44% des cas selon les études.2
Une fois le diagnostic d'hypercorticisme endogène confirmé, l'étape suivante consiste à localiser sa source, dont la première étape sera le dosage de l'ACTH plasmatique qui permet de distinguer les Cushing ACTH-indépendants (ACTH 10 pg/ml = 2,2 pmol/l) (tableau 1). L'imagerie n'est pas utile comme technique de localisation initiale, vu la fréquence élevée des incidentalomes hypophysaires (10-40%) et surrénaliens (1-3%) dans la population générale.
Les syndromes de Cushing ACTH-dépendants représentent 85% des cas, dont la majorité (80-90%) sont des adénomes hypophysaires (maladie de Cushing). Dans les autres 10-20% des cas, la sécrétion d'ACTH et/ou de CRH est ectopique, due à une tumeur non hypophysaire. Les tests diagnostiques sont basés sur le principe que la sécrétion d'ACTH par un adénome hypophysaire est inhibée par des doses pharmacologiques de dexaméthasone.14 Par contre, les sources ectopiques de production d'ACTH (et/ou CRH) sont typiquement autonomes et non inhibées même par de fortes doses de dexaméthasone (fig. 1). Cependant, les exceptions ne sont pas rares et ces tests sont réservés aux spécialistes.2,3 Si les tests biochimiques font suspecter une origine hypophysaire à un SC ACTH-dépendant, une IRM est indiquée avec une sensibilité de 50-75% pour la mise en évidence d'un microadénome. S'il s'agit d'une forme ectopique, comme 50% des sources tumorales sont intrathoraciques, une tomographie thoracique sera réalisée en première intention. Néanmoins, même si les tests hormonaux parlent en faveur d'une maladie de Cushing, la présence d'une lésion hypophysaire infracentrimétrique à l'imagerie est insuffisante pour poser ce diagnostic de manière définitive (problème des incidentalomes !) et un cathétérisme des sinus pétreux est fréquemment indiqué chez ces patients.
Le SC est ACTH-indépendant dans 15% des cas et la pathologie surrénalienne est le plus souvent unilatérale avec un adénome dans 60% et un carcinome surrénalien dans 40% des cas ; un scanner des surrénales aidera à définir la pathologie précise.
Le SC reste un défi diagnostique parfois particulièrement difficile en endocrinologie, et il ressort de cette discussion que les tests disponibles posent des problèmes importants de spécificité, notamment chez les patients éthyliques, obèses et dépressifs. Afin de minimiser au maximum les erreurs diagnostiques et les coûts inutiles, il est important : 1) de réaliser les tests hormonaux seulement si la présentation clinique comporte quelques éléments spécifiques, et 2) d'effectuer les tests dans une séquence logique, c'est-à-dire un test de dépistage/diagnostic (préférentiellement une cortisolurie de 24 h), suivi de tests hormonaux plus spécialisés pour définir l'origine de l'hypercorticisme. Une imagerie hypophysaire ou surrénalienne est indiquée seulement après avoir effectué des tests hormonaux conclusifs (problème des incidentalomes !).