Les diurétiques sont fréquemment utilisés dans le traitement des états oedémateux. Ils inhibent la réabsorption du sodium au niveau du tubule rénal, provoquant ainsi une excrétion accrue de sodium et d'eau. On distingue trois catégories de diurétiques, en fonction de leur site d'action : les diurétiques proximaux, les diurétiques de l'anse et les diurétiques distaux. Leur posologie doit être adaptée chez les patients souffrant d'insuffisance rénale aiguë et chronique ou d'un syndrome néphrotique.Le but des diurétiques dans l'insuffisance rénale aiguë est essentiellement de maintenir une diurèse, afin d'éviter le recours à une épuration extrarénale. La perfusion continue des diurétiques de l'anse et l'adjonction de diurétiques distaux sont souvent nécessaires. Dans l'insuffisance rénale chronique, les diurétiques sont indispensables dans le traitement de l'hypertension artérielle associée et des oedèmes. Les diurétiques de l'anse doivent être employés en premier lieu avec une adaptation de leur posologie. La combinaison avec des diurétiques distaux peut s'avérer utile. Enfin, la prise en charge du syndrome néphrotique nécessite le plus souvent d'augmenter les doses de diurétiques et leur fréquence d'administration.
La connaissance de préparations diurétiques remonte aux débuts de l'Antiquité. Certaines plantes telles que la nielle et des fruits comme la cerise, la figue et l'olive étaient déjà décrites comme diurétiques par Pline l'Ancien (23-79 AD) et étaient utilisées par les Romains dans les états démateux.1
L'arrivée des diurétiques modernes de l'anse et des thiazides au milieu du siècle dernier, dépourvus des effets secondaires des diurétiques mercuriels utilisés précédemment, a, d'une part, révolutionné le traitement de l'hypertension artérielle et, d'autre part, permis un traitement plus efficace des dèmes. Outre les insuffisances cardiaque et hépatique, les dèmes se voient fréquemment dans les insuffisances rénales et dans le syndrome néphrotique. Cependant, l'emploi des diurétiques dans les néphropathies nécessite une adaptation de leur mode d'administration et de leur posologie afin de parvenir à une meilleure efficacité thérapeutique. Le but de cet article est de revoir en quoi la physiopathologie des affections rénales affecte l'efficacité des diurétiques communément employés et comment y remédier par des stratégies thérapeutiques appropriées.
Les diurétiques agissent en inhibant les mécanismes de réabsorption du sodium dans les différentes parties du néphron et provoquent ainsi une excrétion accrue de sodium et d'eau (fig. 1). La quantité de sodium excrétée reflète la différence entre les quantités filtrées et réabsorbées le long du néphron. Plus de 99% du sodium filtré sont généralement réabsorbés. Le transport du sodium est conditionné par l'action de la pompe ubiquitaire Na-K-ATPase placée dans la membrane basolatérale des cellules tubulaires. Celle-ci, en échangeant le sodium intracellulaire avec du potassium extracellulaire crée un gradient électrochimique, favorable à la réabsorption du sodium filtré. Du côté de la membrane luminale, des transporteurs spécifiques aux différentes régions du néphron vont faciliter l'entrée du sodium dans les cellules tubulaires. Les diurétiques vont donc agir sur ces transporteurs en les inhibant. Leur dénomination est définie par l'endroit où ils agissent. Ils sont classés généralement en trois catégories : les diurétiques proximaux (mannitol et inhibiteurs de l'anhydrase carbonique), les diurétiques de l'anse et les diurétiques distaux (thiazidiques et les diurétiques épargnant le potassium).
La grande majorité des diurétiques est fortement liée à l'albumine plasmatique dans le compartiment vasculaire. Hormis la spironolactone et les diurétiques osmotiques, les diurétiques sont sécrétés activement au niveau du tubule proximal dans la lumière tubulaire avant d'atteindre plus distalement leur site d'action.
Les inhibiteurs de l'anhydrase carbonique (acétazolamide) vont empêcher la réabsorption des bicarbonates au niveau du tubule proximal et concomitamment celle des ions sodium et chlore. Ce ne sont pas des diurétiques très puissants, car l'anhydrase carbonique se trouve préférentiellement dans le tubule proximal et le sodium non réabsorbé à ce niveau le sera plus distalement. Leur principale indication est représentée par les états démateux avec alcalose métabolique, que l'on rencontre dans les syndromes obstructifs pulmonaires chroniques, où l'augmentation de la bicarbonaturie va restaurer un équilibre acide-base plus satisfaisant et augmenter l'excrétion sodée.2 Les principaux effets secondaires sont l'acidose et l'hypersensibilité aux sulfamides.
Les diurétiques osmotiques (mannitol) agissent en inhibant la réabsorption de l'eau le long du tubule et diminuent donc, au niveau de l'anse de Henle, le gradient favorable pour le transport du sodium vers la lumière intracellulaire. Leurs principales indications sont l'dème cérébral et la prévention de la progression de la nécrose tubulaire aiguë, en particulier dans l'insuffisance rénale sur rhabdomyolyse.3 Leur emploi nécessite une prudence particulière en raison des risques d'expansion de la volémie et d'hyperosmolarité.4
Ceux-ci agissent au niveau de l'anse ascendante de Henle en bloquant le transporteur sodium-potassium-chlore. Ce sont les diurétiques les plus puissants et ils peuvent augmenter l'excrétion sodée jusqu'à 20-25% de la charge filtrée.4 Ils sont utilisés dans tous les états démateux, dans l'hypertension artérielle et dans le traitement de l'hypercalcémie en combinaison avec une chasse hydrique.5 Leurs effets secondaires sont la déplétion volémique, l'azotémie, l'hypokaliémie, l'alcalose métabolique, l'hyperuricémie, l'hypomagnésémie et l'ototoxicité.
L'acide étacrynique, unique diurétique de l'anse qui n'est pas un dérivé des sulfonamides, n'est que rarement employé en raison d'une ototoxicité importante, et son utilisation devrait être réservée aux patients présentant des allergies aux autres diurétiques de l'anse.
Ils agissent au niveau du tubule distal en inhibant le transporteur sodium-chlore.
Leurs principales indications sont l'hypertension artérielle, les états démateux, l'hypercalciurie, et la potentialisation diurétique. Leurs effets secondaires sont fort semblables à ceux des diurétiques de l'anse : déplétion volémique, azotémie, hypokaliémie, alcalose métabolique, hyperuricémie, hypomagnésémie. En agissant plus distalement que les diurétiques de l'anse, les thiazides n'interfèrent pas avec le mécanisme de concentration urinaire mais diminuent la capacité des reins à excréter l'eau libre de solutés et peuvent donc provoquer des hyponatrémies (SIADH-like).6
Ils agissent au niveau du tube collecteur en bloquant le canal apical sodique des cellules principales. A ce niveau, l'entrée du sodium se fait par des canaux sodiques sous l'influence de l'aldostérone. La réabsorption du sodium à ce niveau va créer un gradient électrochimique favorable pour l'excrétion du potassium dans la lumière tubulaire.
L'amiloride et le triamtérène agissent directement sur le canal sodique tandis que la spironolactone entre en compétition avec l'aldostérone. Les indications sont l'ascite cirrhotique (spironolactone), le diabète insipide induit par le lithium (amiloride) et l'insuffisance cardiaque (spironolactone).
Vu leur mécanisme d'action, l'effet secondaire prédominant est l'hyperkaliémie, et cette classe de diurétiques est contre-indiquée en cas d'insuffisance rénale sévère.7La gynécomastie est fréquemment observée avec des doses importantes de spironolactone.
Il n'y a pas actuellement d'évidence que l'utilisation des diurétiques soit efficace dans la prévention de l'insuffisance rénale aiguë (IRA) ni dans le traitement d'une insuffisance rénale aiguë nouvellement constituée, malgré les progrès réalisés dans la compréhension de la physiopathologie de l'IRA, notamment ischémique.8 Deux études récentes et randomisées sur la prévention d'une part de l'IRA induite par les produits de contraste et d'autre part post-chirurgie cardiovasculaire ont même démontré une action délétère des diurétiques dans ces indications.9,10
Les diurétiques peuvent néanmoins être utiles dans l'IRA oligo-anurique. Bien qu'il n'existe pas d'évidence que la «conversion» d'une IRA oligo-anurique en une insuffisance rénale à diurèse conservée améliore la survie des patients,11 le maintien ou la restauration d'une diurèse permet souvent d'éviter d'avoir recours à l'hémodialyse ou à l'hémofiltration.8 Ces deux méthodes, particulièrement l'hémodialyse, outre la morbidité associée à la mise en place d'un accès vasculaire, peuvent engendrer des à-coups volémiques et créer des nouvelles lésions (second hit) et donc prolonger la durée de l'insuffisance rénale.12 En effet, l'insuffisance rénale aiguë, définie comme une baisse rapide de la filtration glomérulaire, est caractérisée par une perte de l'autorégulation vasculaire, avec pour conséquence un flux plasmatique rénal entièrement dépendant de la pression de perfusion rénale et donc une sensibilité particulière du parenchyme rénal aux variations tensionnelles.
Les diurétiques de l'anse sont les diurétiques de choix dans l'insuffisance rénale oligo-anurique. En bloquant au niveau de l'anse ascendante de Henle le transporteur sodium-potassium-chlore, ils réduisent la demande en O2, minimisant ainsi les effets de l'ischémie induite par la vasoconstriction rénale observée lors de nécrose tubulaire. En augmentant le flux urinaire,8 ils diminueraient également l'obstruction tubulaire créée par les cellules tubulaires nécrotiques.
La rétention hydro-sodée est une conséquence inévitable rencontrée dans la plupart des IRA et en plus de la restriction des apports de sel et de liquide, les diurétiques sont souvent nécessaires pour optimaliser le contrôle tensionnel et diminuer les dèmes.
Les diurétiques de l'anse sont préférés aux diurétiques distaux, car ceux-ci sont inefficaces en monothérapie lorsque la filtration glomérulaire est inférieure à 30 ml/min vu la réabsorption sodée accrue proximalement à leur site d'action.7 Cependant, leur posologie doit être augmentée dans l'insuffisance rénale aiguë, afin d'obtenir une concentration suffisante du diurétique dans la lumière tubulaire.
En effet, les acides organiques qui s'accumulent dans l'insuffisance rénale sont en compétition avec les diurétiques pour être sécrétés au niveau du tubule proximal. De plus, la diminution de la masse néphronique fonctionnelle et du flux plasmatique rénal, l'avidité marquée des néphrons résiduels pour le sodium au niveau proximal et la présence éventuelle d'une protéinurie concomitante (liaison intratubulaire de l'albumine avec les diurétiques) vont diminuer l'action des diurétiques.
La biodisponibilité du furosémide per os présentant une grande variation interindividuelle, on préférera l'administration i.v., en perfusion lente (20-30 minutes) afin d'éviter un tinnitus transitoire. Pour le furosémide (Lasix ®), on augmentera progressivement la posologie jusqu'à 160-200 mg i.v., maximum 400 mg/jour. Le torasémide (Torem ®) présente une meilleure biodisponibilité per os et les doses orales et intraveineuses sont équivalentes (50-100 mg/j, maximum 200 mg/j).
Les patients qui présentent une réponse insuffisante à une thérapie intermittente peuvent bénéficier d'une administration continue, ce qui permet de maintenir une concentration continue du diurétique au site d'action, avec bien souvent un effet clinique favorable.13 Avant toute perfusion continue, un bolus permet d'atteindre plus rapidement des concentrations efficaces.4 Pour le furosémide (Lasix ®) et le torasémide (Torem ®), des perfusions respectives de 250-1000 mg/24 h et de 125-500 mg/24 h constituent la norme.
En cas de réponse insuffisante aux diurétiques de l'anse, on ajoute fréquemment un diurétique thiazidique, afin d'obtenir un effet synergique sur la natriurèse et sur la diurèse.14,15 La posologie doit également être augmentée compte tenu de la pharmacocinétique modifiée en cas d'insuffisance rénale. On utilise volontiers la métolazone (Zaroxolyne ®), aux doses de 3 x 5 ou 3 x 10 mg/jour p.o.
Qu'en est-il de la dopamine ? La dopamine à petite dose (0,5-2 µg/kg/min), ou «doses rénales», a longtemps été utilisée préventivement dans l'IRA. Cette utilisation, probablement erronée, a reposé sur l'hypothèse que la vasodilatation induite au niveau rénal par la dopamine permettait d'augmenter le flux plasmatique rénal et la filtration glomérulaire, et ainsi prévenait l'installation d'une insuffisance rénale. Une étude randomisée récemment publiée, incluant des patients admis dans des unités de soins intensifs avec une détérioration de la fonction rénale, n'a pas démontré d'effet de la dopamine pour prévenir l'aggravation de la fonction rénale.16
La plupart des insuffisants rénaux chroniques présentent une hypertension artérielle, due en grande partie à la rétention hydrosodée induite par la réduction de leur fonction rénale. Les dèmes n'apparaissent généralement que dans l'insuffisance rénale terminale. La prise en charge de cette hypertension artérielle nécessite donc l'emploi de diurétiques, mais est parfois difficile en raison de la réponse altérée à cette classe de médicaments dans cette situation.17 Comme dans l'IRA, l'effet des diurétiques est diminué en raison de la réduction de la masse néphronique, avec des néphrons restants qui sont à leur capacité diurétique maximale. La réduction du flux plasmatique rénal et la compétition avec les acides organiques entraînent également une concentration diminuée des diurétiques à leur site d'action.
Les diurétiques de choix dans l'insuffisance rénale chronique (IRC) sont également les diurétiques de l'anse. Nous favorisons l'emploi du torasémide en raison de son excellente biodisponibilité orale et de sa longue demi-vie.18
Leur posologie doit en général être augmentée et adaptée en fonction de la réponse clinique (fig. 2). En cas de réponse insuffisante, un diurétique distal de type thiazidique peut être ajouté qui permet de diminuer la réabsorption sodée distale et a un effet synergique. La posologie de ce dernier doit être également adaptée, initialement en fonction de la clairance à la créatinine, puis selon l'effet clinique.4 Si la réponse est toujours insuffisante, un diurétique comme la spironolactone peut être en plus administré.
L'emploi à long terme des diurétiques de l'anse en augmentant l'excrétion urinaire de calcium peut aggraver l'hyperparathyroïdisme secondaire présent chez les insuffisants rénaux chroniques et nécessite donc un suivi régulier du métabolisme phosphocalcique chez ces patients.19
Il est courant de maintenir les diurétiques chez les patients hémodialysés qui ont encore une diurèse supérieure à 200 ml/jour. Hormis le confort procuré par une restriction hydrique moins sévère, les diurétiques dans cette situation ne semblent pas influencer le devenir à long terme de la fonction rénale résiduelle.20
Il est souvent difficile d'obtenir une diurèse satisfaisante chez les patients atteints de syndrome néphrotique. Le syndrome néphrotique se caractérise par une résistance accrue aux diurétiques qui est due à plusieurs mécanismes. Premièrement, les diurétiques étant fortement liés à l'albumine plasmatique, l'hypoprotéinémie va diminuer la fraction liée et augmenter l'espace de distribution des diurétiques. Ceux-ci sont donc transportés moins efficacement dans l'espace vasculaire jusqu'aux sites de sécrétion des tubules proximaux.4 Deuxièmement, l'albuminurie va entraîner une liaison dans le tubule rénal avec les diurétiques et diminuer la fraction libre efficace,21 quoique des résultats récemment publiés chez des patients avec syndrome néphrotique remettent en doute l'importance de ce mécanisme chez l'homme.22 De plus, le syndrome néphrotique se caractérise par une avidité sodique accrue au niveau rénal.
Il est donc nécessaire, d'une part, d'augmenter notablement la posologie et la fréquence d'administration des diurétiques et, d'autre part, d'envisager une combinaison avec un diurétique distal afin d'obtenir une diurèse efficace.4Chez les patients avec hypoalbuminémie importante (< 20 g/l), l'administration concomitante d'albumine intraveineuse avec les diurétiques doit être considérée, quoique cette association n'augmente que modérément la diurèse.23
L'insuffisance rénale aiguë, l'insuffisance rénale chronique ou encore le syndrome néphrotique sont des affections fréquentes. Dans ces situations, les diurétiques de choix pour traiter les états démateux et l'hypertension artérielle sont les diurétiques de l'anse. Leur mode d'action nécessite cependant une augmentation importante de la posologie et/ou de la fréquence d'administration. Bien souvent, l'adjonction d'une seconde classe de diurétiques à action distale s'avère nécessaire.