La survenue d'une microangiopathie thrombotique (MAT) chez un patient transplanté rénal peut correspondre soit à la récidive de la maladie initiale sur le transplant, événement dont l'incidence globale est estimée à 27,8%, soit à un phénomène «de novo», dont l'origine la plus fréquente (jusqu'à 14% des biopsies rénales effectuées sur des transplants) est une toxicité des inhibiteurs de la calcineurine. Pour illustrer ce sujet, trois cas de MAT associées à une toxicité de la ciclosporine sont présentés. Le diagnostic se pose par biopsie rénale, motivée par une dégradation de la fonction rénale. Les manifestations extrarénales et les signes hématologiques d'hémolyse mécanique sont en effet rares. L'arrêt des inhibiteurs de la calcineurine est la principale mesure thérapeutique. L'évolution est très variable : de la perte du greffon à une insuffisance rénale aiguà« complètement réversible.
Le terme de microangiopathie thrombotique (MAT) désigne une lésion de l'endothélium des petites artérioles et des capillaires artériolaires entraînant la formation d'agrégats plaquettaires et de thromboses. La thrombopénie et l'anémie hémolytique résultent de la consommation des plaquettes et de la fragmentation des hématies dans les vaisseaux lésés.
L'étiologie des MAT est multiple, les principales sont résumées dans le tableau 1. Le propos de cet article se concentre sur la survenue de MAT chez des patients transplantés, rénaux en particulier. Dans ce contexte, les causes sont moins nombreuses, mais leur reconnaissance implique des mesures thérapeutiques parfois opposées. En effet, si une toxicité des inhibiteurs de la calcineurine est retenue, leur interruption s'impose et la poursuite de l'immunosuppression doit être modifiée, du moins transitoirement.
Afin d'illustrer le propos, nous rapportons l'observation de trois cas de MAT qui ont été attribuées à une toxicité de la ciclosporine A (CsA). Il s'agit de la cause la plus répandue de MAT en transplantation : son incidence est estimée à 14% des biopsies rénales (PBR) effectuées chez des patients greffés rénaux dans l'une des séries de la littérature la plus importante.1
Il s'agit de trois hommes âgés de 42 à 49 ans suivis à notre consultation de transplantés rénaux. La cause initiale de l'insuffisance rénale n'est pour aucun des trois un syndrome hémolytique et urémique (SHU). Le diagnostic a été posé de 14 à 121 jours après la greffe. Les trois ont reçu une immunosuppression à base de CsA, dans sa forme Sandimmun Néoral® : le dosage, les taux sanguins exprimés en C0 (taux résiduel), C2 (taux 2 heures après la prise) ou la mesure de l'aire sous la courbe (AUC) étaient dans des intervalles considérés comme non toxiques.2 Le traitement dans les trois cas a été en premier lieu un arrêt de la CsA et l'immunosuppression a été poursuivie par du mycophénolate mofétil (MMF) et des stéroïdes. Des séances de plasmaphérèse ont été effectuées chez deux patients qui présentaient les tableaux cliniques les plus graves. L'évolution a été très variable : récupération de la fonction rénale 22 jours après l'arrêt de la CsA et huit séances de plasmaphérèse pour le patient 1 ; évolution rapidement favorable pour le patient 2 avec retour à la fonction rénale initiale trois jours après l'arrêt de la CsA ; perte du greffon avec nécessité de reprendre des séances d'hémodialyse trois jours après le diagnostic et ablation du greffon huit jours plus tard pour le patient 3.
Les différentes caractéristiques cliniques et biologiques des patients sont résumées dans le tableau 2.
Le diagnostic de MAT associée à la CsA a été retenu chez nos trois patients par exclusion. En effet, l'analyse des antécédents néphrologiques, de la période de survenue de la MAT après la greffe et surtout des données morphologiques fournies par la PBR a permis de retenir ce diagnostic étiologique. Quatre possibilités sont à considérer dans cette situation.
Ce risque est difficile à évaluer, variable selon les séries publiées. Une méta-analyse de 127 patients estime le taux global de récidives à 27,8%.3 Différents facteurs de risque ont été identifiés dans cette méta-analyse : SHU récidivant ou familial, SHU atypique, un âge plus élevé, la rapidité d'évolution de la maladie initiale, une transplantation précoce, une origine familiale du greffon et l'utilisation d'inhibiteurs de la calcineurine, ce dernier point n'est d'ailleurs pas reconnu par tous les auteurs.4 L'analyse du risque de récurrence en fonction des facteurs de risque cités ci-dessus varie considérablement : 13% à partir d'un rein de cadavre, 30% à partir d'un donneur vivant,4 67% chez des enfants ayant présenté un SHU atypique et 17% chez des enfants avec SHU typique, de survenue épidémique et accompagné de diarrhées.5
Dans la méta-analyse de Ducloux,3 la récidive survient dans le premier mois suivant la greffe et entraîne la perte du transplant dans la moitié des cas. Dans une autre série, la survie des greffons à cinq ans était de 63%.6 Ce qui est sensiblement égal à la survie générale des greffons rénaux de donneur cadavérique.7
Contrairement à la première situation, il s'agit cette fois de la survenue d'une MAT de novo. La distinction entre un rejet hyperaigu retardé et une toxicité des inhibiteurs de la calcineurine n'est pas toujours aisée. Cette éventualité a été évoquée chez le patient 3. Mais l'analyse morphologique permet de les différencier. En effet, en cas de rejet hyperaigu retardé, on observe souvent des nécroses des parois vasculaires, une artérite intimale, un infiltrat inflammatoire net de l'interstitium, des thromboses des capillaires péritubulaires.
En cas de néphropathie chronique de transplantation, on peut observer dans 5% des cas, des lésions glomérulaires identiques à celles d'une MAT. Mais on ne retrouve pas de thrombus de fibrine sur la PBR et ce type de glomérulopathie se caractérise par une protéinurie abondante.
Dans cette dernière possibilité, l'observation d'autres signes de toxicité rénale, tels qu'une vacuolisation des cellules tubulaires, une vasculopathie ciclosporinique, apporte de précieux arguments en faveur d'une MAT associée à la CsA ou au FK 506.
La prévalence de cette affection varie selon les quelques séries à disposition : de 3,5% 8 à 14%1 des PBR effectuées chez des porteurs de greffe rénale. L'implication du tacrolimus est plus rare, estimée à 1%.9
La survenue de ce type de MAT ne se retrouve pas seulement chez les porteurs de greffes rénales. En effet, on peut en observer chez 2% environ des porteurs de greffe hépatique, cardiaque ou pulmonaire. Les observations les plus nombreuses se retrouvent chez les porteurs d'allogreffe de moelle osseuse : mais dans ces cas, le rôle de l'irradiation corporelle totale et la réaction du greffon contre l'hôte peuvent être certainement aussi impliqués.
Enfin, l'observation de MAT au cours d'un traitement par CsA est très exceptionnelle chez les malades non transplantés.10,11,12
La présentation est le plus souvent asymptomatique et les manifestations systémiques sont rares. Les anomalies hématologiques, telles que thrombocytopénie, anémie, schizocytes, augmentation des LDH sont inconstantes : dans 8 à 50% des cas.1,8,13 La manifestation habituelle est donc une insuffisance rénale aiguë de gravité très variable, sans manifestation urinaire particulière qui survient de 4 jours à 6 ans après la greffe.1 Le diagnostic repose donc sur la biopsie rénale.
Le pronostic est variable, pas très bon dans l'ensemble : la perte du greffon survient dans 19 à 57%.1,8,13Enfin, la mortalité ou la morbidité extrarénale liée à la MAT est exceptionnelle.
L'analyse morphologique des PBR met en évidence les lésions classiques de MAT avec quelques nuances (fig. 1). Le système vasculaire est le siège de thromboses fibrineuses glomérulaires et artériolaires dans lesquelles on peut observer la présence de polynucléaires neutrophiles et parfois d'agrégats plaquettaires. Les cellules endothéliales glomérulaires et artériolaires sont turgescentes. Par contre, l'épaississement des parois glomérulaires et l'atteinte mésangiale (mésangiolyse) sont inconstantes. Enfin, les lésions de nécrose tubulaire sont habituellement sévères.
De nombreux facteurs de risque ont été recherchés : co-infection à cytomégalovirus (CMV), maladie d'Alport, donneur à cur non battant, présensibilisation immunologique par la présence d'anticorps réactifs, dont des Ac anti-endothélium (IgG ou IgM).4,14,15 En fait, l'implication des facteurs cités ci-dessus ne se confirme actuellement de façon convaincante pour aucun d'entre eux. Le seul à prendre en considération est l'utilisation de Néoral® qui est retrouvée plus fréquemment que celle du Sandimmun® ou du Prograf®. Il n'y a pas de différence retrouvée dans le dosage de CsA (5 à 12 mg/kg/j) ou dans les taux sériques de Néoral® et de Sandimmun®, mais le pic est plus haut et plus rapide avec l'utilisation de Néoral®. La différence est d'ordre pharmacocinétique.
Une toxicité directe sur l'endothélium de la CsA et du FK 506 a été démontrée in vitro16 et in vivo chez l'animal (rat)17 et chez l'homme.18 Ces diverses expériences et observations ont démontré une augmentation de l'activité procoagulante, proagrégante et vasoconstrictive de l'endothélium :
I augmentation du thromboxane A2, de l'ADP, de la thromboplastine, de l'activité du facteur VII, de l'endothéline ;
I diminution de la synthèse de prostacycline.
D'autres facteurs particuliers à la transplantation pouvant léser les cellules endothéliales sont certainement aussi impliqués. La recherche d'autres éléments que les inhibiteurs de la calcineurine se justifie par la rareté des observations de MAT en dehors des transplantations d'organes. Ces facteurs pourraient être immunologiques, tels que des anticorps anticellules endothéliales, un traitement d'induction par anticorps antilymphocytaires, la présence d'anticorps anticardiolipines, ou de nature non immunologique : lésions préexistantes chez le donneur par l'intermédiaire d'une ischémie froide ou chaude prolongée. Enfin, le rôle éventuel d'une infection à CMV a aussi été suggéré. Cette liste se recoupe avec celle des facteurs de risque, mais encore une fois, aucune preuve de leur implication n'a été pour l'instant fournie.
Le traitement des MAT survenant après une transplantation dépend évidemment de sa cause. Une récidive d'une maladie initiale justifie certainement la reprise de plasmaphérèses ou de perfusion de plasma frais congelé.
Dans le cas de MAT survenant de novo sur un transplant, le traitement est celui de la cause et la place des plasmaphérèses est moins bien déterminée. Le traitement d'une MAT associée à la CsA ou au tacrolimus impose l'arrêt de ces derniers. Cette mesure est la seule qui soit unanimement acceptée. La prescription de plasmaphérèse, de stéroïdes en pulse, d'anticorps antilymphocytaires, d'antiagrégants plaquettaires, d'isradipine ou de pentoxifylline14 avec des résultats très variables, relève de l'anecdote. Il n'est actuellement pas possible de déterminer la place de ces divers traitements dans la prise en charge des MAT associées aux inhibiteurs de la calcineurine.
Une dernière particularité de cette entité se révèle en cas de réintroduction d'inhibiteurs de la calcineurine. En effet, le remplacement d'un inhibiteur par un autre, une fois le processus microangiopathique éteint, s'accompagne exceptionnellement d'une reprise de l'activité de la maladie. Les résultats sont en effet satisfaisants : la réintroduction de la CsA a été réalisée sans rechute chez 69% des patients dans l'étude de Young14 et son remplacement par du tacrolimus dans l'étude de Zarifian1s'accompagne d'une survie du greffon de 81% à un an.
La survenue d'une MAT sur un greffon rénal doit faire évoquer en premier lieu une toxicité des inhibiteurs de la calcineurine, en particulier de la CsA dans sa forme galénique Néoral®. La présentation clinique par une insuffisance rénale aiguë est peu spécifique, car les signes extrarénaux et hématologiques sont particulièrement rares dans ces circonstances. Le diagnostic repose donc sur la PBR. D'autres facteurs spécifiques à la transplantation sont certainement impliqués, car ces observations ont surtout eu lieu dans le contexte de greffe d'organe et les cas de MAT associée à la CsA chez des patients non greffés sont exceptionnels.
La mesure thérapeutique principale est l'arrêt des inhibiteurs de la calcineurine qui devrait en principe être suivie d'une récupération de la fonction rénale. Le bénéfice des autres traitements (plasmaphérèse, stéroïdes, antiagrégants plaquettaires, etc.) est moins bien démontré. Une fois le processus microangiopathique éteint, la réintroduction d'un inhibiteur de la calcineurine, CsA ou tacrolimus, s'accompagne rarement d'une rechute de la MAT.