La mesure de la fonction rénale et de la protéinurie constituent les deux piliers du traitement et du suivi d'une maladie rénale. Grevée de nombreux facteurs d'erreur possibles, la clairance de la créatinine mesurée à l'aide d'une récolte d'urines de 24 heures devrait être abandonnée au profit d'une estimation basée sur la créatinine sérique, pondérée par l'âge, le sexe et le poids du patient. La formule de Cockcroft-Gault permet une estimation satisfaisante de la fonction rénale.
Le rapport protéines/créatinine dans un spot urinaire permet une estimation fiable des pertes urinaires en protéines.
Le dépistage d'une microalbuminurie fait partie du bilan de santé du diabétique, de l'hypertendu, et de tout patient présentant des facteurs de risque cardiovasculaires.
Une microalbuminurie positive est un facteur de risque cardiovasculaire indépendant, chez le diabétique comme chez le non-diabétique.
Que ce soit pour le dépistage ou le suivi d'une maladie rénale, le praticien est amené à apprécier la fonction rénale et la pro-téinurie qui constituent les deux éléments clés du diagnostic et du suivi.
Au vu de certains développements récents, il nous a paru utile de refaire le point, à la lumière des connaissances actuelles, sur ces deux déterminations.
On évalue généralement en clinique la fonction rénale par la mesure de la créatinine sérique.
Toutefois, la mesure de la créatinine reste une estimation particulièrement peu sensible, notamment dans les situations d'insuffisance rénale modérée, lorsqu'une clairance à l'inuline peut diminuer de 30 à 40 ml/min, ceci sans augmentation de la créatinine sérique.1,2
D'autres facteurs d'erreur sont liés à la mesure de la créatinine : un repas riche en viande mijotée peut doubler de manière transitoire le taux sérique de créatinine.3
Finalement, la masse musculaire, l'âge et le sexe jouent des rôles importants dans le taux sérique de créatinine.
La clairance de la créatinine permet d'estimer le débit de filtration glomérulaire. Celui-ci reste le meilleur marqueur global de la fonction rénale dans son ensemble puisque non seulement les capacités rénales d'épuration, mais aussi les fonctions endocrines du rein, y sont liées. Toutefois, un pourcentage de la créatinine excrétée dans les urines vient d'une sécrétion tubulaire active, pourcentage d'autant plus élevé que la fonction rénale est basse. En effet, l'erreur d'estimation du débit de filtration glomérulaire peut atteindre 30%, dans les situations d'insuffisance rénale sévère, par surestimation liée à la sécrétion tubulaire de créatinine. Ce mécanisme entraîne une surévaluation du débit de filtration glomérulaire. L'administration simultanée de cimétidine permet, par l'inhibition de sécrétion tubulaire qu'elle entraîne, d'améliorer l'efficacité, comme l'ont montré les études dans différentes situations cliniques avec suivi longitudinal de la diminution du débit de filtration glomérulaire.4
Finalement, la clairance de la créatinine mesurée classiquement par le rapport de l'excrétion urinaire sur la créatinine sérique (tableau 1) est grevée de facteurs d'erreur essentiellement liés aux conditions de récolte d'urine (oubli d'une miction, temps de récolte supérieur à 24 heures) qui ont conduit à la recherche de méthodes d'estimation du débit de filtration glomérulaire basées sur la créatinine sérique adaptée aux paramètres anthropométriques. La plus utilisée d'entre elles est la formule de Cockcroft et Gault (tableau 2).
La formule de Cockcroft-Gault permet de prédire la fonction rénale avec plus d'exactitude qu'une traditionnelle récolte d'urines de 24 heures.5,6,7 La clairance de la créatinine estimée par la créatinine sérique reflétant mieux le débit glomérulaire qu'une clairance mesurée.8
D'autres formules permettent d'estimer le débit de filtration glomérulaire avec précision, toutefois leur utilisation est moins aisée et répandue que la formule de Cockcroft-Gault.9
A l'avenir, d'autres marqueurs pourraient se révéler prometteurs, tels que la cystatine c, un inhibiteur de la cystéine protéinase.10,11,12,13 Actuellement, ce dosage n'est pas entré dans la routine clinique.
Rappelons que la fonction rénale connaît une diminution constante au cours de l'âge, le percentile 50 de la clairance à la créatinine variant de 112 ml/min à l'âge de 25 ans à 59 ml/min à 75 ans chez l'homme et de 87 ml/min à 48 ml/min chez la femme.14 La formule de Cockcroft-Gault joue là un rôle important pour l'ajustement thérapeutique de médications à élimination rénale par exemple.
Par l'inhibition de la sécrétion tubulaire de créatinine qu'ils entraînent, certains médicaments peuvent provoquer une élévation de la créatinine sérique sans modifier le débit de filtration glomérulaire : citons, parmi ceux-ci, la cimétidine, la spironolactone, l'amiloride, le triamtérène, le triméthoprime, la pyriméthamine et les salicylés. Les corticostéroïdes et les métabolites actifs de la vitamine D augmentent vraisemblablement la production de créatinine. Cet effet doit être pris en compte dans l'évaluation d'une fonction rénale.
Les stix urinaires de routine permettent de détecter des concentrations de protéines de l'ordre de 300 mg/l. Inefficaces pour le dépistage d'une microalbuminurie, ils sont utiles pour le dépistage, dans une consultation générale, d'une protéinurie significative, pour autant que les urines ne soient pas trop diluées.
Un résultat positif ou douteux nécessite actuellement une mesure quantitative de l'excrétion des protéines urinaires. L'algorithme du dépistage d'une protéinurie est illustré dans le tableau 3.
La mesure de la protéinurie dans les urines de 24 heures est soumise aux mêmes risques d'erreur de temps de récolte et d'oubli de miction que lors de la mesure de la fonction rénale. Toutefois, le rapport protéines/créatinine dans un spot urinaire du matin est un indicateur simple et fiable de la protéinurie, et peut remplacer valablement la traditionnelle récolte d'urines de 24 heures. D'autre part, une mesure des urines matinales permet d'écarter la part de protéinurie orthostatique ou liée à l'activité physique et peut se répéter facilement dans des conditions standardisées.15
Le rapport dans un spot urinaire du matin de la protéinurie (mg/dl) sur la créatininurie (mg/dl) permet d'estimer la valeur de la protéinurie de 24 heures (tableau 4).16
La microalbuminurie est par définition non mesurable par les bandelettes réactives habituelles. Elle correspond à une excrétion > 20 mg/min ou > 30 mg/24 heures (tableau 5).
La recherche d'une microalbuminurie chez le diabétique peut se faire de la même façon dans un spot urinaire. Une valeur comprise entre 30 et 200 µg/mg répond à la définition d'une microalbuminurie alors qu'une valeur supérieure répond à la définition d'une macroalbuminurie. La présence d'une microalbuminurie chez le patient diabétique ou hypertendu impose une intensification de la prise en charge.
La présence d'une protéinurie possède une haute valeur prédictive de progression en cas de maladie rénale chronique non diabétique17 ou de néphropathie diabétique.18,19
La quantification de protéines dans les urines peut aider à mesurer le degré d'atteinte rénale, sa progression, la réponse à une intervention thérapeutique. Une mesure aussi exacte que possible demande un protocole de mesure approprié.20,21 L'étude MDRD a montré un ralentissement de la perte de la fonction rénale de l'ordre d'un ml/min/année par gramme de protéinurie en moins.22 L'étude REIN a montré une importante modification de l'histoire naturelle de la maladie rénale non diabétique par le ramipril, fonction de la diminution de la protéinurie : 56% de réduction d'une insuffisance rénale terminale en cas de protéinurie modérée et une pente de réduction de fonction réduite de 44% chez les patients présentant une protéinurie d'ordre néphrotique, puis une stabilisation de la fonction rénale.23
La protéinurie représente à la fois un marqueur d'atteinte rénale, mais également un facteur contributif au développement de la progression de l'insuffisance rénale, par sclérose glomérulaire et par la cascade inflammatoire au niveau tubulo-interstitiel, résultant en une fibrose ; certaines recherches récentes montrent que le type de protéinurie joue un rôle également. La réduction de la pression systémique et surtout glomérulaire (avec les inhibiteurs de l'enzyme de conversion et les antagonistes de l'angiotensine II) réduit la protéinurie de manière significative et offre un pronostic rénal amélioré.
La présence d'une albuminurie est un marqueur de néphropathie mais aussi de risque accru de morbidité et de mortalité cardiovasculaire,24 aussi bien chez le diabétique que chez l'individu non diabétique.25,26,19 Une relation entre microalbuminurie et résistance à l'insuline a été démontrée chez les sujets diabétiques comme chez les non-diabétiques27 dans la population générale, les sujets microalbuminuriques présentent des moyennes de tension artérielle au Remler plus élevées, une augmentation de l'épaisseur de la paroi du myocarde et des altérations métaboliques telles que des altérations lipidiques, une augmentation du fibrinogène ou du facteur de von Willebrand. La recherche d'une microalbuminurie permet l'identification d'individus à risques cardiovasculaires élevés :28 la présence d'une microalbuminurie s'inscrit dans les marqueurs du syndrome métabolique. Dans l'étude Multiple Risk Factor Intervention Trial, la présence d'une microalbuminurie augmentait le risque de morbidité cardiovasculaire de 2 fois et demie.29
Chez le diabétique de type I ou II, une microalbuminurie est un facteur de risque pour le développement de complications micro ou macrovasculaires, avec une augmentation de la mortalité cardiovasculaire, et également un facteur de risque de développement d'une néphropathie clinique.19 Chez le non-diabétique également, une telle corrélation a été démontrée.30,31
Dans une population générale de 56 à 65 ans, la présence d'une microalbuminurie est corrélée sur le plan métabolique à une glycémie et à une moyenne de pression ambulatoire par Remler plus élevée, même en excluant les sujets diabétiques et hypertendus.32
L'étude Multiple Risk Factor Intervention Trial a montré qu'une protéinurie, chez les patients à risque coronarien, était un facteur de risque indépendant de mortalité cardiovasculaire.30
La microalbuminurie est un facteur pronostique de maladies cardiovasculaires et rénales chez les hypertendus.15 Dans l'hypertension, la microalbuminurie représente un facteur de risque cardiovasculaire indépendant, facile à monitorer par le médecin traitant, permettant d'identifier une population d'hypertendus particulièrement à risque et piloter les investigations complémentaires et le traitement.
Chez les patients non diabétiques, le degré de protéinurie est un index indépendant de perte de fonction rénale.33
La découverte et la quantification d'une protéinurie joue un rôle important dans l'évolution du patient puisque ce sont les patients qui présentent la protéinurie la plus élevée qui bénéficieront le plus des mesures thérapeutiques.34
L'effet rénoprotecteur des inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) et vraisemblablement des antagonistes de l'angiotensine II (AAII) impose un dépistage de l'insuffisance rénale pour l'introduction du traitement approprié.35
Bien plus qu'un simple marqueur de pathologie rénale, l'intérêt de la mesure de la protéinurie s'inscrit dans un contexte de risque cardiovasculaire et de pronostic, ceci en particulier chez les diabétiques et les hypertendus. Elle fait partie du bilan de santé chez ces patients comme chez toute personne présentant des facteurs de risque cardiovasculaire.
1. Connaissant les répercussions humaines et socio-économiques liées à une insuffisance rénale chronique, il est indispensable de pouvoir mettre en uvre de manière précoce les stratégies thérapeutiques visant à ralentir la progression de la maladie rénale.
2. Une large proportion des patients à risque de développer une insuffisance rénale chronique n'est actuellement pas détectée, alors que des mesures thérapeutiques adaptées permettent d'enrayer l'évolution vers l'insuffisance rénale terminale. Il est dès lors important de codifier des mesures de dépistage simples et applicables dans la pratique quotidienne.
3. La mesure de la protéinurie et de la fonction rénale se réalisent actuellement de manière aisée, fiable et reproductible et doit faire partie intégrante de la prise en charge du patient à risque de développer une atteinte rénale progressive.
4. Les critères de dépistage d'une situation à risque devraient comprendre l'âge supérieur à 60 ans, la prise de médicaments néphrotoxiques, la présence d'une hypertension artérielle, d'un diabète, ou d'antécédents familiaux de néphropathie.
5. La mesure de la fonction rénale est un geste routinier dans le suivi de nombreuses affections. Une simple mesure de la créatinine sérique permet une estimation suffisamment précise dans la plupart des situations, pour autant qu'elle soit intégrée aux différents paramètres qui influencent la production endogène de créatinine tels que les facteurs d'âge, de poids et de sexe, comme dans la formule de Cockcroft-Gault.
6. Nous proposons, dans la population à risque de néphropathie, un examen par bandelettes à la recherche d'une protéinurie, hématurie et leucocyturie ainsi qu'une mesure de la protéinurie sur un échantillon d'urines par le rapport protéines/créatinine.
7. La recherche d'une microalbuminurie doit se réaliser chez les patients hypertendus ou diabétiques.