Après trois premières «avancées» consacrées à la créatine, cette substance aujourd'hui souvent utilisée à des fins dopantes (Médecine et Hygiène des 7, 14 et 21 février 2001), nous achevons ici l'exposé des éléments réunis dans un rapport exhaustif que viennent de rendre public les responsables de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). «A l'évidence, aucune allégation ne peut être avancée quant à un effet bénéfique d'une supplémentation en créatine sur la lactatémie ou l'ammoniémie et les autres marqueurs associés à l'exercice, quel qu'il soit, chez le sujet sain» soulignent les auteurs. De même sur la capacité anaérobie lactique ou celle aérobie, les effets locaux, sur le muscle, de la créatine ne sont pas significativement démontrés. Aucune publication scientifique n'a actuellement concerné les effets de la créatine sur la fatigue centrale, celle perçue, et qui relève de la définition : «sensation pénible causée par l'effort, l'excès de dépense physique ou intellectuelle.» Et au vu des résultats scientifiques, peu nombreux et en majorité non significatifs, aucune allégation n'est justifiée d'effet intéressant de la créatine chez les seniors et les personnes âgées.Mais qu'en est-il de l'innocuité de la consommation de créatine ? Cette question est d'exploration relativement récente simplement parce que l'ingestion assez systématique de créatine par les sportifs remonte aux années 1990 et plus particulièrement en quantité importante depuis 1995. «La créatine est métabolisée en méthylamine, convertie ensuite en formaldéhyde par l'amine oxydase semi-carbazide-sensible. Le formaldéhyde fait partie des aldéhydes toxiques ; il est connu comme cross-linker des molécules de protéines et d'ADN, ainsi dégradées ou ne pouvant se répliquer et perdant leurs fonctions, les mécanismes physiologiques de réparation étant incomplets, soulignent les auteurs du rapport. Il serait impliqué dans des pathologies vasculaires, des néphropathies, des complications du diabète et l'apparition de troubles neurologiques ; il est surtout responsable d'une génotoxicité et d'effets carcinogènes sur le tube digestif.En conclusion, le rapport estime que l'ingestion chronique de créatine peut être à l'origine de risques toxicologiques majeurs pour la santé. Concernant des effets oncologiques éventuels, le système phosphocréatine-créatine kinase pourrait être impliqué dans les processus d'oncogenèse cellulaire. Des rats supplémentés en créatine démontrent une croissance augmentée des cellules tumorales d'Erlisch au niveau de l'ascite. Cependant, il a aussi été démontré que la créatine inhibe le taux de croissance tumorale mammaire du rat. Mais des analogues de la créatine, qui ont des effets opposés à ceux de la créatine, réduisent la formation de colonies de cellules tumorales humaines explantées. «Des études à long terme pourraient aider à déterminer si la supplémentation orale en créatine est bénéfique, délétère ou n'a pas d'effet sur des sujets sains vis-à -vis de l'oncogenèse cellulaire» estiment les experts de l'Afssa. Ils rappellent aussi un article exhaustif sur le métabolisme de la créatine et de la créatinine (Wyss et Kaddurah-Daouk, 2000), avec quelque 105 pages et 1163 références, paru dans Physiological Reviews, qui établit un bilan extrêmement complet de tous les effets de la créatine et de ses analogues sur différents métabolismes, sous un angle pharmacologique.Un certain nombre d'arguments expérimentaux semblent démontrer in vitro mais également in vivo que l'activité de mitose incontrôlée semble relever dans un certain nombre de cas de teneurs élevées en créatine et en créatine kinase (CK) intracellulaires, et donc du niveau énergétique local anormalement élevé, rappellent les experts. Le système CK est impliqué dans la croissance tumorale à travers la régulation de la production d'ATP ou de sa modulation ; ce sont des processus plus ou moins connus, mais toujours est-il que des molécules qui interfèrent avec ce système peuvent avoir un impact sur la croissance tumorale ou sa progression. De nombreux analogues de la créatine et de la phosphocréatine, une cinquantaine au moins, ont été étudiés actuellement. En particulier, la cyclocréatine (cCr) diminue le taux de production d'ATP, passant par la CK. Cela a été démontré pour un nombre important de tumeurs caractérisées par l'expression de taux élevés de CK. En conclusion (Wyss et Kaddurah-Daouk, 2000), «la CK avec ses substrats créatine et phosphocréatine semble être associée avec la croissance de nombreuses tumeurs solides et peut-être avec la cascade de métastases. Des études ultérieures sont nécessaires pour clarifier le mécanisme d'action des analogues de créatine comme agents anti-tumeur.»«La supplémentation en créatine constitue un risque actuellement insuffisamment évalué, en particulier à long terme, pour la santé du consommateur avec un risque carcinogène potentiel» résume Martin Hirsch, directeur général de l'Afssa. A prohiber, donc. On ajoutera, avec les experts, que la supplémentation en créatine, que ce soit pour l'entraînement ou l'amélioration des performances sportives, paraît contraire aux règles, à l'esprit et à la signification du sport et qu'il serait bienvenu de la part des institutions qui en ont la charge , on pense notamment au Comité International Olympique , d'inscrire la créatine sur la liste des procédés et des produits dopants dont l'usage est interdit chez les sportifs. W