L'échocardiographie-dobutamine est considérée aujourd'hui comme une technique privilégiée dans l'évaluation non invasive de la maladie coronarienne. L'échocardiographie de stress représente un moyen fiable et sà»r de détecter les anomalies de la dynamique segmentaire ventriculaire gauche secondaires au processus ischémique.
L'ischémie myocardique peut être provoquée soit par l'exercice, soit par des moyens pharmacologiques. Ces derniers (dobutamine associée à l'atropine ou dipyridamole) représentent une alternative particulièrement séduisante en cas d'inaptitude physique des patients à l'exercice ou lorsque les autres tests diagnostiques (l'électrocardiogramme d'effort principalement mais aussi la tomoscintigraphie myocardique au thallium) se sont révélés non contributifs. Les principales indications de l'échocardiographie-dobutamine sont abordées dans cet article.
Le dépistage non invasif de la maladie coronarienne demeurait, jusqu'à un passé récent, l'apanage quasi exclusif de l'épreuve d'effort classique et de la scintigraphie myocardique au thallium ou au sestamibi (à l'effort ou sous dipyridamole). Les inconvénients principaux de ces deux techniques d'exploration sont :
I pour l'épreuve d'effort classique, un manque de sensibilité et de spécificité, plus particulièrement dans certains sous-groupes de patients (femmes ; sujets présentant des anomalies de la repolarisation au repos, une hypertrophie ventriculaire gauche, des troubles de la conduction intraventriculaire gauche, prolapsus de la valve mitrale ; patients porteurs d'un pace-maker ; patients recevant certains médicaments : digitaliques, anti-arythmiques, diurétiques, antidépresseurs, strogènes, etc.) susceptibles d'altérer l'électrocardiogramme au repos ou à l'effort ;
I pour la tomoscintigraphie myocardique au thallium, un manque de spécificité chez les patients présentant une hypertrophie ventriculaire gauche ou un bloc de branche gauche, chez les porteurs d'un pace-maker ou chez les transplantés cardiaques, à côté des coûts d'investissement et de fonctionnement élevés.
L'échocardiographie de stress représente désormais une alternative crédible et établie aux techniques précitées, ceci pour quatre raisons essentielles :
I un gain de performance sensible des échographes en matière d'imagerie bidimensionnelle (meilleur pouvoir de résolution, d'où une visualisation plus nette des contours endocardiques grâce notamment à l'apparition de la deuxième harmonique et à l'emploi des produits de contraste myocardique) ;
I la démonstration de la persistance d'anomalies de la contraction pariétale pendant et après l'arrêt de l'effort (d'où la possibilité d'un enregistrement échocardiographique de bonne qualité technique en post-effort immédiat) ;
I l'utilisation de la technologie numérique à des fins d'acquisition en temps réel et de comparaison différée d'un cycle cardiaque avant et après le stress ;
I l'introduction enfin de substances (dobutamine, dipyridamole, adénosine ou ergonovine) dont l'administration intraveineuse permet de substituer à l'effort physique un «stress» pharmacologique.
L'échocardiographie de stress repose sur la combinaison d'un test de provocation d'ischémie myocardique et d'une analyse des propriétés contractiles du myocarde ventriculaire gauche en imagerie bidimensionnelle.
Le déclenchement du processus ischémique s'obtient soit de façon physiologique en soumettant le patient à un effort physique contrôlé, soit par des moyens pharmacologiques. Le stress pharmacologique fait appel à deux catégories principales de substances : les agents inotropes positifs d'une part, représentés par la dobutamine que nous employons dans le laboratoire d'échocardiographie du Département de cardiologie de l'Hôpital de la Tour depuis 1992, les vasodilatateurs coronariens d'autre part, de type dipyridamole. L'environnement, l'équipement échocardiographique, le déroulement de l'examen, la préparation du patient, les contre-indications de l'échocardiographie de stress ainsi que l'interprétation de l'examen et des résultats dans l'évaluation de la maladie coronarienne ont été traités dans un article publié précédemment.1
Nous allons maintenant discuter plus particulièrement le rôle de l'échocardiographie de stress sous dobutamine dans l'évaluation du patient suspect ou présentant déjà une maladie coronarienne.
Le recours à l'échocardiographie-dobutamine pour identifier l'ischémie myocardique et les lésions coronaires a fait l'objet de nombreuses études, les taux de sensibilité et de spécificité diagnostiques de la méthode variant, suivant les auteurs, de 70 à 96% et de 66 à 95% respectivement.1
La performance diagnostique de l'échocardiographie-dobutamine est jugée équivalente quel que soit le territoire coronarien concerné par le processus ischémique.
Les faux négatifs de l'échocardiographie-dobutamine sont plus fréquents chez les patients monotronculaires et chez ceux dont le test n'a pas permis d'atteindre la fréquence cardiaque cible. Raison pour laquelle, l'adjonction d'atropine intraveineuse est recommandée afin d'obtenir la fréquence cardiaque recherchée et d'augmenter aussi l'inotropisme myocardique. La sensibilité de détection d'une ischémie myocardique oscille, suivant les publications, entre 50 et 81% chez les sujets porteurs de lésions monotronculaires et entre 86 et 100% en présence de lésions pluritronculaires.
La supériorité diagnostique de l'échocardiographie-dobutamine sur l'épreuve d'effort classique a été bien démontrée, tant du point de vue de la sensibilité, qu'en termes de spécificité, de valeur prédictive positive et de valeur prédictive négative.1,2
Le débat sur les performances diagnostiques respectives de l'échocardiographie-dobutamine et de la tomoscintigraphie myocardique au thallium ou aux isonitriles est loin d'être résolu.1-3
Il importe avant tout, dans ce type de comparaison, de garder à l'esprit que l'échocardiographie et les isotopes explorent des étapes différentes du processus ischémique. Les anomalies de perfusion myocardique démasquées par la scintigraphie surviennent en effet plus précocement que les troubles contractiles révélés par l'échocardiographie : il semble dès lors logique de considérer que la première est plus sensible et la seconde plus spécifique parce qu'utilisant, précisément, l'asynergie contractile comme marqueur du processus ischémique.
En réalité, il ressort des différentes études publiées à ce jour, des taux moyens de sensibilité équivalents (79% pour l'échocardiographie- dobutamine contre 83% pour la tomoscintigraphie) et un léger avantage à l'échocardiographie-dobutamine en termes de spécificité (87% contre 78%), ce dernier s'expliquant par une prévalence plus élevée de faux positifs scintigraphiques en présence d'hypertrophie ventriculaire gauche, de bloc de branche gauche et, dans notre expérience, de pace-maker.
Ainsi dans une étude publiée récemment4 sur le diagnostic de la maladie coronarienne chez les patients porteurs d'un pace-maker permanent, l'échocardiographie-dobutamine a une sensibilité équivalente à celle de la tomoscintigraphie myocardique au thallium (88% versus 94%) mais une spécificité supérieure (92% contre 31%).
L'échocardiographie-dobutamine a été proposée et retenue comme méthode non invasive de détection de l'ischémie myocardique chez les patients transplantés par rapport aux autres techniques d'investigation, telles que la scintigraphie myocardique au thallium, l'échocardiographie classique ou la mesure de la fraction d'éjection isotopique du ventricule gauche.5 L'échocardiographie-dobutamine comparée aux méthodes invasives de référence présente une sensibilité de 83 à 95% et une spécificité de 55 à 91% dans le diagnostic de la maladie coronarienne chez le transplanté.
Ainsi l'échocardiographie-dobutamine est devenue, à côté de la scintigraphie myocardique au thallium, une technique de routine au Département de cardiologie de l'Hôpital de la Tour pour l'investigation non invasive de la maladie coronarienne. Notre expérience porte actuellement sur 421 patients. Plus récemment, une application très intéressante de l'échocardiographie de stress a été faite dans le diagnostic de l'ischémie myocardique consécutive à un vasospasme coronarien.6En comparant l'échocardiographie de stress sous ergonovine à celle d'un test d'ergonovine lors d'une coronarographie, il existe une bonne corrélation entre les deux méthodes d'investigation avec une faisabilité de l'échocardiographie sous ergonovine de 93%, une valeur prédictive positive de 96% et une valeur prédictive négative de 83%.
Outre ses indications pour la détection de l'ischémie myocardique, l'échocardiographie-dobutamine a également fait la preuve de son utilité pour l'évaluation du risque évolutif,7-10 à la fois chez des patients coronariens non sélectionnés et chez ceux qui ont déjà subi un pontage aorto-coronarien, ainsi que pour la stratification du risque coronarien après infarctus du myocarde (avec un pouvoir prédictif négatif identique à celui de l'épreuve d'effort classique, mais un pouvoir prédictif positif supérieur).
Nous avons démontré un bon pouvoir prédictif de l'échocardiographie-dobutamine10sur la survenue d'un événement cardiaque, dans une population ambulatoire de 158 patients consécutifs âgés de plus de 70 ans sur un suivi moyen de 23 mois (valeur prédictive négative de 98% et valeur prédictive positive de 77%). La particularité de cette population étudiée était que les patients avaient un électrocardiogramme de repos altéré (bloc de branche droit associé ou non à un hémibloc antérieur gauche, bloc de branche gauche ou troubles de la phase de repolarisation) donc non interprétable pour une épreuve d'effort classique.
Un autre intérêt particulier de l'échocardiographie-dobutamine est l'évaluation du risque cardiaque avant chirurgie non cardiaque. En effet, les complications cardiaques d'origine coronarienne sont fréquentes en période per- et péri-opératoire de chirurgie lourde. Plusieurs études se sont attachées à préciser la place de l'échocardiographie-dobutamine dans la stratification des risques encourus par cette catégorie de patients.1,11,12 On retiendra des résultats de ces études qu'une échocardiographie-dobutamine négative représente un bon moyen de s'assurer d'un risque péri-opératoire faible (valeur prédictive négative moyenne de 99%). La valeur prédictive positive de la méthode est en revanche plus discutée, avec des résultats qui varient entre 17% et 78%.
En pratique, il est raisonnable de ne pas recourir à l'échocardiographie-dobutamine chez tous les candidats à une chirurgie lourde. Il n'y a en effet pas de raison objective de proposer cet examen aux patients avec un très faible risque opératoire (1%) : il s'agit de patients âgés de moins de 70 ans, sans angine de poitrine, non diabétiques, sans onde Q anormale sur l'électrocardiogramme de repos et sans antécédent de trouble du rythme ventriculaire. L'échocardiographie-dobutamine est en revanche indiquée chaque fois qu'un au moins des critères cités a pu être identifié.
Enfin, l'échocardiographie-dobutamine est une technique bien établie dans l'étude de la viabilité myocardique.1,13,14 Dans cette situation, un des enjeux pronostiques et thérapeutiques majeurs, après la survenue d'un infarctus myocardique (ou en présence d'une dysfonction ventriculaire gauche d'origine ischémique), est d'arriver à distinguer un déficit contractile irréversible, par nécrose transmurale, d'une asynergie potentiellement réversible, par sidération ou hibernation d'un myocarde demeuré viable.
La sidération myocardique se définit comme une dysfonction contractile de durée variable, spontanément réversible, secondaire à une baisse transitoire du débit coronaire. Les études publiées à ce jour attribuent à l'échocardiographie-dobutamine une sensibilité comprise entre 71 et 89% et une spécificité entre 68 à 92%.
Le concept d'hibernation s'applique à toute dysfonction contractile prolongée survenant dans un contexte d'hypoperfusion myocardique chronique. Le myocarde «hibernant» est susceptible de récupérer des propriétés contractiles normales après rétablissement d'un flux coronaire adapté à ses besoins. Ainsi l'échocardiographie-dobutamine permet de prédire la récupération de segments myocardiques hibernants après revascularisation avec une sensibilité comprise entre 74 et 88% et une spécificité entre 73 et 87%.
Les performances comparées de l'échocardiographie-dobutamine et des techniques isotopiques dans la détection du myocarde hibernant ont fait l'objet d'études multiples. Globalement, la sensibilité de l'échocardiographie-dobutamine est voisine de la scintigraphie myocardique au thallium ; la spécificité de l'échocardiographie-dobutamine est en revanche supérieure, 89% contre 48%.
Outil diagnostique sensible (supérieur à l'épreuve d'effort classique et semblable à la tomoscintigraphie myocardique au thallium) et doté d'un rapport coût-efficacité supérieur à celui des méthodes isotopiques, l'échocardiographie de stress sous dobutamine doit être considérée aujourd'hui comme une technique fiable et sûre pour l'évaluation de la maladie coronarienne, grâce notamment à l'apport technologique décisif représenté par la numérisation en temps réel des images bidimensionnelles, la deuxième harmonique et les produits de contraste myocardique. D'autres progrès techniques ne manqueront pas de renforcer davantage encore ses possibilités diagnostiques dans un proche avenir.