Cet article tente d'appréhender les logiques inhérentes à de nombreux mouvements d'ordre psychosocial, tels qu'ils se présentent actuellement parfois sous des formes aussi outrancières que peu discutées. Un certain nombre de ceux-ci sont passés en revue (campagnes «féministes» contre les hommes, fabrique de l'homophobie, mais aussi pornographie infiltrant insidieusement tous les rapports sociaux ou subversions de campagnes de prévention). A travers les paradoxes qu'elles véhiculent, ou d'autres formes de messages décervelants, une attaque aux liens sociaux, aux liens amoureux et à la sexualité, semble un élément commun à ces dérives politico-sociales.
Tous les chercheurs dans le domaine de la sexualité, quelles que puissent être leurs (énormes) divergences de vues, s'accordent sur un point : les liens très étroits que la sexualité entretient avec le registre social.1,2,3,4 Biologie, éducation et expériences de vie amènent les individus à développer une certaine forme de sexualité individuelle qui va s'organiser selon certains codes sociaux, codes qui, à leur tour, vont contribuer à déterminer la qualité des comportements sexuels des personnes.
Jamais la plasticité qui affecte ces rapports n'a été autant mise à l'épreuve qu'au cours de ces dernières années, dans nos sociétés occidentales, au point que, depuis l'effondrement des idéologies du XXesiècle, les polémiques qui bouleversent le domaine des relations entre hommes et femmes paraissent même en prendre le relais. L'étude de ces controverses se révèle toutefois malaisée, oscillant entre des extrapolations de données cliniques individuelles ou des généralisations sociologiques arbitraires. Leur approche scientifique est pourtant d'une importance d'autant plus cruciale que la majorité d'entre elles ne font l'objet d'aucune discussion ni analyse, et sont présentées comme allant de soi. Pire, nous verrons que, dans ce domaine, toute démarche analytique, donc critique, s'oppose souvent à de véritables forces idéologiques de répression, que l'on est en droit d'appeler terroristes.
Par terrorisme sexuel ou sexoterrorisme, nous entendons une action organisée vi-sant à dégrader par l'usage de la force les rapports entre hommes et femmes. Cette action s'origine dans un groupe de personnes mues par une idéologie, elle-même ancrée dans une apparente «théorie» et se prolongeant par des moyens politiques (groupes de pression, lobbies, etc).
On voit par-là à quel point le clinicien se trouve ici déporté de ses repères familiers, et forcé de se confronter à des notions peu usuelles. D'abord avec des concepts de violence psychologique à l'intérieur d'une famille comme la menace, l'intimidation, le chantage affectif, la séduction.5 Mais aussi et surtout, avec des concepts politico-sociaux comme ceux de propagande,6,7,8 d'agitation, ou encore d'anomie,9 etc. Il pourra toujours se prévaloir de sa sincérité et surtout du fait que peu de collègues d'autres disciplines plus autorisées ne semblent disposés à descendre dans cette arène.
Nous allons donc passer en revue différents thèmes qui sont actuellement affectés par ces bouleversements plus ou moins idéologiquement induits et essayer, à travers leur survol rapide, d'en saisir quelques logiques communes. Au préalable, il convient de situer le thème général de la violence sexuelle.
On sait que c'est dans cette direction que s'orientèrent les premiers travaux de Freud.10Il avait en effet constaté qu'une grande partie de ses patientes avaient subi une forme ou l'autre de séduction ou de traumatisme. On connaît aussi le revirement radical qu'il opéra en 1897, récusant la piste des traumatismes «externes» pour privilégier celle des traumatismes «internes», autrement dit, provenant des conflits entre plusieurs pulsions ou désirs contraires. Ce revirement eut des conséquences dramatiques ; il inaugura bien le début de la psychanalyse, mais signa l'arrêt des recherches portant sur les violences sexuelles.
Par la suite, les études psychanalytiques non seulement se focalisèrent sur l'individu en quelque sorte déconnecté de son environnement, mais la plus grande suspicion fut apportée aux plaintes des patient(e)s, toujours ramenées à leurs désirs inconscients. Parfois, pire, la véracité des exactions subies n'était pas franchement mise en doute, mais leur importance déniée ; seule «la réalité psychique» comptait. Autrement dit, le dramatique dilemme entre le témoignage concernant un abus et une affabulation était froidement évacué. Les récits de cures psychanalytiques de cette époque témoignent souvent de cette pénible (et révoltante) confusion entre fantasme et réalité.
Dans cette même veine, une autre confusion entretenue fut celle de la victime et de l'agresseur. Nous sommes actuellement choqués de lire certains récits mettant au compte d'un enfant dit séducteur les manuvres incestueuses de tel ou tel parent. Pourtant, cette confusion reste encore très fréquente aujourd'hui. Elle représente, considérée sous l'angle de la victime, une insulte à peine moins grave que de mettre en doute la véracité de ses allégations. (H. Arendt ne s'y était pas trompée, qui décrivait que, pour les nazis des camps de concentration «l'important n'était pas seulement que la haine soit détournée des coupables... mais que la ligne de démarcation entre persécuteur et persécuté, entre le meurtrier et sa victime soit constamment estompée».
C'est aux Anglo-saxons que nous sommes tributaires de la reconsidération, 70 ans plus tard, de telles interactions psychiques violentes qui s'attaquent aux liens interhumains et aux sentiments d'identités. En France, cet élan a rejoint les travaux de Racamier12 et son école13 qui y étaient parvenus par un autre biais, celui de la psychanalyse des psychoses et des familles. La mise en évidence et l'étude de manuvres violentes au sein de ces groupes a pu s'effectuer dans le cadre modérateur du corpus analytique, ce qui a rarement été le cas des écoles de pensée étrangères, surtout anglo-saxonnes, restées fortement empreintes d'idéologie.
Alors qu'une claire distinction entre la victime et l'agresseur s'avère et fondamentale et ardue particulièrement pour les personnes qui ne peuvent pas intégrer la compréhension de ces comportements dans un corpus théorique psychologique un troisième élément vient depuis peu perturber cette distinction : la victime qui se prévaut de son statut pour agresser les autres.
Les thérapeutes qui se confrontent aux soins ardus des personnes ayant subi des violences dans le domaine psycho-sexuel, savent bien que leur douloureux statut de victime n'équivaut en rien à un brevet de moralité. Bien au contraire, une grande part d'entre elles a vu ses critères de jugement, et particulièrement de jugement moral, à tel point saccagés, qu'elle se sent coupée des autres, étrangère à leurs senti-ments et à leurs éventuelles souffrances. On connaît d'ailleurs bien maintenant ces déplorables enchaînements qui pérennisent les comportements violents au fil des générations.14,15
Un autre élément maintenant familier des thérapeutes est le vécu de souillure, de dégradation que ressentent ces victimes qui se sont malheureusement vues contraintes à intérioriser des sentiments de culpabilité que leur agresseur ne ressentait absolument pas. L'un des moyens pour s'en défaire, qui semble tentant pour un certain nombre d'entre elles, est l'expulsion de ce sentiment indu, vécu comme un corps étranger, chez les autres, et particulièrement dans le corps social. Dans notre société qui, particulièrement depuis l'après-guerre, semble témoigner d'une singulière disposition d'esprit à la culpabilité, ces victimes peu scrupuleuses (ou leurs acolytes pervers) bénéficient d'un levier prodigieux pour agir et orienter les tendances, les coutumes, voire les lois, en leur faveur. Ces actions, malgré qu'elles se présentent comme de justes revendications, ont une finalité bien plus douteuse et visent en réalité plus une perversification générale de la société qu'un rétablissement du droit. Société qui, comme les individus qui la composent, se montre assez incertaine pour tout ce qui concerne l'organisation de la sexualité et donc une proie facile pour les imposteurs de tous genres, qui s'arrogent aisément un rôle de guides (a)moraux, imperméables au doute et d'autant plus convaincus de leurs visions socio-sexuelles qu'elles se rapprocheront du délire.
Un exemple inattendu de cette perversification des relations ou, plus psychanalytiquement parlant, de ce que nous appellerions un transfert pervers, nous est parvenu récemment. Un patient, insatisfait des effets du Viagra que lui avait prescrit un collègue hospitalier, revint à la charge en demandant à pouvoir bénéficier des prestations d'une prostituée, comme l'avait, en son temps, plus ou moins préconisé William Masters. Outré, notre confrère s'indigna en pure perte. Le patient persévérant exhiba un épais dossier glané sur Internet, culpabilisant la Faculté en arguant de la nécessité de ce genre d'intervention paramédicale. En désespoir de cause, il fut orienté sur le Comité d'éthique local, qui, loin d'en rire ou de se fâcher qu'on lui fasse perdre son temps à ce genre d'inepties, lui consacra de longues palabres et finit même par se quereller à ce sujet ! On voit là la facilité avec laquelle un patient pervers, jouant sur la culpabilité, peut subvertir toute une institution.
Révolte au départ légitime des femmes en quête de droits égaux aux hommes, le féminisme a connu, depuis ses premières manifestations, bien des étapes. Parmi leurs fondatrices, bien peu se reconnaissent dans certaines récentes moutures de ce mouvement qui semble rechercher un élan nouveau dans une absurde et révoltante discrimination des hommes. Le spectre des déviations mentales constitue un réservoir inépuisable d'infamies pour ces passionarias qui devraient, au contraire, plus que tout autre, connaître le poids moral de cette vilenie. «Sexisme», «hétérosexisme» relaient le délit de «machisme» ou de «phallocratisme». Des campagnes de dénigrement des hommes, frauduleusement appelées «contre la violence domestique»17 amplifient ces mouvements hostiles au niveau d'un pays, voire d'un continent, entraînant à leur suite un activisme aussi creux qu'effréné : constitution de maisons pour femmes battues, centres de conseil et d'orientation, et, pourquoi pas, un impôt spécial pour les hommes, sont élaborés, sans que n'intervienne aucune réflexion d'ordre psychologique ou éthique sur l'étiologie et le sens de ces comportements. Pire, un tel intérêt est même de plus en plus banni, au nom d'une psychologisation abusive.
Ces agissements se prévalant d'une quête de l'égalité amènent ces personnes à des revendications préoccupantes. Tel ce citoyen bâlois qui, après avoir obtenu de pouvoir porter le nom de sa femme, a souhaité, de plus, le faire précéder de son nom de jeune homme, comme pouvaient le faire les femmes. Ce droit lui ayant été refusé, il recourut jusqu'à la Cour européenne de Strasbourg qui, au nom du principe de l'égalité, lui donna raison, ce qui amena la Suisse tout entière à abroger la loi sur la transmission paternelle du nom de famille pour la réduire à un simple (?) choix des conjoints lors de leur mariage ou, pire encore, à l'occasion de la naissance du premier-né.18
La diffusion sociale d'une telle revendication obsessionnelle de l'égalité, assimilée à l'identité (dans le sens de l'«identique») n'est pas sans conséquences au niveau des situations cliniques. On en voudrait pour preuve ces deux conjoints qui nous ont consultés, entraînés dans un affrontement symétrique acharné, mais farouchement soudés autour du dogme égalitaire pour donner un nombre de biberons rigou-reusement égal à leur bébé.
La féminisation forcée des mots serait un autre versant de ce sexoterrorisme inapparent, donc redoutable. Michel Guillaume19 rappelle très justement que tous les régimes totalitaires ont usé de ce genre de procédés, y compris le régime nazi.20
Ces revendications vont donc actuellement bien au-delà d'un domaine juridique, qui voudrait que tous les individus naissent et vivent égaux en droit. Elles poursuivent des objectifs de réduction ou de nivellement des différences, et même des identités, comme le dit T. Anatrella :21
«On veut la proximité, l'égalité et l'indistinction des sexes».
Et cet auteur évoque plus loin des mouvements venus d'Outre-Atlantique, qui semblent autrement plus inquiétants encore :
«Tout un courant philosophique venu des Etats-Unis, considère la différence sexuelle comme étant biologiquement importante pour la reproduction mais non déterminante en matière de personnalité. Ses théoriciens proposent de partir du fait que nous sommes d'abord «humains» avant que d'être hommes ou femmes, et prétendent qu'il faut d'abord nous libérer des modèles et des rôles sociaux qui aliènent».
Ces mouvements qui se situent dans la lignée des travaux de Foucault et de Derrida, le philosophe «déconstructionniste», prennent appui sur la plasticité réelle des aménagements personnels et sociaux de la sexualité, pour en tirer des visées bien particulières. Identité de genre (masculine ou féminine) sont pour eux de simples constructions sociales, donc abrogeables et modifiables à volonté. Jusqu'aux organes génitaux qui se voient dégénitalisés au profit d'un choix personnel d'organes prétendument excitables, comme l'avant-bras (?) auquel est alors assignée la fonction de «gode» (Béatriz Preciado,22qui parle même d'«hétérosexisme honteux»). Là encore, ne nous y trompons pas, ces idéologies ont d'importantes répercussions sur l'appréciation des pathologies sexuelles, et notamment la banalisation outrancière de pathologies graves comme le transsexualisme.
«L'association des psychiatres américains a décidé, de façon curieuse, en 1973, de rayer l'homosexualité de la liste des affections mentales. (...) Pour la première fois dans l'histoire, une question scientifique était tranchée par un simple vote. (...) Le conseil d'administration et les membres de cette association avaient subi le siège des associations homosexuelles. (...) A la suite de ce coup de force, l'OMS puis de nombreux pays ont rayé à leur tour l'homosexualité de la liste des maladies mentales. Cette modification a été effectuée grâce à des luttes de pouvoir et non pas en fonction d'études, d'analyses et de réflexions sur la question».21
Ceux qui douteraient de l'ardeur des pressions de ces lobbies devraient assister à l'un ou l'autre des congrès qui, ces dernières années, se sont efforcés de débattre scientifiquement de ce sujet. L'auteur de ces lignes a pour sa part le souvenir à la fois vif et navrant d'un congrès de la Fédération européenne de psychanalyse, tenu à Nice en 1995 sur ce thème, au cours duquel le débat scientifique avec la salle a été rendu délibérément impossible par les interventions intempestives scandaleuses de collègues psychanalystes (?) allemands et anglo-saxons. De récentes décisions de sociétés de psychanalyse américaines font état de l'«interdiction», formulée à leurs membres, de chercher par la psychanalyse à modifier l'orientation sexuelle de leurs patients (projet qui eût été par ailleurs de toute façon peu réaliste).
On voit là les excès où aboutissent des aspirations justes, lorsqu'elles sont abusivement exploitées par un groupe d'agitateurs dans lesquels la majorité des homosexuels par exemple ne se reconnaît nullement. Un autre de ces excès, caricatural, mais dont l'aspect humoristique semble peu perçu, est l'invention de l'«homophobie» par des homosexuels qui avaient pâti de discriminations basées sur des arguments médicaux et qui ont souhaité renvoyer la «réponse du berger à la bergère» en pathologisant, à leur tour, ceux qui n'accepteraient pas «leur part féminine» en eux. En réalité la médecine, si elle ne peut se prévaloir d'une objecti-vité anhistorique, doit toutefois s'y efforcer et, en aucun cas, se laisser entraîner dans des polémiques uniquement idéologiques. Si cette appellation devait perdurer, les sociétés de psychiatrie devraient impérativement la dénoncer en tant que caricature d'un concept nosologique.
La terrible épidémie du Sida a donné lieu à des initiatives contrastées en ce qui touche sa prévention. Certaines peuvent être rangées sans hésitation, du côté des tentatives de perversification de la sexualité : campagnes nationales médiatiques avec schémas obscènes sensés démontrer la mise d'un préservatif, affiches exaltant ce préservatif tous azimuts au point de le faire accéder à une valeur de fétiche au sein d'une relation amoureuse elle-même instrumentalisée, panneaux dans les W.C. publics vantant les avantages d'un gel hydrophile pour les pénétrations anales, etc. sans oublier les innombrables campagnes n'ambitionnant rien de moins que de «changer les comportements» ou les mentalités des personnes. Là aussi, le but noble semble légitimer les moyens les plus douteux, aux répercussions psychologiques et sociales complètement scotomisées ou banalisées.23Un autre exemple en serait l'implantation de distributeurs de préservatifs dans les écoles, démarche dont les aspects symboliques sont aussi évidents que peu débattus.
La sexualisation abusive de la vie ordinaire est d'autant plus affligeante qu'elle se fait, elle aussi, dans un silence théorique absolu. Il en va ainsi en ce qui concerne l'omniprésence de la sexualité à travers la publicité qui, par des images de plus en plus raffinées, va racoler jusqu'aux tréfonds de notre inconscient indûment excité, pour nous amener à acheter tel ou tel savon ou téléviseur. On constate en outre que, de registre de tabou et intime, la sexualité tend à passer à celui de besoin évident, voire obligé, pour tous : jeunes, vieux, handicapés, prisonniers, religieux ou malades, aucune catégorie n'échappe à cette envahissante sollicitude. Il n'est pas jusqu'aux Eglises qui se mettent à ce diapason, comme l'a montré une récente campagne d'affiches exhibant un personnage au narcissisme triomphant issu droit d'une revue culturiste, affublé du slogan «Aimer sans réserve» (Campagne des Eglises chrétiennes, novembre-décembre 2000).
«Ce qui choque, dit Adorno, ce n'est pas tant que ce monde soit monstrueux, c'est qu'il paraisse aller de soi».24
On retrouve cette sexualisation de la vie ordinaire dans de multiples lieux, parfois bien inattendus (et nous verrons que c'est d'ailleurs là le but). Prospectus regroupant des réclames pour des ustensiles ménagers, des crêpes bretonnes et des vidéos pornographiques,25 journaux distribués gratuitement «tous ménages» proposant dans leurs petites annonces au mot «Couple gay cherche couple de lesbiennes pour amitiés, sorties les week-ends, et mariage si entente» dont l'ironie n'apparaît vraiment qu'au second degré : tous ces messages ont ceci de commun qu'ils présentent la pornographie comme totalement ordinaire, commune, banale. Le romancier Michel Houellebecq nous décrit dans «Les particules élémentaires» un tel monde, apocalyptique (et, semble-t-il, existant actuellement), qui associe un supermarché, un kiosque et un magasin d'articles pornographiques.26
On retrouve une attitude détachée et anaffective similaire dans d'autres domaines, apparemment bien loin des dépliants publicitaires. Un article récent de la revue Psychothérapies sur «La maternité planifiée chez les couples lesbiens»27 va exactement dans ce même sens en évoquant des comportements aussi consternants et révoltants tels que ceux-ci, à propos de «la venue d'un petit garçon» (sic) :
«Le donneur de sperme, choisi parmi les amis du couple, est hétérosexuel, déjà père de famille et ne souhaite pas être impliqué dans l'éducation de l'enfant à naître. Il accepte cependant de lui être présenté si, à l'adolescence, celui-ci désire être informé de ses origines». (...) «Les deux veulent se faire appeler maman», etc., l'auteur en arrivant à escamoter tout jugement : «Je n'entrerai pas dans ce débat social pour m'intéresser aux représentations inconscientes que suscite la venue de l'enfant».
Cette banalisation forcée de comportements sexuels aberrants ou pervers nous amène à diverses considérations sur les mécanismes et les finalités de ce genre de révolutions.
Campagnes contre la violence prônant l'ostracisme, groupes revendiquant la tolérance tout en stigmatisant les autres, droit à la parole exigé par les mêmes qui la refusent à d'autres, sexualité exhibée mais jamais débattue, «droit à la différence» requis pour les uns, refusé à tout contradicteur, les exemples de paradoxes ne manquent pas au travers des exemples exposés ci-dessus. On connaît leur nocivité sur l'exercice de la pensée et ils pourraient participer d'un effet de «décervelage» selon le terme de Racamier, terme bien plus sérieux que ne le laisserait croire son énoncé facétieux.28,29 L'attaque à la pensée se retrouve à travers d'autres biais : telles ces publicités de nature pornographique, registre qui, selon M. Khan,30 met le sujet-complice en état de dissociation (propice à un achat ?).
On ne saurait mieux conclure cette première thèse qu'en citant Thomas Mann, dans son «docteur Faustus» :
«Je n'aime pas qu'un être s'arroge le droit de tout avoir, enlève la parole à l'adversaire et, en la retournant, crée une confusion des notions. (...) Certaines gens ne devraient pas parler de liberté, de raison, d'humanité ; ils devraient s'en abstenir par scrupule de les polluer».31
Mais la pensée libre et critique ne semble pas être la seule cible de ces menées qui, toutes, font fi de la dimension symbolique ou fantasmatique des comportements et des choses, pour ne s'attacher qu'à leur strict versant concret. C'est donc toute une dimension psychique qui se voit, à la longue, abrasée, souvent au nom d'un (pseudo) «réalisme» triomphant.
Une autre constante de ces mouvements est leur rage contre toute notion de limite, de délimitation, et donc d'identité. Rage que M. Khan situait au centre de la pornographie :
«Le seul accomplissement authentique de la pornographie est de transformer la rage en événements somatiques et érotiques. C'est à dessein que j'utilise ici le mot «transformer» et non «sublimer». En effet, dans l'utilisation particulière des mots propres à l'écriture pornographique, nulle trace d'assimilation ou de perlaboration de l'affect de rage que comporterait la sublimation».
Ce gommage des identités s'accompagne évidemment d'une détestation des différences, qui leur sont consubstantielles. Plus, c'est la notion de liens, ceux de filiation (cf. Preciado : «Je renonce à tous les liens de filiation (maritaux ou parentaux) qui m'ont été assignés par la société hétérocentrée») comme ceux de relation, et particulièrement de relation sexuée, qui apparaît comme la cible principale pour ne pas parler de la relation amoureuse, aussi absente de ces dogmes que la dimension symbolique ou éthique. Concernant cette dernière dimension, son escamotage irait bien dans le sens de certaines écoles de philosophie dites «du relativisme moral» que Karl Popper stigmatisait ainsi :
«Tout se vaut, tout est relatif, tout est question de civilisation, d'époque, etc. : ce relativisme est la plus grande menace planant sur notre société »32 en écho à Georges Steiner :
«Cette barbarie douce, où tout se vaut et rien ne vaut rien, est la barbarie d'un monde absolument plat, d'où la transcendance et le sens ont été délibérément exclus».33
Quelles finalités psychologiques pourrait-on discerner au travers de tels mécanismes ? Plusieurs auteurs ont perçu la nécessité impérative pour certaines personnalités perverses de se soulager de leurs conflits internes en les injectant dans leur entourage.34,35,36On constate que ces proches vont alors incarner, à leur détriment, les parties du Moi pervers expulsées. Les mécanismes précis de ces «injections», et leur portée dans le tissu social sont loin d'être connus, mais leur existence semble indubitable et participe peut-être à ces mouvements erratiques dont les buts rejoignent plus d'une fois des thématiques typiquement perverses.
Il en va d'ailleurs de même d'un autre aspect, étudié par Janine Chasseguet-Smirgel, qui est celui des visées démiurgiques des pervers, qui aspirent à refaire le monde :
«Le Sadien se substitue à Dieu et à la Nature, c'est-à-dire aux deux parents... et devient, à travers la destruction, le créateur d'une nouvelle réalité».37
Serait-ce téméraire de discerner de tels desseins derrière bon nombre de ces mouvements qui s'en prennent aux racines identitaires de l'être humain ?
Le mot de terrorisme a été créé en France, en 1793. Il évoque les pages les plus sombres et les plus folles de son histoire. Machinerie infernale, système de persécution auto-entretenu, toujours au nom d'une «juste cause» évidemment, toujours contre les penseurs, et partant, hermétique à tout véritable dialogue.
C'est face à de tels enjeux que prend tout son poids ce texte qui est considéré comme le testament philosophique d'Hannah Arendt dans lequel elle décrit ce que doit être le penseur politique,
«Quelqu'un qui n'aspire nullement à gouverner les hommes, ne prétende pas non plus être à même (...) de conseiller les gens au pouvoir, mais par contre, ne se soumette pas humblement à la domination ; en deux mots, un penseur qui sache rester un homme parmi les autres, ne fuie pas la place publique, soit un citoyen comme les autres, ne fasse rien, n'exige rien en dehors de ce que chacun selon lui peut attendre et devenir. (...) Socrate ne demandait qu'à «obtenir le droit d'analyser les opinions des autres, d'y réfléchir, en demandant à ses interlocuteurs d'en faire autant».38