La conférence donnée lors du 14e congrès du praticien par le Pr Thierry Rochat (Division de pneumologie, Hôpitaux universitaires de Genève) a couvert deux chapitres sélectionnés de pneumologie. Tout d'abord l'asthme, qui est la maladie la plus fréquente des organes respiratoires. Ensuite, un groupe de maladies rares, les pneumopathies interstitielles idiopathiques, dont on pourrait penser qu'elles intéressent uniquement les spécialistes. Le Pr Rochat a cependant souligné qu'il est important que le praticien sache ce que l'on peut faire pour les malades qui en sont atteints et dans quelle mesure il est utile de les référer à un centre spécialisé.L'asthme, encore et toujours...La prévalence de l'asthme augmente dans tous les pays industrialisés. C'est une maladie de la civilisation qui est probablement en relation avec notre mode de vie, avec les infections que nous faisons ou ne faisons pas dans notre jeune âge et avec notre type d'alimentation. Il s'agit d'un problème de santé publique qui ne peut pas être réglé par les médecins individuellement. En revanche, ce que les médecins peuvent faire, c'est infléchir la sévérité et la mortalité de l'asthme.Il y a maintenant un peu plus de deux ans que le National Institute of Health des Etats-Unis (NIH) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont établi l'initiative GINA (Global Initiative for Asthma). C'est un consensus qui édicte à l'usage des praticiens un certain nombre de principes pour le traitement de l'asthme. Cette initiative a permis des progrès considérables dans la prise en charge des asthmatiques. Les recommandations de GINA font état du fait que les asthmatiques se répartissent, au moment où l'on doit les traiter comme une maladie chronique, en quatre stades de sévérité qui doivent être appréciés à la fois par les symptômes, la clinique et le peak-flow.La figure 1 résume les recommandations de l'initiative GINA. Ce schéma a depuis lors été remis en question avec le développement ou la mise sur le marché des nouveaux médicaments que sont les bêta 2-stimulants de longue durée mais à début d'action rapide associés à des corticoïdes dans des préparations combinées, les antileucotriènes et les anticorps monoclonaux anti-IgE. Néanmoins, le Pr Rochat estime qu'il n'y a rien qui puisse actuellement justifier une modification du principe de base de GINA qui reste parfaitement valable en 2001. Les nouveaux médicaments sont à considérer comme des traitements d'appoint à utiliser de cas en cas pour des individus qui présentent des problèmes particuliers.Au-delà de GINA : quelques problèmes en relation avec l'asthme. Un éclairage nouveau sur ce qui nous attend ces prochaines annéesLe rôle de la rhinite et de la sinusite et leur interaction avec l'asthmeLa relation entre l'asthme et les voies respiratoires supérieures est évidente : 20% des patients souffrant d'une rhinite saisonnière ont de l'asthme, 70% des patients qui ont une polypose ethmoïdale ont de l'asthme. A l'autre bout du spectre, 30 à 70% des asthmatiques ont une sinusite radiologique (radiologie conventionnelle) et 34% des patients avec une sinusite chronique ont de l'asthme.Pourquoi est-ce que le nez et les poumons peuvent interagir ? Il existe des réflexes nerveux : lorsqu'on applique un stimulus thermique ou chimique sur la muqueuse nasale, on obtient une bronchoconstriction par la stimulation du nerf vague à partir des récepteurs de la muqueuse nasale. Mais il y a plus que cela : si l'on fait un test de provocation nasale avec un antigène spécifique, on obtient une augmentation de la réponse bronchique à la métacholine (stimulant non spécifique de la réactivité bronchique). De nombreuses études ont donc démontré que «le nez parle aux bronches». A l'inverse, d'autres travaux ont montré que la stimulation des bronches par des allergènes entraîne une augmentation de la réponse inflammatoire au niveau de la muqueuse nasale. Une des hypothèses visant à comprendre ce mécanisme présente la rhinite comme un stade de prédisposition à l'asthme et l'asthme comme une maladie survenant chez un certain nombre d'individus atteints de rhinite allergique. Cette hypothèse implique un certain nombre de postulats. Premièrement : tous les asthmatiques ont une rhinite chronique (cliniquement ce n'est pas tout à fait vrai, mais si on fait des biopsies ou des CT-scans des sinus, on constate que c'est correct pour la majorité des cas, même si tous les patients ne présentent pas des manifestations cliniques). Deuxièmement : les sévérités de l'asthme et de la rhinite sont parallèles (là aussi, cliniquement ce n'est pas tout à fait exact, mais c'est juste pour une grande majorité de patients). Et troisièmement : la gravité d'une rhinite a une influence sur la sévérité de l'asthme. En effet, chez les enfants asthmatiques, il a été bien établi par des travaux déjà anciens, que si l'on traite une sinusite par des corticoïdes locaux et des antibiotiques s'ils sont indiqués, on améliore considérablement la symptomatologie de l'asthme.Partant de toutes ces données, l'OMS et le NIH sont en train de mettre en place une nouvelle initiative qui s'appellera ARIA (Allergic Rhinitis and its Impact on Asthma) afin d'élucider les mécanismes qui régissent la correspondance entre ces deux organes.Pour le praticien, la conséquence est assez simple : tout asthmatique qui pose un problème thérapeutique, même s'il n'a pas une rhinite allergique évidente, devrait être investigué à la recherche de ce type de rhinite. Un traitement de stéroïdes topiques au niveau nasal devrait être considéré dans une bonne majorité de cas, ce que l'on oublie souvent lorsqu'on traite un asthmatique.Le rôle des infections virales dans l'asthmeLe rhinovirus représente la cause étiologique de 50 à 80% des rhumes. La contamination passe par le nez et les conjonctives, notamment par l'intermédiaire des doigts. Une fois la contamination établie, le rhinovirus se localise essentiellement dans le nasopharynx. On ne trouve que très peu de virus dans les voies respiratoires inférieures, pas plus que dans le reste de la muqueuse nasale. Le mécanisme par lequel le virus agit est une libération de cytokines (IL-6, IL-8 et TNF-a) qui, à distance, provoquent la congestion nasale et les symptômes du rhume. Chez les asthmatiques, 80% des sujets ont une histoire de rhume qui précède leur décompensation. Actuellement, on peut constater que, chez un grand nombre d'entre eux, l'infection virale est un facteur déclenchant au moins aussi fréquent si ce n'est davantage qu'une exposition à un allergène.L'activation de l'asthme lors d'une infection à rhinovirus dépend probablement des médiateurs produits dans le nasopharynx qui agissent à distance sur les bronches. De plus, on sait que l'asthme induit l'expression de certains récepteurs sur l'épithélium bronchique, ce qui rend les asthmatiques particulièrement sensibles à la pénétration des virus (mais on ne sait pas encore si, lorsqu'ils ont une rhinite, les asthmatiques ont davantage de virus dans les bronches que les non-asthmatiques). Autre élément intéressant : les lymphocytes T répondent moins bien à un traitement de corticostéroïdes lorsqu'il y a une infection virale concomitante, ce qui expliquerait une partie de l'exacerbation asthmatique lors des infections virales.Pour le praticien, cela signifie qu'il faut entraîner les patients asthmatiques et il y a une certaine réticence bien compréhensible à le faire à augmenter leur traitement de stéroïdes inhalés lorsqu'ils présentent une infection virale des voies respiratoires.On sait maintenant que chez le sujet normal, les corticostéroïdes n'ont pas d'effet sur les symptômes de la rhinite si ce n'est une légère augmentation de l'excrétion de virus. Chez les asthmatiques en revanche, et plus particulièrement chez les enfants asthmatiques, il a été démontré qu'un traitement oral de corticostéroïdes pendant trois jours, lors d'une rhinite à rhinovirus, diminuait clairement les symptômes d'asthme. Les traitements topiques diminuent également les symptômes, mais bien entendu ils ne diminuent pas le nombre d'épisodes d'infection virale des voies respiratoires supérieures. Ce nombre n'est pas plus élevé chez les asthmatiques que dans la population générale, mais il a des conséquences beaucoup plus importantes.Les antileucotriènes et les anticorps monoclonaux anti-IgELes leucotriènes sont des médiateurs de l'allergie, de la bronchoconstriction, de la production de mucus et de l'inflammation en général. Les médicaments qui bloquent leurs récepteurs exercent donc une action anti-inflammatoire, mais moins puissante que celle des stéroïdes. Ils possèdent également un effet bronchospasmolytique, mais inférieur à celui des bêta 2-stimulants. Comme ils agissent par un mécanisme différent des bêta 2-stimulants et des stéroïdes, les antileucotriènes ont certainement une place comme médicament d'appoint. Malheureusement, le problème est qu'un certain nombre de patients ne répondent pas à ce type de traitement. Dans l'asthme d'effort par exemple, environ un tiers des sujets voient leur asthme complètement inhibé à l'effort par les antileucotriènes, un tiers n'ont qu'un effet limité et un tiers ne constatent strictement aucun effet.On commence à comprendre la raison de cette différence : elle semble liée à un polymorphisme génétique du promoteur du gène de la 5-lipooxygénase, l'enzyme qui produit les leucotriènes. Toutefois, ce gène ne rend pas compte du tiers de patients qui ne répondent pas aux antileucotriènes, il n'est donc probablement pas le seul impliqué dans la réponse à ce type de médicament.Un anticorps monoclonal anti-IgE (omalizumab) sera prochainement mis sur le marché. Il agira en éliminant les IgE responsables de la libération des médiateurs de l'inflammation, en bloquant la fixation des IgE sur les mastocytes et même en diminuant la production des IgE (la baisse de concentration des IgE circulantes aura pour conséquence de diminuer la différenciation des lymphocytes B en plasmocytes producteurs d'IgE). Ce médicament semble donc très prometteur : administré de façon sous-cutanée à intervalles de quatre semaines, il entraîne une chute marquée et persistante du taux d'IgE dans le sang. Trois autres études cliniques contrôlées vs placebo, portant sur plusieurs centaines de patients (adultes et enfants), ont montré qu'après une période initiale de seize semaines de traitement par voie sous-cutanée, il était possible de diminuer la quantité de corticoïdes inhalés au cours des douze semaines suivantes. Malheureusement, comme pour les antileucotriènes, on sait déjà que tous les patients ne répondent pas, mais on ne connaît pas les facteurs prédictifs de réponse. Les répondeurs ne sont d'ailleurs pas nécessairement les patients qui ont les taux d'IgE les plus élevés ; ce ne sont peut-être même pas ceux qui ont un asthme clairement allergique puisqu'on trouve des taux d'IgE élevés dans les asthmes dit extrinsèques, c'est-à-dire pour lesquels on n'a pas réussi à identifier formellement un antigène dans l'environnement. Il reste donc à établir quelle sera l'indication précise de ce médicament et combien d'asthmatiques pourront réellement en bénéficier.L'éducation thérapeutique des asthmatiquesBien qu'elle fasse partie de la pratique médicale depuis longtemps, un effort considérable a été entrepris pour améliorer la qualité de l'éducation thérapeutique. Les résultats d'une étude récente, financée par le Fonds national suisse, effectuée conjointement par les divisions de pneumologie de Genève et de Lausanne, la policlinique médicale de Lausanne et la division d'enseignement thérapeutique du Pr Assal de Genève, ont été présentés. Les patients admis à l'hôpital pour une crise d'asthme se sont vus proposer un programme d'éducation en groupe, axé sur les capacités d'autogestion du traitement (trois sessions d'une heure et demie, réparties sur trois semaines consécutives). Seuls 131 des 253 patients hospitalisés pendant la période de l'étude ont accepté d'y participer. Les sessions étaient conduites par des personnes spécialement formées à l'éducation thérapeutique interactive avec les malades. Les sujets ont été répartis par tirage au sort soit dans un programme d'éducation immédiat, soit dans un programme d'éducation retardé (six mois plus tard). Dans le groupe qui a bénéficié de l'éducation thérapeutique immédiate, la moitié seulement des patients (33 sur 66) ont effectivement suivi les trois sessions de groupe proposées. La comparaison des deux groupes après six mois a montré que les malades éduqués étaient plus performants dans un certain nombre de domaines meilleure confiance dans le traitement, meilleure technique d'inhalation des médicaments et meilleure connaissance des valeurs de peak-flow et des signes cliniques devant les inciter à se mettre immédiatement en contact avec leur médecin ou avec un service d'urgences mais on aurait attendu qu'ils le soient dans un plus grand nombre de domaines.Il reste donc beaucoup de travail pour arriver à faire accepter une éducation thérapeutique à un nombre de patients aussi élevé que possible. Tout porte en effet à croire, selon le Pr Rochat, que ceux qui ont refusé cette éducation sont probablement ceux qui en avaient le plus besoin. Un autre point essentiel, mais qui n'a pas été évalué par l'étude, est l'amélioration des compétences des médecins et physiothérapeutes qui ont enrichi leurs propres connaissances en animant les groupes de patients.Les pneumopathies interstitielles chroniquesDevant un sujet âgé de 50 à 70 ans, qui présente une histoire de dyspnée progressive évoluant depuis plusieurs années, une toux sèche non productive, une auscultation de râles crépitants, souvent un hippocratisme digital et, à la radiographie, un infiltrat pulmonaire interstitiel diffus prédominant dans les zones périphériques, il convient d'évoquer le diagnostic de pneumopathie interstitielle diffuse. Le bilan complémentaire pourra révéler un syndrome restrictif à l'examen des fonctions pulmonaires, un abaissement de la diffusion du CO et des anomalies non spécifiques du liquide de lavage broncho-alvéolaire. Le CT-scan, en particulier le CT-scan à haute résolution (coupes fines de 1 mm) permet d'investiguer plus en détail cette pathologie. Il peut mettre en évidence des lésions sous-pleurales bilatérales, en particulier aux deux bases pulmonaires où les lésions prennent un aspect tout à fait caractéristique, avec à la fois la présence de lignes qui correspondent à des épaississements des septa interlobulaires ou intralobulaires et la formation de lésions en «nid d'abeille» qui correspondent à des lésions où la fibrose a constitué des pseudokystes au sein desquels le tissu pulmonaire a disparu.Il s'agit alors de savoir à quel type de pneumopathie interstitielle diffuse appartient la pathologie. Ceci demande une anamnèse soignée. Lorsqu'on aura exclu toutes les autres causes possibles exemple du patient qui, à la énième consultation, raconte enfin avec une naïveté désarmante, qu'à la fin des années 60, il a utilisé des plaques d'Eternit pour construire un réduit dans le fond de son jardin en sciant lui-même les plaques, alors que rien ne laissait supposer qu'il avait été exposé à l'amiante puisqu'il était instituteur on aboutira au diagnostic de pneumopathie interstitielle idiopathique.Une fois le diagnostic de pneumopathie interstitielle idiopathique posé, les choses deviennent plus difficiles. La maladie relève alors du «spécialiste». Parmi les pneumopathies interstitielles idiopathiques, on trouve encore sept entités distinctes dont une seule actuellement peut porter le nom de fibrose pulmonaire idiopathique. Il s'agit d'une entité nosologique caractérisée par une radiologie, une clinique et une pathologie propre. La figure 2 illustre la place de cette maladie au sein de la classification des pneumopathies interstitielles diffuses. Si la clinique et la radiologie ne sont pas suffisamment évocatrices, il sera nécessaire, pour poser un diagnostic histopathologique correct, d'effectuer une biopsie chirurgicale afin de confirmer, le cas échéant, le caractère focal de la maladie, avec des zones de fibrose ancienne (collagène uniquement), des zones de fibrose récente (foyers de fibroblastes) et des zones de poumon parfaitement sain.Le traitement classique de la fibrose pulmonaire idiopathique est une association de prednisone et d'un immunosuppresseur soit azathioprine, soit cyclophosphamide avec des résultats qui sont malheureusement très décevants et une survie à cinq ans de l'ordre de 20%. Une étude randomisée viennoise portant sur un petit collectif de patients très soigneusement sélectionnés (11 cas) qui présentaient ce type de pathologie et qui ont été traités par de l'interféron gamma (IFN-g) pendant une année, a été récemment publiée. Par rapport au groupe contrôle qui a été traité uniquement par des corticostéroïdes, il a été observé une amélioration très nette des volumes pulmonaires chez les sujets traités par IFN-g. Ce résultat était d'ailleurs tellement extraordinaire que l'article, publié par le New England Journal of Medicine, a fait l'objet d'une expertise qui a conclu que les patients présentaient effectivement une fibrose pulmonaire idiopathique et qu'ils s'étaient améliorés. Il y a donc peut-être un espoir, notamment avec l'IFN-g et peut-être avec d'autres médicaments, mais ces résultats devront être confirmés.Si, en plus des lésions à prédominance sous-pleurale (lignes septales épaissies), le CT-scan montre des images d'infiltrat en verre dépoli (infiltrat diffus qui n'efface pas la structure, en particulier les images de vaisseaux) qui ne cadrent pas avec le diagnostic de fibrose pulmonaire idiopathique, il pourra être nécessaire de pratiquer une biopsie chirurgicale. Cette dernière pourrait alors montrer une atteinte tout à fait diffuse, différente de ce que l'on observe en cas de fibrose pulmonaire idiopathique, correspondant au diagnostic de ce que l'on nomme maintenant «Non Specific Interstitial Pneumonia» (NSIP) et qui est une autre variété de pneumopathie interstitielle idiopathique.Cette différence est importante car le pronostic des patients avec NSIP est nettement plus favorable que celui de ceux qui ont une fibrose pulmonaire idiopathique. Il est difficile pour le moment de faire du NSIP une entité nosologique ; il s'agit plutôt d'un concept, car il subsiste encore des problèmes de terminologie et de frontière. Néanmoins, le NSIP, qui jusqu'ici était classé à tort avec la fibrose idiopathique, se distingue de cette dernière par son aspect histopathologique, par son évolution clinique et par sa réponse au traitement.Le message à retenir est que les pneumopathies interstitielles idiopathiques en général, avec une incidence faible d'environ 30/100 000 par année, ne doivent pas faire l'objet d'un nihilisme thérapeutique. Un certain nombre de malades peuvent bénéficier d'un traitement utile.En raison de la grande complexité du sujet, il est important que tout patient atteint d'une pneumopathie interstitielle idiopathique soit évalué une fois au moins et le plus tôt possible, par un centre spécialisé qui soit à même de catégoriser cette pneumopathie, d'établir un pronostic clair et de faire des propositions thérapeutiques qui tiennent compte des dernières connaissances acquises dans le domaine. W