En novembre dernier, AstraZeneca lançait l'«European Institute of Healthcare», un programme de formation médicale continue destiné aux spécialistes européens. Le puissant consortium anglo-suédois présente son projet comme novateur tant par sa forme que par son contenu. En effet celui-ci se démarquerait par une approche transversale du système de santé et de ses enjeux médicaux. De plus, un comité scientifique indépendant est prévu pour assurer l'excellence et l'impartialité des présentations scientifiques dont le contenu est censé avoir une diffusion élargie grâce au partenariat de grandes revues scientifiques.Même si une telle démarche ne semble pas vraiment nouvelle, elle suscite de nombreuses interrogations quant à ses motivations. A l'heure même où l'influence de l'industrie pharmaceutique sur l'enseignement médical est vivement critiquée aux Etats-Unis par les associations de défense des consommateurs, cette initiative nous questionne sur la place et l'implication politique de l'industrie pharmaceutique dans notre système de santé.ContexteLe 10 novembre 2000 à Barcelone, l'entreprise pharmaceutique AstraZeneca inaugurait le lancement de son nouveau concept «European Institute of Healthcare», un programme de trois ans dédié à la formation médicale continue des spécialistes européens. Quelque soixante journalistes de la presse spécialisée continentale étaient conviés à la traditionnelle conférence de presse officialisant l'événement. Sous la houlette du vice-président régional d'AstraZeneca pour l'Europe du Sud, Luk Vranken et du Directeur européen de la communication, Vincent Lachapelle, le panel d'organisateurs souligna, dans sa présentation, l'esprit novateur du projet en insistant sur l'indépendance scientifique des futures présentations ainsi que sur leur approche intégrative du système de santé.ProjetFinancé à hauteur de huit millions d'euros par AstraZeneca, ce programme prévoit pendant trois ans, soit jusqu'en 2003, deux journées de formation par année académique dans chacun des domaines suivants : oncologie, cardiologie, pneumologie, gastro-entérologie et système nerveux central.Chacun de ces dix symposiums pourra regrouper quelque 400 spécialistes autour d'un thème central, articulant, par six conférences, des perspectives cliniques à des éléments de recherche fondamentale. Pour accueillir ce projet, trois grandes villes européennes ont été sélectionnées et Barcelone abritera la manifestation pour 2000-2001.Afin d'assurer l'organisation et la coordination scientifique du projet, AstraZeneca a fondé un Comité de direction médical indépendant, à qui sera confié le choix des orateurs et des thèmes abordés.Sous la présidence de l'émérite professeur de gastro-entérologie belge G. Vantrappen, connu pour ses activités dans la recherche et l'enseignement (University of Leuven, Belgium et Harvard, Boston, Etats-Unis), ce comité regroupe un responsable pour chacune des cinq disciplines et se charge de nommer les différentes commissions scientifiques.Tout en reconnaissant une influence commerciale dans le choix des cinq spécialités abordées, les organisateurs insistent sur la singularité de l'autonomie structurelle de leur projet, qui garantirait, selon eux, l'impartialité des conférences par une séparation des intérêts économiques et scientifiques. De plus, ils assurent que ce même garde-fou institutionnel préviendrait toute promotion de produits au sein des présentations.Plus que sur les spécificités formelles du projet, les responsables mettent l'accent sur l'originalité de son contenu. En effet, AstraZeneca souhaite promouvoir, par son nouveau concept, une approche transversale des problèmes médicaux actuels s'affichant ainsi comme un acteur pluriel dans le débat sanitaire d'aujourd'hui. L'éclectisme des conférences mettrait donc l'accent tant sur la maladie elle-même que sur sa prévention et ses atteintes à la qualité de vie, faisant ainsi de l'«European Institute of Healthcare» une plate-forme de réflexion sur les défis modernes de notre système de santé.Toujours guidée par la même volonté d'ouverture, cette initiative se veut tout aussi novatrice par l'ampleur de son rayonnement. En effet, au-delà des quelque 4000 médecins invités chaque année, elle prévoit d'élargir la diffusion du contenu des présentations par un partenariat avec de grandes revues scientifiques, et, mieux encore, par la future retransmission, en temps réel, des conférences sur Internet.Coup d'envoiLe symposium inaugural de cette courageuse entreprise allait-il être à la hauteur de ses ambitions ?Consacrée à l'oncologie, cette première journée s'est tenue le 11 novembre dernier à Barcelone. Enlevé par le très médiatique Pr D. Khayat de la Pitié-Salpêtrière, le comité scientifique a choisi d'évoquer le vaste problème des métastases. Composé d'invités de marque, le plateau de conférenciers a abordé certains éléments de biologie moléculaire, suivis par une partie traitant du cancer du sein métastatique.Malgré l'excellent niveau des présentations, notamment l'intervention synthétique de I. J. Fidler (Department of Cancer Biology, University of Houston, Texas) sur la biologie des métastases cancéreuses, la majorité des interventions ne répondaient que peu aux objectifs que s'était fixé le projet. En effet, l'ensemble des intervenants ne semblaient pas s'être accordés sur l'esprit et la dynamique de la réunion. La fameuse vision transversale et globalisante manquait donc sérieusement au contenu des conférences ainsi qu'à leur articulation dans une continuité. De plus, la majorité des allocutions s'écartaient d'une vision transversale pour reprendre une traditionnelle approche linéaire. Finalement, les orateurs se composant exclusivement de médecins ou de biologistes, leur représentativité du système de santé est plus que discutable, et en termes de réflexion ont plus fait ressembler cette journée à un pilotis qu'à une réelle plate-forme.La seule présentation répondant peut-être aux vux des organisateurs fut sans doute celle de P. Harper (Guy's Hospital, London, UK) sur la qualité de vie des patients métastatiques. Dans sa brillante allocution, il aborda les différences de perception des facteurs altérant la qualité de vie entre les patients et le personnel soignant. Certains travaux1 montreraient, en effet, une nette discordance dans l'appréciation des facteurs affectant la vie quotidienne entre les patients et leur oncologue.La douleur serait ainsi placée au premier plan (61%) par les médecins, mais seulement en seconde ligne (19%) par les malades qui considèrent la fatigue comme la première cause (61%) affectant leurs activités quotidiennes. Corrélant la fatigue à la présence d'anémie, notre orateur souligna l'importance de la reconnaissance de cette dernière en évoquant une étude canadienne.2 Celle-ci a en effet mis en évidence l'importance du niveau d'hémoglobine et de son maintien sur le taux de survie de patientes atteintes d'un carcinome du cervix. Selon P. Harper, la juste reconnaissance de la fatigue chez le patient cancéreux ainsi que la correction d'une éventuelle anémie sous-jacente auraient donc non seulement un impact positif sur la qualité de vie des patients mais aussi sur leurs chances de survie.Entre politique et imageEn attendant de voir si les prochains séminaires répondront mieux aux vux des organisateurs, il faut espérer que cette initiative témoigne de l'émergence d'une volonté d'aborder les enjeux médicaux de façon plus intégrative et globale.Mais au-delà des considérations sur sa forme et son contenu, la mise sur pied de l'«European Institute of Healthcare» suscite de nombreuses questions de fond. Quelles sont les véritables motivations de ce projet ?De l'habile stratégie à la recherche d'un nouveau profil, comment les intérêts d'une telle entreprise doivent-ils s'intégrer dans la gestion de notre système de santé et quelles en sont les implications structurelles et politiques ?Tous ces questionnements ne sont-ils pas, comme le témoigne le récent rapport de l'Association de défense des consommateurs américains,3 le reflet des interactions croissantes entre pouvoir commercial et politique dans le système de santé actuel ?Pour reprendre, en guise de conclusion, la polémique lancée par le New England Journal of Medicine,4 ne faut-il pas apprendre à distinguer conflit d'intérêt et intérêt public ? W