Les myopathies inflammatoires primaires (MIP) sont des maladies rares, dont l'expression clinique est très hétérogène. La faiblesse musculaire est un signe d'appel habituel. Les lésions cutanées sont souvent typiques dans la dermatomyosite (DM). L'atteinte pulmonaire interstitielle est fréquente, particulièrement dans le syndrome antisynthétase. Le diagnostic se base sur la biologie, le dosage d'anticorps spécifiques, l'EMG, l'IRM et l'histologie. La recherche d'une tumeur sous-jacente est indispensable, particulièrement en cas de DM. Le pronostic est habituellement excellent, quand le traitement immunosuppresseur est instauré rapidement. A ce jour, aucune thérapeutique n'a cependant permis de modifier l'évolution habituellement défavorable des myosites à corps inclus.
Les myopathies inflammatoires primaires (MIP) sont des pathologies rares, mais en aucun cas exceptionnelles puisque leur incidence annuelle est estimée à 0,5 à 1 cas par 100 000 et que quatorze cas ont été identifiés aux Hôpitaux universitaires de Genève ces deux dernières années. Il faut donc y penser lorsqu'un patient se plaint d'une faiblesse musculaire d'apparition progressive, éventuellement accompagnée de myalgies spontanées ou accentuées par le mouvement. S'il est vrai que l'association de faiblesse et de douleur musculaire évoque en premier lieu d'autres diagnostics plus fréquents, tels que certaines infections virales, des effets secondaires médicamenteux, des problèmes métaboliques ou d'autres maladies neurologiques, les MIP doivent cependant toujours rester présentes à notre esprit. En cas de doute, la tâche ardue de leur diagnostic et la recherche d'une éventuelle tumeur associée, doivent être entreprises rapidement. Une intervention thérapeutique précoce reste garante d'une meilleure réponse au traitement.
Les myosites représentent un ensemble hétérogène sous plusieurs points de vue et la présentation clinique peut être très variée. Les multiples classifications existantes sont le reflet de cette hétérogénéité. Nous vous en proposons une compilation dans le tableau 1.
Il est question de dermatomyosite (DM) quand l'atteinte cutanée, qui peut accompagner les myosites, prend des aspects caractéristiques. Elle peut également précéder l'atteinte musculaire de plusieurs mois ou années et, dans certains cas extrêmes, être une manifestation isolée nommée dermatomyosite amyositique. Une des manifestations cutanées classiques est l'érythème héliotrope à la couleur rose lilacée caractéristique, qui touche les paupières, les joues et qui peut s'étendre au cou et à la face antérieure du thorax. Les papules de Gottron sont également typiques et se présentent sous forme de plaques rouge-pourpre, surélevées, kératosiques, localisées préférentiellement sur la face dorsale des articulations interphalangiennes et métacarpophalangiennes et plus rarement en regard des genoux et des coudes. Les manifestations cutanées peuvent occasionnellement se révéler inhabituelles, ainsi des lésions bulleuses ou eczémateuses ont été décrites. Une attention particulière doit être portée à l'examen des ongles et de leur pourtour. La présence d'un érythème péri-unguéal douloureux à la pression avec présence de micro-hémorragies de la cuticule est une manifestation assez caractéristique qui est également nommée signe de la manucure. Le phénomène de Raynaud est fréquent et en règle générale modéré.
Lorsque la myosite s'exprime sans atteinte cutanée, il est question de polymyosite (PM). Des variations dans les groupes musculaires atteints peuvent permettre de distinguer différentes myopathies. Ainsi dans les DM/PM, l'atteinte est d'habitude symétrique et proximale et touche préférentiellement les ceintures.
Le syndrome musculaire se manifeste par une faiblesse qui s'installe progressivement, bien que des évolutions aiguës aient été rapportées. Les myalgies sont inconstantes mais elles peuvent dominer le tableau clinique et peuvent être spontanées, évoluer par crises ou encore être en rapport avec l'activité musculaire. Les muscles du cou et ceux impliqués dans la déglutition sont proportionnellement plus fréquemment touchés dans la DM que dans la PM. Il peut également y avoir une atteinte des muscles paravertébraux et intercostaux. Dans la myosite à corps inclus (MCI), l'atteinte n'est pas symétrique et peut débuter distalement.
Enfin, les arthralgies, les arthrites non destructrices ainsi que la fièvre accompagnent fréquemment les MIP.
Les principales différences entre les DM, les PM et les MCI sont rapportées dans le tableau 2.
Les principales caractéristiques biologiques des MIP sont l'élévation des CK et des aldolases et dans une moindre mesure celle des ASAT, ALAT et des LDH. La VS peut être accélérée et la CRP augmentée, bien que ces paramètres puissent être peu altérés. «L'interleukin-1 récepteur antagonist (Il-1RA)», marqueur négatif de la réponse inflammatoire, peut dans certains cas être élevé et utile pour le suivi.1
Le facteur anti-nucléaire est positif chez 80% des patients avec DM/PM mais n'est pas spécifique de cette entité.
Un intérêt croissant s'est développé durant ces dernières années dans la recherche d'autoanticorps spécifiques des PM/DM. Bien qu'il existe six anticorps antisynthétases, l'anti-Jo-1, qui est un anticorps dirigé contre l'histidyl-tRNA synthétase, est le seul anticorps de cette famille, qui soit dosable en routine. On le retrouve dans 20% des cas et plus volontiers dans la PM que dans la DM. L'anti-Jo-1 est fortement associé à la fibrose pulmonaire, au syndrome de Raynaud et aux arthrites, constituant pour certains auteurs le syndrome antisynthétase ou encore syndrome anti-Jo-1.2,3
L'anti-Mi-2 est un anticorps dirigé contre une hélicase impliquée dans l'activation de la transcription. Il est retrouvé dans 5 à 14% des cas et est associé à une forme de DM très corticosensible de bon pronostic.2,3
L'anti-SRP est un anticorps cytoplasmique dirigé contre une protéine du signal de reconnaissance de particule (SRP), qui est associé dans 5% des cas avec une forme de PM particulièrement résistante au traitement et qui présente fréquemment des complications cardiaques.
Il existe d'autres anticorps associés aux myosites, tels que l'anti-PM-Scl et l'anti-Ku qui peuvent être identifiés chez des patients présentant une forme «overlap» entre la myosite et la sclérodermie. L'anti-RNP est retrouvé dans 5-12% des cas et est associé à un syndrome de chevauchement avec la sclérodermie systémique ou le lupus érythémateux disséminé.2,3,4
Les corrélations clinico-sérologiques principales sont résumées dans le tableau 3.
L'électromyographie (EMG) est un outil diagnostique utile qui permet de distinguer une myopathie d'une neuropathie, mais qui n'est pas pathognomonique des MIP. L'image caractéristique de l'EMG est celle d'une irritabilité membranaire accrue qui est caractérisée par une triade comprenant : une fibrillation de repos, des salves répétées et des potentiels microvoltés polyphasiques. La recherche d'un site optimal de biopsie peut également être guidée par cet examen.
L'IRM musculaire est un examen très précieux puisqu'il permet la description du type, du degré et de la localisation de l'atteinte musculaire. De plus, cet examen permet d'évaluer l'activité (dème, inflammation) ou la chronicité (fibrose, lipomatose, calcification) des lésions et est également une aide indiscutable pour guider la biopsie à l'aiguille avec précision.5 Le site de la biopsie doit être idéalement localisé dans une région musculaire atteinte, mais pas encore atrophique et en dehors d'un segment récemment testé par l'EMG.
L'histologie devrait être systématique car elle fait office de «golden standard» diagnostique dans l'investigation des maladies neuromusculaires associées aux myosites. Certains aspects morphologiques apparaissent identiques entre les différentes entités qui constituent les MIP. Il s'agit entre autres de la nécrose des fibres musculaires et de la présence d'infiltrats de cellules inflammatoires composés essentiellement de lymphocytes et de macrophages.
L'histo-immunopathologie des différents composants des MIP diffère cependant à certains égards. La DM est considérée comme une maladie humorale médiée par le complément et dont la lésion primaire musculaire est vasculaire. L'infiltrat cellulaire à prédominance de lymphocytes CD4 est périfasciculaire et périvasculaire. Dans la PM, par contre, le mécanisme pathogénique principal implique l'immunité cellulaire. L'infiltrat cellulaire est riche en lymphocytes CD8, et siège principalement dans la fibre musculaire. Les mécanismes immunopathologiques qui régissent la myosite à inclusion restent, quant à eux, encore obscurs.
L'ensemble des éléments nécessaires au diagnostic des MIP sont répertoriés dans le tableau 4.
La nature exacte de l'association entre tumeurs et myosites reste controversée. Le lien entre DM et tumeurs malignes semble établi par la plupart des auteurs, en particulier durant l'année qui précède et qui suit le diagnostic de DM.6 Les types de tumeurs rencontrés en présence d'une DM sont principalement les cancers de l'ovaire, des poumons, du pancréas, de l'estomac et colo-rectaux, ainsi que les lymphomes non hodgkiniens.
L'association entre cancer et PM est restée longtemps controversée.7 Une grande étude de population portant sur 914 cas de PM et 618 cas de DM, a récemment démontré que la PM peut également être associée à des tumeurs. Le risque relatif est cependant moins marqué que pour la DM et les tumeurs retrouvées de manière prépondérante sont uniquement les lymphomes non hodgkiniens, les tumeurs du poumon et de la vessie.8Ceci signifie, qu'au moment du diagnostic de DM ou de PM, une recherche attentive d'une tumeur doit être effectuée et répétée après une année, surtout si les PM/DM sont réfractaires au traitement.
Le diagnostic différentiel des myosites est très vaste et englobe des causes toxiques, infectieuses, endocriniennes, neuromusculaires, la rhabdomyolyse, des maladies auto-immunes avec formes de chevauchement et d'autres étiologies plus rares qui sont résumées dans le tableau 5.
Le traitement d'attaque des MIP est classiquement basé sur les corticostéroïdes. Cependant, même si la majorité des patients démontrent au moins une réponse partielle au traitement stéroïdien, la plupart nécessiteront par la suite l'adjonction d'un traitement adjuvant. L'administration de prednisone (0,5 à 1 mg/kg/
jour per os) est le traitement initial habituel. En cas de manifestations sévères ou d'association avec des atteintes extra-musculaires, telles qu'une fibrose pulmonaire, l'administration d'un traitement pulsé intraveineux de méthylprednisone (0,5 g/jour pendant trois jours par mois, durant trois mois consécutifs), peut permettre d'obtenir un contrôle plus rapide de la maladie.
Le traitement d'entretien est basé sur la combinaison des corticostéroïdes avec des traitements immunosuppresseurs conventionnels tels que le méthotrexate (7,5 à 20 mg/sem), l'azathioprine (2 à 3 mg/kg/j) ou la ciclosporine A (2 à 3 mg/kg/j).9,10 L'indication au cyclophosphamide est limitée aux seules atteintes pulmonaires interstitielles montrant des signes d'inflammation aiguë, en raison de sa toxicité hématologique et de son potentiel oncogénique. De même, un certain nombre de patients avec atteinte pulmonaire répondent à la ciclosporine A et au tacrolimus.9,11 L'hydroxychloroquine peut s'avérer efficace dans le traitement de l'atteinte cutanée réfractaire.12 Enfin, les plasmaphérèses semblent inefficaces. L'utilité des immunoglobulines à haute dose (400 mg/j pendant 5 j/mois, pendant trois à six mois) dans le traitement de la DM a été établie dans une des rares études randomisées existantes,13 et l'amélioration peut, dans certains cas, être spectaculaire.
Le choix du ou de la combinaison de traitement doit tenir compte de l'hétérogénéité de présentation des PM/DM. Les motifs de rajout d'un second immunosuppresseur sont variables. Ils peuvent faire office d'épargneur de stéroïdes ou être nécessaires parce que la MIP échappe au traitement stéroïdien, qu'il soit à dose optimale ou lors d'un essai de sevrage. Il faut se rappeler que, contrairement à la majorité des DM et des PM, la myosite à inclusion est habituellement plus résistante aux divers traitements immunosuppresseurs.
Avant l'ère des corticothérapies, le pronostic des MIP était particulièrement défavorable. Les PM/DM de l'adulte, non associées à une néoplasie, ont désormais un pronostic relativement favorable, puisque le taux de survie à cinq ans avoisine les 90%. Habituellement, l'évolution des MCI est progressivement défavorable et peut conduire au décès par des troubles du rythme ou par broncho-aspiration. En présence d'une tumeur maligne, d'une fibrose pulmonaire, d'une dysphagie, d'un «overlap» avec la sclérodermie ou d'un auto-anticorps anti-SRP, le pronostic reste également plus réservé.
A signaler enfin, qu'un début brutal et très fébrile, une réponse insuffisante au traitement corticostéroïde de première ligne ou encore une instauration trop tardive du traitement, sont des facteurs qui assombrissent le pronostic de la maladie.
Les MIP sont une famille hétérogène de maladies systémiques caractérisées par une faiblesse musculaire proximale, d'éventuelles lésions dermatologiques typiques, une élévation des CK et des aldolases, des anormalités électromyographiques caractéristiques et d'un infiltrat inflammatoire pathognomonique dans les muscles striés. Les différentes entités composant les MIP, la PM, la DM et la MCI, ont des mécanismes pathogéniques et des évolutions différentes. L'évaluation du pronostic, la recherche d'une malignité sous-jacente et l'instauration rapide d'un traitement immunosuppresseur ciblé, représentent un défi dans la prise en charge de ces patients.