Premier jour du printemps 2001. Il pleut comme jamais sur les terres où souffrent les animaux comme les hommes. A Bruxelles, un conseil agricole a, une nouvelle fois, peiné à traiter des multiples questions qui l'assaillent, la fièvre aphteuse et la maladie de la vache folle. En Grande-Bretagne, l'épidémie, un mois après son émergence, continue de flamber et l'on décompte plus de 300 foyers secondaires. Une équipe franco-britannique publie, dans les Comptes rendus de l'Académie nationale américaine des sciences, un travail, une nouvelle fois inquiétant, démontrant que la vMCJ peut atteindre des singes âgés comme des animaux jeunes. Le spectre d'action de l'agent pathogène s'élargit et l'on peut craindre que nombre de diagnostics de démence sénile soient des vMCJ ignorées. La fièvre aphteuse ? La vache folle ? «Ces affections menacent moins l'Europe que les désaccords institutionnels au sein de l'Union», vient de déclarer le président de la Commission européenne Romano Prodi dans un entretien accordé au quotidien espagnol La Vanguardia et au quotidien italien La Stampa.«La fièvre aphteuse n'est pas un problème nouveau, ce n'est pas une menace pour la santé humaine, mais un fait économique. Le problème de l'encéphalopathie spongiforme bovine est plus grave parce qu'il concerne l'avenir, l'inconnu. Mais ce n'est pas une menace pour l'Europe», affirme M. Prodi dans cet entretien également accordé au journal italien La Stampa. Pour le président de la Commission, «la menace» qui pèse sur «les institutions européennes vient de l'intérieur» de l'UE. Elle vient de «la crise des grands équilibres institutionnels sur lesquels s'est fondée l'Europe». «L'intergouvernementalisme a rendu impossible la conclusion d'accords lors de deux grands sommets : Amsterdam et Nice. Ce devait être deux grandes étapes de la construction européenne. Au contraire, lors de ces sommets, l'Europe s'est arrêtée», estime-t-il.En France, sur les berges parisiennes d'une Seine débordante et boueuse vient de s'achever un colloque franco-britannique organisé quai Conti, sous les ors de l'Académie des sciences, et consacré aux maladies à prions. Conclusions prudentes et modestie de mise. L'heure est plus à la formulation d'hypothèses qu'à l'affirmation de certitudes. Certains des participants à ce colloque doutent d'ailleurs toujours que le prion pathologique soit véritablement le seul, premier et unique responsable de la transmission de la maladie. C'est ainsi : en dépit de la somme des travaux majeurs consacrés à ce sujet depuis bientôt dix ans, en dépit de l'attribution d'un prix Nobel de médecine à l'Américain Stanley Prusiner, pour ses travaux sur le prion, la vérité s'impose : on ignore encore presque tout des mécanismes physiopathologiques de la maladie, des modalités précises de diffusion et de transmission d'un agent pathogène (à supposer qu'il soit unique) encore mystérieux, de la durée de latence entre la contamination et l'apparition des premières manifestations cliniques. Et les interrogations sur l'ampleur probable de l'épidémie humaine demeurent, lourdes d'angoisse.Quai Conti, rive gauche à Paris, le président de l'Académie britannique des sciences médicales, Peter Lachmann, a néanmoins formulé une certitude : beaucoup d'hypothèses ont été avancées sur les aliments ingérés, responsables de la vMCJ mais il est hautement probable que si l'on n'avait pas intégré dans les hamburgers bas de gamme certains tissus bovins (nerfs, moelle épinière, ganglions, etc.), on ne serait pas confronté à ce drame. Honneur pour moi de clore vos travaux dans ce prestigieux Institut de France. Précisons que l'affaire des hamburgers à bas prix comme celle des farines contaminées concernent, pour l'essentiel la Grande-Bretagne qui, tant pour ce qui est des bovins que des humains, n'est pas parvenue à ne pas exporter ses maux. «C'est ainsi que la science marche, mais pour nous, décideurs politiques, vous voudrez bien admettre que cela n'est pas très facile ! a, pour sa part, déclaré aux scientifiques réunis à Paris Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé. C'est dans ce contexte d'incertitude qu'il nous faut tout de même définir une politique de santé publique, qui permette d'offrir à nos concitoyens la sécurité maximale qu'ils sont en droit d'attendre de l'Etat. Malgré les travaux majeurs consacrés à cette maladie depuis bientôt une dizaine d'années, vous nous devez encore des réponses précises sur des questions centrales».Mais pour M. Kouchner il faut quitter un instant les incertitudes pour nous tourner vers la seule vérité qui s'impose : celle qui a trait à la folie des hommes. «On le sait clairement désormais, c'est en faisant manger des farines animales à des animaux qui, depuis l'aube des temps, se nourrissaient d'herbe que cette encéphalopathie a touché les bovins puis l'homme dans la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, a rappelé M. Kouchner. L'affaire de la vache folle est avant tout une affaire d'humanité folle, qui pour s'être affranchie d'un principe de précaution élémentaire pour l'alimentation des animaux, a déclenché la plus importante crise de santé publique internationale depuis les premiers pas de l'Europe verte. Cette folie humaine a un nom, la dérive productiviste, dont on est parfois bien injuste de n'accuser que les seuls agriculteurs. C'est la société tout entière vous et moi qui a contribué au développement irraisonné de cette course effrénée au plus gros, au plus vite et au moins cher». Tous plus ou moins responsables, donc au risque de ne jamais trouver de coupables. Et parmi nous tous, combien de victimes ?