Aujourd'hui, le risque de transmission transfusionnelle du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et des virus des hépatites B (VHB) et C (VHC) a considérablement diminué grâce à l'application de mesures préventives et à l'amélioration des capacités des réactifs de dépistage sérologique. Néanmoins, un risque résiduel, très faible, persiste en raison de la période de latence sérologique qui précède la séroconversion spécifique contre le virus. Les progrès accomplis dans le domaine des techniques de biologie moléculaire permettent aujourd'hui d'envisager l'introduction d'un dépistage génomique viral systématique sur chaque don.
La sécurité vis-à-vis des maladies transmissibles par les produits sanguins est une préoccupation permanente de l'Etablissement français du sang (EFS). En quinze ans, d'énormes progrès ont été réalisés, si bien qu'aujourd'hui le risque de transmission des virus majeurs (virus des hépatites VHB et VHC, rétrovirus de l'immunodéficience humaine VIH-1/2 et des leucémies/lymphomes à cellule T HTLV-I/II) est très faible en France. Ce risque est très faible, grâce au renforcement du dispositif de sécurité transfusionnelle qui comporte essentiellement quatre mesures. La première repose sur une sélection clinique rigoureuse des candidats au don de sang au cours de l'entretien médical. La seconde mesure est l'introduction progressive de nouveaux tests de dépistage dans la qualification biologique du don (QBD), qui a contribué à réduire le risque résiduel1,2 de façon significative. En effet, depuis la mise en place, en septembre 1971, du premier test de dépistage de l'antigène de surface (HBs) du virus VHB, cinq autres marqueurs ont été introduits : les anticorps dirigés contre les virus VIH-1/2 (1er août 1985), les anticorps dirigés contre l'antigène du noyau (core) du virus de l'hépatite B (1er octobre 1988), contre le virus VHC (1ermars 1990) et contre les virus HTLV-I/II (15 juillet 1991). De même, la recherche d'un taux augmenté de transaminases (ALAT), marqueur indirect d'hépatite virale, a été rendue obligatoire le 15 avril 1988. Les industriels ont aussi contribué de manière permanente à l'amélioration de la performance des réactifs notamment au plan de la sensibilité. Enfin, l'introduction de la déleucocytation systématique des dérivés sanguins a permis d'éliminer le risque de transmission des virus leucotropes, tels que ceux appartenant à la famille des Herpesviridae et des virus HTLV.
Malgré ces mesures préventives, un risque résiduel, certes faible, persiste encore pour ces virus majeurs. Celui-ci est représenté quasi exclusivement par des dons infectieux, collectés pendant la fenêtre de silence sérologique, laquelle correspond à la période comprise entre le contage et l'apparition du marqueur sérologique (antigène ou anticorps) recherché sur les dons de sang. La durée de la fenêtre sérologique est de 56 jours pour le virus VHB, de 66 jours pour le VHC, et de 22 jours pour le VIH-1. D'autres facteurs, certainement exceptionnels, peuvent aussi induire un risque résiduel : l'existence de donneurs dits «immuno-silencieux», qui sont infectés par le VHC, mais ne produisent pas d'anticorps anti-VHC, ou bien de façon très retardée par rapport au schéma classique, jusqu'à 28 mois chez un donneur de sang en France ;3 l'existence de variants viraux dont les marqueurs ne seraient pas détectés par les tests de dépistage utilisés en routine, et la survenue d'une erreur de laboratoire conduisant à rendre un résultat négatif pour un don qui en réalité est positif.4Ce risque est estimé depuis 1994, grâce aux données du groupe de travail «Agents Transmissibles par Transfusion» de la Société française de transfusion sanguine, et de l'Institut de veille sanitaire, à partir d'un modèle mathématique établi par Schreiber et coll., qui tient compte des taux d'incidence de chaque infection chez les donneurs de sang, ainsi que de la durée de la fenêtre sérologique. Sur la période la plus récente publiée (1997-1999), ce risque était de 1/457 000 pour le VHB, de 1/700 000 pour le VHC et de 1/1 750 000 pour le VIH-1. Ainsi, sur la base d'un effectif de 2,5 millions de dons collectés en France en 1998, le nombre de dons qui échapperait chaque année aux tests de dépistages sérologiques, serait de 5,5 VHB, 3,6 VHC, 1,5 VIH-1, soit un total de dix dons environ, tous virus confondus. Le risque résiduel lié au VHB, en dépit de la vaccination d'une partie des donneurs, demeure le plus important du fait de sa prévalence élevée dans la population générale. En revanche, le risque clinique pour le receveur de produits sanguins labiles (PSL) de contracter une infection sévère est plus important pour le VHC et le VIH-1 que pour le VHB, puisque 95% des sujets contaminés guérissent de cette infection. Il est important de noter cependant, que ce risque a diminué de manière constante, de 60% pour le VHB ainsi que pour le VHC, entre 1995 et 1999 (tableau 1). Comparé aux autres incidents transfusionnels recueillis par le Réseau d'hémovigilance français, le risque de transmission viral par les produits sanguins labiles est aujourd'hui bien inférieur à celui dû aux erreurs de groupes ABO (1/100 000 PSL) ou aux incidents bactériens lorsque des mélanges de concentrés plaquettaires ou de concentrés plaquettaires d'aphérèse sont transfusés.
L'extension des outils sérologiques tels que l'introduction des nouvelles trousses combinées de dépistage de l'antigène p24 et des anticorps anti-VIH-1/2, et pour le VHC, de l'antigène de capside, que la vaccination de la population générale contre l'hépatite B, et la mise en place de procédés d'inactivation virale au cours de la fabrication des produits sanguins, sont autant de moyens permettant de renforcer la sécurité transfusionnelle.
Cependant, l'arrivée des nouvelles technologies basées sur la biologie moléculaire a permis depuis peu d'envisager le dépistage de génomes viraux (DGV).
Deux catégories de produits sanguins sont utilisées en thérapeutique : les produits sanguins labiles (PSL), qui sont les concentrés érythrocytaires, plaquettaires et granulocytaires ainsi que le plasma frais congelé, et les dérivés stables issus du fractionnement du plasma (albumine, immunoglobulines et facteurs de coagulation) et qui sont considérés désormais comme des médicaments. En 1995, l'observation d'une transmission du virus de l'hépatite C (VHC) par des immunoglobulines intraveineuses5 a conduit l'Institut allemand Paul Erlich à recommander le dépistage de l'ARN du virus VHC dans les pools de plasma destinés au fractionnement de ces immunoglobulines. Par la suite, l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (CPMP) a étendu cette recommandation à tous les dérivés plasmatiques, et depuis le 1er juillet 1999, seuls les lots de médicaments d'origine humaine, fabriqués à partir de pools de plasmas «ARN-VHC négatifs», peuvent être mis sur le marché. Cette mesure de précaution pourrait être jugée superflue en raison de l'application de procédés visant à inactiver tous les virus enveloppés. Cette décision a soulevé la question de la pertinence du dépistage de génomes viraux (DGV) sur les dons de sang pour renforcer la sécurité transfusionnelle des PSL. En effet, le risque de transmission virale est différent pour ce type de produits du fait de l'absence de procédés validés permettant d'inactiver les virus. Ainsi, cette mesure place les professionnels de santé en amont (EFS, Etablissement de santé, prescripteurs de PSL) dans une position délicate vis-à-vis des patients transfusés et détectés a posteriori.
Le DGV est-il garant d'une sécurité maximale ? L'étude par des techniques de biologie moléculaire de nombreux panels, comprenant des échantillons séquentiels de sujets prélevés pendant la fenêtre de préséroconversion, a permis de montrer que le DGV réduisait mais ne fermait pas totalement la fenêtre. La réduction est conséquente pour le VHC (de 90%), elle est de 50% pour le VIH, et de 45% pour le VHB (tableau 2). Le nombre de dons supplémentaires dépistés par le DGV serait d'environ 60% par rapport aux tests de sérologie virale. Ces résultats ont conduit Schreiber et coll. à proposer deux phases pour la fenêtre sérologique (tableau 3) : la première, appelée «éclipse», comprise entre la contamination et l'apparition de l'ARN du VHC, au cours de laquelle la réplication virale peut être démontrée dans la cellule hôte mais non dans la circulation générale, et une deuxième phase «virémique», comprise entre l'apparition du marqueur moléculaire et du marqueur sérologique, au cours de laquelle le génome viral devient détectable. La question est de savoir si la phase éclipse est contagieuse pour l'homme. Les charges virales dans la phase virémique ont pu être précisées : celles-ci sont comprises entre 102 et 104 copies/ml pour le VHB dont le temps de doublement est quatre jours, lequel est de quelques heures pour le VHC avec des charges virales beaucoup plus élevées allant de 105 à 107 copies/ml. Enfin, pour le VIH, les charges virales détectées vont de 102 à 107 copies/ml et le temps de doublement est d'un jour environ. Il importe donc que les tests de biologie moléculaire utilisés pour dépister les génomes viraux sur les dons de sang soient en mesure de dépister les niveaux de charges virales mises en évidence dans la phase virémique.
Les techniques de biologie moléculaire ont émergé dans le laboratoire de recherche au cours des années 1970. C'est la description en 1985 de la polymerase chain reaction (PCR) par K.B. Mullis6 qui a permis de les appliquer à de nombreux domaines de la biologie clinique. A ce jour, deux industriels, Roche Diagnostics et Chiron/GenProbe, ont développé des réactifs adaptés à la transfusion sanguine : AmpliScreen HCV et AmpliScreen HIV-1 pour la firme Roche, basés sur la PCR et le test multiplex HCV/HIV-1 pour Chiron/GenProbe, exploitant la transcription mediated amplification (TMA). L'intérêt de ces techniques réside dans leur puissance, car elles permettent dans un temps très court, d'amplifier un million, voire un milliard de fois une séquence d'acide nucléique viral dont on ne possède qu'une quantité infime, ce qui permet ensuite de les détecter par les techniques courantes de biologie moléculaire. Le DGV sur les dons de sang nécessite de disposer non seulement de tests sensibles et spécifiques, mais qui doivent être réalisés par des automates capables de traiter un nombre important d'échantillons et de garantir une traçabilité totale depuis le dépôt de l'échantillon sur l'automate jusqu'au rendu du résultat. La durée de la réaction doit être compatible avec le délai de conservation de PSL tels que les concentrés plaquettaires. Il convient donc d'automatiser les trois étapes classiques des techniques de biologie moléculaire que sont l'extraction des acides nucléiques, l'amplification génomique et la détection des produits amplifiés. Un automate réalisant ces trois phases de bout en bout n'est pas encore disponible, mais différents outils existent pour chaque phase du processus. La faible cadence des systèmes disponibles aujourd'hui n'est pas compatible avec le dépistage unitaire d'un grand nombre d'échantillons (700 à 1500 dons/jour en moyenne) comme ceci est le cas pour les quatorze plateaux techniques de la France métropolitaine. Le poolage préalable des dons est donc la seule solution accessible pour un dépistage de masse. De plus, la stratégie des pools devrait réduire le coût du dépistage, malgré une faible baisse de la sensibilité et une augmentation de la complexité opérationnelle.
Dès 1995, l'Agence française du sang (AFS), dans le cadre de la veille scientifique et technique des mesures susceptibles de renforcer la sécurité transfusionnelle, a mené, en liaison avec différents groupes de travail, une réflexion sur l'apport des techniques de DGV dans le cadre de la QBD. En complément de la réflexion théorique, l'AFS avait souhaité tester la faisabilité d'une méthodologie de dépistage des acides nucléiques du VHC sur des pools de dons. Cette étude avait été confiée aux Etablissements de transfusion sanguine de Nord- Pas-de-Calais (site de Lille) et de Languedoc-Roussillon (site de Montpellier). Cette première étude permit de démontrer la faisabilité du DGV en usage de routine.7 Toutefois, les experts ne s'étaient pas prononcés en faveur de l'introduction du DGV estimant que le coût/efficacité était très élevé pour un bénéfice modeste et que la seule technologie alors disponible pour le dépistage de masse manquait de robustesse. En revanche, ils recommandaient, compte tenu des développements de nouvelles technologies en cours et de l'introduction du DGV au niveau international, de maintenir une veille technologique et scientifique. En février 1999 cependant, les autorités sanitaires firent part de leur position en faveur de l'introduction du DGV dans la qualification biologique des dons, de façon à permettre sa généralisation dans le courant de l'an 2000. L'EFS a donc décidé de conduire de nouvelles études et d'évaluer l'impact de la mise en uvre du DGV en transfusion. Cette mission fut confiée à un Comité de pilotage composé d'experts en informatique, en qualité, en biologie moléculaire et en virologie. Les objectifs étaient d'évaluer : 1) les performances analytiques des différentes solutions techniques disponibles ; 2) la faisabilité en termes d'impact et de contraintes sur la chaîne transfusionnelle ; 3) proposer la ou les solutions techniques les mieux adaptées au réseau transfusionnel ; 4) préparer la généralisation du DGV sur les aspects techniques et organisationnels. Cette étude, réalisée au cours du premier trimestre 2000, a permis de faire «tomber des tabous» en démontrant l'absence de contamination des laboratoires par les produits d'amplification et ce malgré l'utilisation à grande échelle des techniques de biologie moléculaire.8D'autre part, l'impact sur la disponibilité des PSL était relativement mineur. C'est pourquoi le DGV pourra être opérationnel en France sur tous les dons de sang en juillet 2001.
En Europe, le DGV est systématique depuis 1999 en Allemagne et au Luxembourg pour les trois virus VHB, VHC, VIH-1, et aux Pays-Bas pour le VHC et le VIH-1. Des études de faisabilité sont en cours en Belgique, en Espagne, au Portugal, en Italie ainsi qu'en Grèce. Dans le reste du monde, le DGV est pratiqué en routine aux Etats-Unis depuis mars 1999 (même si la mesure n'est pas réglementaire), au Canada et plus récemment en Australie. Des évaluations sont en cours au Brésil.
Les autorités sanitaires ont fait part de leur position en faveur de l'introduction du DGV dans la qualification du don de façon à permettre sa généralisation rapide. La priorité devait être accordée à la détection de l'ARN du VHC mais, compte tenu de l'évolution technologique, des investigations devaient être menées pour étendre l'application à d'autres virus. Cette mesure a été dictée dans le souci de faire bénéficier la sécurité transfusionnelle des progrès technologiques dans les délais compatibles avec la réorganisation du réseau transfusionnel prévue pour 2000-2005 et de mettre à la disposition des plateaux techniques les outils les plus modernes et performants.
Ainsi, l'introduction du Dépistage génomique viral comme analyse obligatoire est techniquement réalisable à court terme. Sa mise en place ne remet pas en cause la légitimité des principaux marqueurs sérologiques. Toutefois, il sera nécessaire de s'interroger sur l'intérêt de maintenir certains marqueurs indirects tels que les transaminases et les anticorps anti-HBc du virus de l'hépatite B.