Résumé
Peut-on traiter de l'homosexualité comme de n'importe quel sujet ? L'intention scientifique est-elle suffisante ? Non. D'abord, parce que l'homophobie a un passé et un présent. Il n'est pas innocent que l'on ait discriminé les homosexuels, presque constamment. Impossible de mettre de côté une longue histoire de persécution menée pour motifs religieux, scientifiques ou politiques. Ni, encore moins, le fait que des menaces de retour de bâton se précisent ça et là, essentiellement dans les pays où des gouvernements d'extrême droite, voire fascisants, risquent bien d'arriver au pouvoir. Car ce trait ne manque jamais dans l'idéologie d'extrême droite : en plus de la xénophobie et de l'antisémitisme, l'homophobie. Comme l'émancipation féminine, l'acceptation sociale de l'homosexualité ne représente qu'une fragile victoire de quelques démocraties. Même dans ces démocraties, la tentation anti-différence reste d'une extrême vivacité. Voilà l'arrière-plan. Il ne peut être oublié....Comme expliqué sous la rubrique «Courrier» de ce numéro, nous regrettons, à Médecine et Hygiène, d'avoir publié dans le numéro de sexologie clinique du 21 mars 2001 des propos extrêmes concernant l'homosexualité et dont les buts et les présupposés auraient demandé au moins l'expression d'une position contradictoire.Mais nous ne regrettons pas d'avoir permis à des médecins de clarifier leurs positions sur le sujet, même si nous ne les partageons pas : il nous semble important que d'autres thérapeutes puissent se situer par rapport à ces positions. Comment, selon quel modèle interprètent-ils la sexualité et ses différentes formes ? La question vaut en particulier pour la psychanalyse : considère-t-elle l'homosexualité comme une pathologie ? Bien sûr, dira-t-on, la réponse dépend de l'analyste interrogé. La psychanalyse étant une pratique vivante, traversée par différents courants contradictoires, elle ne fonctionne pas selon un catéchisme universel. D'accord. C'est tout à son honneur scientifique. Mais alors, que ces courants s'expriment ! Rien de pire que le silence discrètement posé sur des ambiguïtés et des sous-entendus. Ce qui est sûr, c'est que la réflexion médicale sur la sexualité ne doit en aucun cas devenir une zone de friche intellectuelle. La non-discrimination des homosexuels n'y gagnerait rien....S'occuper de la souffrance de patients, en psychiatrie, demande de l'empathie, avant tout, et de l'expérience. Mais cela ne suffit pas : une science est aussi nécessaire. Pas moyen d'éviter de penser, comprendre, interpréter et élaborer des modèles. En sexologie, la science pose des questions telles que : quelles sont les causes à l'origine des désirs et des préférences ? comment s'organisent les pathologies et les souffrances ? quel rôle la sexualité joue-t-elle dans la construction de la personnalité ? Et au sein de ces interrogations, il lui faut la liberté de tâtonner. Sans cette liberté, la science devient une croyance comme une autre (voire plus dangereuse que les autres).Mais elle-même, la démarche scientifique doit faire l'objet de vigilance. Avant tout, il faut se méfier de la perversion qui consiste à travestir de vieilles idéologies en leur passant discrètement les habits neufs de la science. C'est pourquoi il importe de demander à la sexologie de mettre à jour ses hypothèses de départ et de s'interroger ouvertement sur elles. Les façons de procéder, les catégories employées, les buts donnés ne sont pas indifférents et eux aussi doivent être dévoilés et discutés. Où sont les préjugés, sachant qu'une théorie scientifique en implique toujours ? Quelles sont les visions de l'humanité qui motivent celui qui parle ? Dès le départ existent des a priori idéologiques, et les jugements moraux trouvés par certains en aval de la recherche découlent en fait de ces a priori. On veut discuter de l'homosexualité ? Alors discutons en profondeur, cartes sur table. Telle doit être l'exigence....Le rôle de la médecine consiste à prendre en charge des personnes souffrantes, non à donner des normes à la société. Pour la psychiatrie, impossible de prétendre hiérarchiser la valeur des comportements par exemple : l'hétérosexualité est plus normale, ou saine, que l'homosexualité sans se soumettre à l'examen d'autres sciences, l'ethnologie et la sociologie entre autres. Ce que montre l'étude des civilisations, à travers les lieux et les époques, c'est que presque tout est culturel de ce qui fait nos comportements, nos valeurs et nos tabous, y compris dans le domaine sexuel. Le recours à la notion de nature ne permet en tout cas pas de créer de la norme.Considérons la sexualité animale. Jamais, dans la nature, un comportement n'est seul à s'exprimer. Loin de se montrer univoque, la nature consiste toujours en une dispersion de manières de faire. Ce qui rend extrêmement problématique la simple transformation de l'attitude majoritaire en norme. Le naturel, c'est la diversité. Mais surtout, plus fondamental encore, la nature de l'humain, pour revenir à lui, consiste à dépasser la nature. Toute l'aventure médicale en témoigne, elle qui repose sur une révolte contre la maladie et la mort, donc contre l'état de nature....Subtile analyse, comme toujours, de Philippe Val, dans Charlie Hebdo du 28 mars, de la tolérance actuelle envers l'homosexualité. Plutôt d'ailleurs que d'une tolérance, voire d'une acceptation, c'est d'une indifférence qu'il s'agit. N'y voyons rien de bien ancré dans les mentalités. C'est en réalité de l'opportunisme. Ça convient bien au libéralisme économique ambiant, l'indifférence : que chacun fasse ce qu'il veut, on s'en fout, pourvu que les gens consomment. L'ennui, c'est que l'indifférence ne règle rien et que les vieux démons gigotent toujours, prêts à remontrer leur nez.Tout cela fait penser à l'attitude de Bush vis-à-vis de la Chine. Spontanément, il aurait aimé rouler les mécaniques et casser du Chinois. Mais à cause des monstrueux intérêts économiques en jeu, il s'est montré doux et conciliant. De même, comme l'écrit Val, «si l'homosexualité a eu la chance de sortir de la marginalité aussi vite, ce n'est, hélas, pas seulement parce qu'un préjugé raciste a été aboli, mais c'est aussi et surtout parce qu'on a reconnu que les homosexuels étaient un marché».«En réalité, la hache de guerre n'est jamais enterrée, poursuit-il. Pas plus que pour l'antisémitisme, pas plus que pour le racisme ordinaire. Un petit coup de vent, voilà les tisons qui rougeoient, et les flammes rejaillissent pour réchauffer les curs gelés par la frustration et le ressentiment».Toute discussion concernant l'homosexualité est difficile ? On y prend des coups, on s'y fait tout de suite esquinter le portrait moral ? Oui, certes. Mais ce n'est pas une raison. Il faut débattre, ne pas se contenter de l'indifférence ou de la communion forcée entre libéralisme économique et liberté morale.