Le récent développement de différents traitements immunomodulateurs dans la sclérose en plaques (SEP) a permis une meilleure compréhension de cette affection, tout en révélant sa complexité et les limites de ces thérapies. Les interférons-b et l'acétate de glatiramère ont un effet, variable selon le type de SEP, sur la fréquence des poussées et pour certains, sur la progression des déficits neurologiques. La reconnaissance, en plus du caractère démyélinisant de la SEP, d'une atteinte de l'axone pouvant survenir dès le début de la SEP et responsable du développement de déficits neurologiques irréversibles implique de nouvelles attitudes thérapeutiques.
La sclérose en plaques (SEP) est la cause la plus fréquente de handicap neurologique chronique chez le jeune adulte, avec une prévalence d'environ 110 pour 100 000 en Suisse. Jusqu'à récemment aucun traitement capable d'éviter la survenue ou la progression des handicaps neurologiques n'était disponible. Le développement, ces dernières années, de nouveaux traitements (interférons-ß, acétate de glatiramère) ont à la fois permis une meilleure compréhension des mécanismes pathogéniques de la SEP et d'influencer favorablement son évolution naturelle. Toutefois, ces développements ont confirmé la complexité de cette affection et mieux défini la place des traitements immunomodulateurs.
Il existe plusieurs types d'évolution clinique de la SEP (fig. 1) ; la majorité des patients (environ 85%) débute la maladie par une forme qui alterne poussées et rémissions. Avec le temps et la répétition des poussées, la récupération des troubles neurologiques est souvent moins complète et il y a fréquemment apparition également d'une progression graduelle des déficits neurologiques, indépendante des poussées. L'évolution naturelle de la SEP se caractérise ainsi pour la plupart de ces patients, après une période moyenne de cinq à quinze ans, par une conversion de la SEP de type poussées-rémissions vers une forme secondairement progressive avec ou sans la persistance de poussées surajoutées. Il existe un sous-groupe de patients qui ont une SEP poussées-rémissions montrant une évolution relativement bénigne, avec peu ou pas de développement d'un handicap neurologique après dix ans ou plus d'évolution ; le diagnostic de «bénignité» ne peut donc se poser que cliniquement et rétrospectivement. Environ 10% des patients présentent une évolution différente, d'emblée progressive (SEP de type primairement progressif), sans aucune poussée.
Plusieurs traitements immunomodulateurs sont à ce jour disponibles, les interférons-ß 1b (Betaferon ®) et -ß 1a (Avonex ®, Rebif ®), l'acétate de glatiramère (Copaxone ®), qui ont un effet sur la fréquence des poussées et, pour certains, sur la progression des déficits neurologiques et qui sont susceptibles, à long terme, de modifier le cours naturel de la SEP.
La SEP est généralement connue comme une maladie inflammatoire chronique démyélinisante du système nerveux central (SNC). Il est cependant, depuis récemment, mieux reconnu qu'elle atteint non seulement la myéline et les oligodendrocytes du SNC mais également l'axone.1 Les trois stades cliniques, poussées-rémissions avec récupération complète des déficits, poussées-rémissions avec un handicap ou déficit neurologique persistant après les poussées, et phase progressive, correspondent à des images pathologiques différentes. Le premier est le reflet surtout d'une inflammation avec migration de lymphocytes activés depuis le sang périphérique dans le SNC, le second celui d'une démyélinisation avec une inflammation et une réparation limitées, et le troisième celui d'une démyélinisation avec une prolifération des astrocytes et une atteinte axonale conduisant à une dégénérescence axonale. Il existe une importante hétérogénéité dans la pathogenèse des lésions SEP.2L'observation de matériel issu de biopsies et d'autopsies fait en effet suspecter différents mécanismes pathogéniques, démontrant soit la prévalence d'une réaction immune, médiée par les lymphocytes T ou par la présence d'anticorps démyélinisants, soit une atteinte primaire des oligodendrocytes (dystrophie ou dégénérescence primaire). Cette hétérogénéité pathogénique des lésions ou «plaques» a potentiellement des implications thérapeutiques importantes, d'autant plus que les patterns de démyélinisation semblent homogènes entre les différentes lésions actives chez un même patient à un temps donné mais diffèrent entre les patients. Aux stades précoces de la SEP, il y a de nombreux oligodendrocytes dans les lésions démyélinisées, la remyélinisation est rapide et peut être complète (faible perte d'oligodendrocytes, possibilité de recrutement d'oligodendrocytes à partir d'un pool de cellules progénitrices). Aux stades chroniques de la SEP, les plaques restent démyélinisées en permanence, avec un faible potentiel de remyélinisation (perte d'oligodendrocytes, faible recrutement de cellules progénitrices).
La densité axonale est anormale dans toutes les plaques, la perte axonale étant influencée par l'intensité de la réaction inflammatoire. Les lésions SEP peuvent suivre deux types d'évolution : 1) la récupération, lors de lésions actives avec ou sans poussée clinique, repose sur la résolution de l'inflammation et de l'dème, sur une réorganisation des canaux Na+sur les axones démyélinisés et sur une remyélinisation ; 2) l'inflammation conduit à une démyélinisation, avec des transections axonales qui peuvent apparaître dès le début de la SEP et, plus tardivement, une dégénérescence axonale (dégénérescence wallérienne secondaire). Cette atteinte axonale est irréversible et si, dans la phase initiale de la maladie, une compensation clinique est possible, celle-ci devient graduellement insuffisante et il se développe un handicap ou un déficit neurologique irréversible et permanent (conversion SEP poussées-rémissions vers une SEP secondairement progressive). Un but important des traitements serait donc de prévenir l'évolution vers ce stade irréversible.
Les traitements actuellement disponibles permettent, dans la SEP poussées-rémissions, une réduction du nombre (jusqu'à 37%)3 et de la sévérité des poussées avec un effet comparable pour les interférons-ß 1b et -ß 1a ainsi que pour l'acétate de glatiramère, ceci restriction faite de données comparables en ce qui concerne les caractéristiques des groupes de patients étudiés (handicap neurologique). Il apparaît toutefois que la dose administrée, en ce qui concerne les interférons-ß, jouerait un rôle dans la réponse thérapeutique.3,4,5,6 Ces résultats sont confortés par les analyses par résonance magnétique (IRM) cérébrale qui montrent un effet positif sur le nombre de lésions actives et sur l'évolution de la surface lésionnelle totale (T2).7,8 Un certain ralentissement de la progression du handicap neurologique, mesuré par l'échelle EDSS (Expanded Disability Status Scale) de Kurtzke, a également pu être obtenu et paraît influencé par la dose d'interféron-ß administrée (3, EDSS 0-5,0 ; 7, EDSS 1,0-3,5) ; les résultats à deux ans de l'étude PRISMS3 montrent en effet que le temps pour atteindre une progression confirmée sur l'échelle EDSS (progression confirmée d'au moins un point) était de 11,9 mois pour le groupe placebo, de 18,5 mois pour le groupe sous interféron-ß 1a (Rebif ®) 3 x 22 µg/semaine et 21,3 mois pour le groupe sous 3 x 44 mg/semaine, cet effet étant maintenu après quatre ans avec une prépondérance pour le dernier groupe.
Des résultats discordants ont été obtenus sans la SEP secondairement progressive.6,10,11,12 Une première étude (interféron-ß 1b, Betaferon ®, étude européenne),10 avait montré, sur une durée de deux à trois ans, un délai dans la progression du handicap neurologique (EDSS) de neuf à douze mois. Cependant, les résultats préliminaires de deux autres études (interféron-ß 1b, groupe nord-américain, et -ß 1a, Rebif ®) n'ont pas pu montrer d'efficacité similaire, faisant suspecter, en analysant les disparités entre les groupes de patients considérés dans les trois études, l'importance de la persistance d'une activité inflammatoire de la SEP (par exemple, persistance de poussées) pour que ces traitements restent efficaces, ainsi que probablement un effet négatif de la durée de la SEP et de la phase progressive lorsque le traitement est initié.
Il apparaît donc, pour un effet à long terme, que la préservation des axones et des oligodendrocytes de dommages irréversibles devrait être l'un des premiers buts des traitements appliqués dans la SEP. Dans cette optique, deux études récemment terminées testant l'effet de l'interféron-ß 1a (études CHAMPS,13 Avonex ® 1 x 30 µg/semaine et ETOMS,14 Rebif ® 1 x 22 µg/semaine) après une poussée unique de SEP, ont montré que des dosages, même minimaux, peuvent, pour certains patients tout au moins, retarder l'apparition d'une seconde poussée. Il faut souligner que les dosages utilisés dans ces études sont inférieurs à ceux qui ont prouvé avoir une meilleure efficacité clinique et IRM dans d'autres essais cliniques.3 Toutefois, l'effet étant modéré (taux de conversion à deux ans, respectivement dans le groupe placebo et traité, de 45% et 34% pour le Rebif ® et, à trois ans, de 50% et 35% pour l'Avonex ®), ce type d'intervention thérapeutique devrait, pour l'instant, être réservé aux patients ayant des facteurs de pronostic défavorable d'emblée, par exemple une présentation polysymptomatique (atteinte de plusieurs systèmes neurologiques), une poussée sévère ou avec une récupération partielle, une surface lésionnelle en IRM-T2 importante ; ces critères ne sont qu'indicatifs et il sera important de les ajuster en fonction des résultats complémentaires des études CHAMPS et ETOMS sur l'évolution à plus long terme de ces patients et sur l'évolution du handicap neurologique (EDSS).
De nombreuses questions restent ouvertes telles que le moment optimal de l'initiation des traitements immunomodulateurs aujourd'hui disponibles, l'effet du dosage d'interféron-ß ainsi que la dose optimale à administrer, la définition du moment de l'arrêt de ces traitements et donc de leurs limites d'action.
Faut-il traiter précocement ? Il y a un avantage théorique d'initier un traitement lorsque l'atteinte axonale débute. Des transsections axonales survenant dès le début de la SEP, durant des périodes cliniquement silencieuses, cela implique que l'initiation d'un traitement ne devrait pas être basée sur la sévérité ni sur le stade clinique de la SEP, mais surtout avoir pour but une prévention des «inflammations» successives et cumulées, responsables de lésions axonales, et qui peuvent résulter, à long terme, dans le développement d'un handicap neurologique permanent. En effet, des traitements capables de réduire l'inflammation (par exemple durant les premiers stades de la SEP), une des sources de perte axonale, auraient potentiellement la capacité de ralentir ou d'enrayer la progression de la maladie.
La discordance des résultats obtenus dans la SEP secondairement progressive doit attirer notre attention sur les limites d'efficacité des traitements d'interféron-ß dans des stades plus évolués de la SEP (pathogénie différente de ce qu'elle était dans la phase initiale évoluant par poussées et rémissions) et donc renforcer une attitude thérapeutique agressive tôt dans l'évolution de la SEP. Toutefois, la mise en route d'un traitement, surtout précocement, doit être mûrement évaluée et tenir compte des risques d'évolution des patients individuels et des résultats escomptés pour chaque patient, ceci en fonction des effets obtenus dans les études en double-aveugle.6,12 Ces derniers, de par leurs limites, démontrent qu'il n'y a certainement pas une réponse thérapeutique unique dans la SEP, comme les analyses pathogéniques des lésions de SEP le laissent fortement suspecter.2