En moyenne, 300 cas de paludisme sont déclarés chaque année en Suisse dont deux à trois décès. La grande majorité de ces cas sont la conséquence d'une insuffisance ou absence de mesures de précaution prises pendant le voyage malgré la disponibilité de médicaments préventifs efficaces. Cet article résume les indications et modalités de la prescription de médicaments antimalariques actuellement recommandées en Suisse. Les efforts doivent se concentrer sur une meilleure diffusion de l'information, afin d'offrir un plus large accès à toutes les catégories de voyageurs, et sur l'amélioration de la qualité de cette information.
Depuis 1988, environ 300 cas de paludisme (année 2000 : 322 cas) et deux à trois décès sont déclarés chaque année en Suisse.1 Ces chiffres ne représentent probablement que la moitié des cas effectivement observés en Suisse.2 Les 10 000 cas déclarés chaque année dans les pays industrialisés ne représentent également que 30 à 60% du nombre réel de cas.3,4 C'est dire l'importance que représente toujours cette maladie à potentiel mortel pour les voyageurs suisses dont plus d'un million se rend dans un pays tropical chaque année.5 Si le nombre total de cas déclarés de paludisme reste constant, la figure 1 illustre la proportion croissante de voyageurs étrangers atteints. Ceci reflète le plus probablement une prise de prophylaxie antimalarique moins fréquente liée à un sentiment personnel de protection dû aux années passées en zone endémique et à un accès moindre à une consultation spécialisée avant le voyage.
Le Plasmodium falciparum est l'espèce prédominante suivie de P. vivax. Dans plus des deux tiers des cas, le paludisme a été contracté en Afrique, où la proportion due à P. falciparum est encore plus forte.
Les recommandations en matière de prévention du paludisme ont été récemment mises à jour par le Groupe suisse de travail pour les conseils médicaux aux voyageurs et seront intégralement publiées en 2001 dans un bulletin de l'OFSP. Cet article résume les principes de base, incluant quelques nouveautés, de la prévention du paludisme.
Donner une information simple et claire au voyageur est essentiel si l'on veut obtenir une compliance optimale, quelle que soit la prévention proposée. Cette vérité n'est pas si évidente à mettre en pratique au vu des nombreuses sources, parfois divergentes, auxquelles le voyageur a accès. Il conviendra donc d'apporter des messages clairs, qui n'occultent pas la possibilité d'effets secondaires des médicaments par exemple, mais qui les mettent en perspective avec les risques d'absence de protection contre le paludisme.
Quelle que soit la destination en zone d'endémicité palustre et quel que soit le type de prévention médicamenteuse prescrite, le voyageur doit se protéger des moustiques dès la tombée du soleil. Les anophèles qui transmettent le paludisme sont actifs le soir et la nuit. Il s'agit d'éviter les piqûres par le port de vêtements longs, l'utilisation de repellents sur la peau et, le plus important, de moustiquaires (si possible imprégnées d'insecticides) si la nuit n'est pas passée dans une chambre climatisée ou disposant de fenêtres grillagées.
Lors d'un voyage dans un pays où la malaria est endémique, les recommandations sont établies en fonction du risque d'acquérir le paludisme, de l'espèce de Plasmodium prédominant, du niveau de résistance des souches de P. falciparum et des risques d'effets indésirables avec les médicaments antimalariques proposés. Ainsi, lorsque le risque de transmission est élevé, une chimioprophylaxie (chimiosuppression) est proposée pendant et après le séjour en zone d'endémie. Lorsque le risque est faible, un traitement de secours, à prendre en cas d'apparition d'un état fébrile, est recommandé. Une carte (annexe) résumant les stratégies proposées selon les pays ou régions ainsi que les posologies des différents médicaments antimalariques est disponible. Ces informations sont également disponibles sur le site Internet www.safetravel.ch. Des informations plus détaillées sont disponibles sur www.tropimed.ch mais l'accès à ce site nécessite un abonnement payant. Pour conseiller les voyageurs au long cours (> 3 mois), il est préférable d'obtenir l'avis d'un spécialiste en médecine tropicale ou d'un centre de consultation des voyageurs.
L'objectif de la chimioprophylaxie, ou chimiosuppression pour être plus exact, n'est pas de prévenir l'infection mais d'en empêcher son expression clinique par une suppression du développement de la phase érythrocytaire. C'est une stratégie très efficace si elle est correctement prescrite et suivie, particulièrement contre P. falciparum, responsable des accès palustres compliqués. En raison d'une période d'incubation plus lente et de l'absence d'efficacité des médicaments actuellement prescrits sur la phase de développement hépatique (pré-érythrocytaire), une crise de paludisme à P. ovale, P. vivax ou P. malariae peut survenir plusieurs mois après l'arrêt de la prophylaxie. Rappelons encore que pour la période 1995-1996, 87% des 300 cas annuels de paludisme déclarés ont résulté de l'absence d'une prophylaxie correcte.6
Lorsque le risque de transmission est élevé, essentiellement causé par des souches de P. falciparum résistant à la chloroquine, une chimioprophylaxie avec de la méfloquine (Lariam®, Méphaquine®) est proposée.7 C'est le cas en Afrique subsaharienne, dans certaines îles indonésiennes (îles de la Sonde à l'est de Lombok), Timor, la Nouvelle-Guinée (Papouasie et Irian Jaya), les îles Salomon et certaines régions reculées d'Amazonie brésilienne. A noter qu'une chimioprophylaxie n'est plus nécessaire pour les îles Vanuatu (ex-Nouvelles-Hébrides).
La proportion de P. falciparum dans les cas de paludisme importés d'Inde ayant dépassé les 30% en moyenne depuis 1994 en Suisse, il a été décidé d'inclure les régions de l'Inde au nord de la ligne Goa-Madras (incluant la plaine du Teraï au Népal et le Bangladesh) dans les zones où une prophylaxie efficace contre des souches potentiellement résistantes à la chloroquine s'avère nécessaire. Une prophylaxie de méfloquine est donc recommandée pour ces régions pour tout séjour d'une durée supérieure à une semaine.
Dans les provinces de Trat et Tat en Thaïlande (régions frontalières avec le Cambodge et la Birmanie), où P. falciparum peut être également résistant à la méfloquine, la doxycycline (100 mg/jour) est recommandée en prophylaxie. Rares sont les voyageurs qui s'aventurent dans ces régions. La doxycycline est contre-indiquée chez la femme enceinte et chez les enfants de moins de huit ans et peut causer des effets indésirables tels que dermite par photosensibilité, troubles gastro-intestinaux ou vaginite.8
En cas d'intolérance ou de contre-indication (antécédents d'épilepsie ou de troubles psychiatriques), les alternatives à la méfloquine en chimioprophylaxie sont l'association chloroquine (Nivaquine®)-proguanil (Paludrine®), également disponible dans une seule préparation (Savarine®), ou la doxycycline. L'association chloroquine-proguanil confère une protection moins efficace que la méfloquine en Afrique de l'Est.9
L'association atovaquone-proguanil (Malarone®) s'est révélée efficace et sûre en prophylaxie chez des patients immuns ainsi que chez des voyageurs non immuns.10,11 Possédant une activité causale, c'est-à-dire une activité contre la phase hépatique de développement de P. falciparum, la Malarone®peut être stoppée sept jours seulement après le retour de la zone endémique. Une fois enregistrée par l'OFSP pour cette indication, dans un avenir proche espérons-le, elle constituera une excellente alternative à la méfloquine ou à la doxycycline pour des séjours de courte durée. Son inconvénient est son prix élevé (Fr. 145.80 pour un séjour de deux semaines).
Lorsque le risque de transmission du paludisme est faible, un traitement de secours est proposé au voyageur. Ce traitement de secours n'est à prendre que si une consultation médicale sur place se révèle impossible dans un délai de 24 heures ou si les moyens diagnostiques mis en uvre sur place sont inexistants ou peu fiables. La prise du traitement ne dispense pas de la consultation médicale dans les plus brefs délais afin de s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une autre affection (fièvre typhoïde, dengue, etc.) Le choix du traitement de secours dépend avant tout du profil de résistance de P. falciparum dans le pays visité :
1. Chloroquine : la dernière région où la chloroquine peut être prescrite de manière sûre est l'Amérique Centrale du Mexique au Panama ainsi que la République dominicaine et Haïti.
2. Méfloquine : la méfloquine est prescrite pour les régions où P. falciparum est fréquemment ou toujours résistant à la chloroquine : Amérique du Sud (à l'exception du Chili, de l'Argentine, du Paraguay, de l'Uruguay et de la côte est du Brésil), Moyen-Orient jusqu'au Pakistan inclus, Inde au sud de la ligne Madras-Goa, Sri Lanka, Indonésie à l'exception des zones précitées, Philippines et Vanuatu.
3. Les associations atovaquone-proguanil (Malarone®) ou artéméther-luméfantrine (Riamet®) : ces deux médicaments ont été récemment enregistrés en Suisse pour le traitement des crises de paludisme à P. falciparum non compliquées acquis en Asie du Sud-Est (Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam, Birmanie) où la résistance à la méfloquine est répandue. Une résistance de P. falciparum à ces nouveaux médicaments n'a pas encore été décrite et ils constituent donc le traitement de secours de premier choix pour cette région.12,13Ils constituent également une excellente alternative à la méfloquine en cas d'intolérance connue ou de contre-indication.
La morbidité et la mortalité de la malaria sont plus élevées chez la femme enceinte. La méfloquine peut être prescrite dès le deuxième trimestre mais pas pendant le premier trimestre en raison de l'absence de données certaines d'innocuité pour cette période. Néanmoins, en cas de grossesse se déclarant sous traitement prophylactique de méfloquine, il n'y a pas d'indication à une interruption de grossesse. L'alternative reste l'association chloroquine-proguanil (pour la prophylaxie uniquement). Pour le traitement de secours, on peut prescrire du sulfate de quinine, mais ce dernier implique un traitement d'une semaine. Il est donc particulièrement important d'insister sur la nécessité d'une consultation médicale en cas d'épisode fébrile. La Malarone® et le Riamet®sont pour l'instant contre-indiqués chez la femme enceinte.
Malgré des efforts considérables d'information des praticiens et des voyageurs, le paludisme reste une pathologie relativement fréquente et qui tue chaque année en Suisse. Elle concerne essentiellement des voyageurs qui n'ont pas pris de mesures de prévention. Les médicaments efficaces existent et les efforts doivent être axés sur leur utilisation correcte. La compliance à ces traitements sera facilitée par une information claire et complète. Il est nécessaire de trouver de nouvelles stratégies pour que les mesures de prévention atteignent plus efficacement les résidents étrangers, dont certains proviennent de régions d'endémie, qui probablement sous-estiment le risque de contracter le paludisme lors d'une visite au pays.