«L'expertise psycholégale, balises méthodologiques et déontologiques» publié sous la direction de Louis Brunet aux Presses de l'Université du Québec, 1999. ISBN 2-7605-1016-6.Dans le contexte actuel d'une demande croissante d'expertises psychiatriques, comme cela semble se confirmer, tant Outre-Atlantique que dans nos contrées, un ouvrage entièrement consacré à ce domaine paraît particulièrement bienvenu. Louis Brunet, psychologue, psychanalyste, professeur au Département de psychologie à l'Université du Québec à Montréal (UQUAM), et ses collaborateurs ont traité de façon systématique le domaine spécialisé et complexe de l'expertise psycholégale. Cet ouvrage, au-delà des particularités du système judiciaire canadien (et même québécois), sera utile à plus d'un psychiatre ou psychologue amené à pratiquer des expertises, en particulier d'enfants et d'adolescents en raison de la rigueur de ses développements.Une telle somme de renseignements présente un double intérêt : celui de poser le problème de la formation des experts dans le champ de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie et celui, non moins complexe, de la société dans laquelle s'inscrit une telle demande.Pour les auteurs, il s'agit avant tout de promouvoir une formation rigoureuse qui permette une réponse sans délai susceptible de nuire aux intérêts de l'expertisé, comme cela peut être le cas pour les questions relatives au Droit de la famille, les expertises de garde et de droit de visite ou pour celles, plus aiguës, relatives aux allégations de sévices sexuels et de maltraitance.Dans leur première partie, les auteurs décrivent le cadre au sein duquel le psychologue expert en vient à exercer. Il faut relever ici l'usage, répandu au Québec comme dans le continent nord-américain, du recours croissant aux psychologues cliniciens en tant qu'experts et noter que ce type de pratique tend à apparaître dans notre contexte. Il n'est donc pas surprenant que cet ouvrage soit rédigé par des psychologues et non par des psychiatres. Ces psychologues de formation sont ainsi amenés à pratiquer en tant qu'experts souvent à titre privé, et leurs qualifications n'en sont que plus essentielles. Les auteurs insistent sur la nécessité de la formation spécifique de l'expert ou du psychologue conseil, sur son intégrité, sa crédibilité, prémisses de la fiabilité de ses conclusions. L'expert se présente pour répondre aux questions qui lui sont posées et non pour argumenter, tout en proposant un portrait «objectif» de la situation évaluée. Les règles élémentaires de neutralité de l'opinion de l'expert, de l'importance de bien connaître et respecter la nature de son mandat sont rappelées, en regard de problèmes de procédure et du respect du secret professionnel, en particulier la question du témoignage forcé du psychologue et les difficultés dues à la multiplicité des interventions d'experts différents. Sont soulignées les attaques auxquelles sont exposés les experts qui ont désormais à faire face à «la stratégie de la plainte disciplinaire et de la poursuite civile» : de quoi décourager tout expert qui n'aurait pas pris soin de la spécificité de son propre cadre de formation et d'action. Au Québec en effet, les auteurs décrivent une forte augmentation des plaintes dirigées contre les experts psycholégaux, expliquée en partie par leur manque de formation et d'expérience. La légitimité du psychologue comme expert est exposée, en tenant compte de considérations déontologiques et éthiques. Cette question est d'actualité dans la mesure où l'expertise est de plus en plus souvent réalisée par des psychologues et non sous l'égide d'une déontologie médicale.Les chapitres successifs du livre sont ainsi consacrés de façon exhaustive aux considérations éthiques, déontologiques et méthodologiques liées aux différents champs d'expertise, assortis d'exemples utiles au praticien.Dianne Casoni, psychologue, psychanalyste, professeur de criminologie à l'Université de Montréal, insiste sur ce qui lui paraît être la seule position épistémologique possible : accepter la prééminence de l'inconnu sur le connu, dans notre approche de l'être humain. Il en est ainsi dans les allégations d'agression sexuelle : l'expert ne peut se poser en «devin», ni émettre de certitude, mais ses connaissances lui permettent de décrire les enjeux spécifiques liés à une situation, qui peuvent être déterminants pour l'évaluation demandée.Ces positions peuvent être mises en regard avec un article récent de Paul Denis,1 psychiatre psychanalyste, membre de la Société psychanalytique de Paris, auteur de nombreux ouvrages théoriques et cliniques, concernant la perte progressive, dans nos sociétés, de l'espace privé, la «privacy» des anglophones, qu'il traduit avec humour et culture par le terme ancien de «privité». Avec la perte des structures familiales traditionnelles, le domaine intime, la sexualité, jusque-là réservés à l'espace privé de la famille, tend à passer au domaine public, dans la foulée de l'affadissement des limites constituées entre sexes et générations, au gré de la dénonciation des sévices sexuels ou de la mise à découvert des particularités sexuelles de tout un chacun. Le sens et les limites de l'identité sexuelle et sociale, comme le sens profond de la qualité de citoyen tendent à se perdre, la «côtoyenneté» (du verbe côtoyer), signale Paul Denis, remplace la citoyenneté. Si la qualité de citoyen doit être redéfinie, il devient tout aussi urgent de préciser l'identité du psychanalyste, et c'est dans cette discussion que l'ouvrage de Brunet, s'inscrit également.Au-delà de ses aspects descriptifs, ce traité plaide pour la préservation de l'identité thérapeutique, distincte de celle de l'expert, dans un monde, qui est aussi notre monde médical, où l'espace du secret, comme ne manque pas de le remarquer Paul Denis, est constamment menacé. 1 Denis P. Malaise dans la privité. Revue Internationale de Psychologie 2000 ; 6 : 139-50.