Les tumeurs stromales gastro-intestinales, auparavant classées comme léiomyome ou léiomyosarcome en fonction de leur malignité, sont des tumeurs d'origine mésenchymale. Bien qu'elles puissent montrer une différentiation musculaire lisse, il est apparu, avec les progrès réalisés dans l'analyse immunohistochimique et moléculaire, que ces tumeurs ont la particularité d'être c-kit (CD117) positive, contrairement aux vrais léiomyomes et léiomyosarcomes. Elles se retrouvent tout au long du tube digestif. Leur traitement est chirurgical. Actuellement, si l'entité des tumeurs stromales est bien définie, il subsiste des incertitudes quant à leur classification selon leur degré de malignité impliquant un suivi à long terme de tous les patients. Le but de cet article est de revoir l'approche thérapeutique des tumeurs stromales digestives et de clarifier la prise en charge après traitement chirurgical de ces patients.
Les tumeurs stromales du tube digestif, anciennement classifiées comme : léiomyome, léiomyosarcome ou léiomyoblastome, sont d'origine mésenchymale. Ces tumeurs dérivent probablement d'une cellule intestinale précurseur (Intestinal Mesenchymal Precursor Cell) qui est la cellule dont dérive les cellules de Cajal.1,2 Les tumeurs stromales ont un spectre clinique large allant de complètement bénignes à hautement malignes. Leur classement en tant que tumeurs bénignes ou malignes restait difficile et leur évolution clinique post-traitement était souvent imprévisible contredisant souvent la classification histopathologique. Le développement des méthodes d'analyses morpho-pathologique et biologique ont permis, ces dernières années, de définir une entité distincte permettant de réunir les tumeurs stromales d'origine mésenchymale sous le terme de GIST (Gastro-Intestinal Stromal Tumors).1 En effet, les GIST ont la particularité d'être c-kit positive (marqueur immunohistochimique du CD117), ce qui n'est pas le cas des vrais léiomyomes ni des vrais léiomyosarcomes.1 Ainsi les tumeurs stromales, c-kit positive, sont actuellement classifiées comme GIST.3Ces progrès dans les méthodes diagnostiques ont permis de définir différents critères pouvant nous aider à classer ces tumeurs. Mais l'évaluation du potentiel de malignité de GIST reste difficile. Le but de ce travail est de définir les critères diagnostiques des GIST et d'aborder les problèmes liés à la prise en charge de ces tumeurs dont le potentiel de malignité est difficilement déterminable.
Un patient de 66 ans, sans antécédents médicaux particuliers, consulte en raison d'une perte d'appétit associée à une perte pondérale de 5 kg et une gêne épigastrique intermittente. A l'examen clinique, son médecin trouve une masse épigastrique et une anémie spoliative. Une échographie abdominale décrit une volumineuse masse au niveau de l'épigastre et des lésions focales multiples dans le foie. Un CT-scan abdominal confirme ces lésions hépatiques et met en évidence un épaississement des parois de l'estomac et du cadre duodénal ; les ganglions lymphatiques sont décrits comme normaux. Une OGD montre une déformation de l'estomac et du bulbe duodénal associée à un ulcère gastrique de grande taille. L'examen histopathologique des biopsies révèle, au niveau antral, une gastrite chronique (Helicobacter positive) et au niveau bulbaire une bulbite érosive avec suspicion de tumeur stromale. Le diagnostic le plus probable étant une tumeur stromale maligne avec métastases hépatiques. Pour confirmer ce diagnostic une biopsie hépatique percutanée a été envisagée. Mais en l'absence de trouble de transit le patient a été réalimenté et a pu rentrer à domicile en attendant la suite de sa prise en charge. Il est réhospitalisé, plus tard, en raison de vomissements incoercibles avec hématémèse. Il a bénéficié d'une gastrectomie subtotale, avec une résection incomplète (infiltration du pancréas et du ligament hépato-duodénal), sans curage ganglionnaire. Les suites postopératoires ont été simples. Aucun traitement adjuvant n'a été proposé.
L'examen anatomopathologie confirme le diagnostic de tumeur stromale (GIST) à haut degré de malignité. Les critères de malignité étant la grande taille (18 cm), la présence de nécrose centrale, l'invasion pancréatique et de la muqueuse duodénale ainsi qu'un taux de mitose très élevé (> 50 mitoses/50 champs à fort grossissement, HPF). On note l'absence de métastase ganglionnaire, mais la confirmation de métastases hépatiques. L'immunomarquage montre une positivité pour le c-kit (CD117), et des marqueurs musculaires lisses (actine muscle lisse et desmine) sont positifs. Les CD34 et S100 sont négatives. L'index de prolifération (MiB1) est de 30%.
Dix-huit patients opérés pour une tumeur stromale grêle ont été suivis durant la période allant de 1990 à 2000. L'âge médian est de 60 ans (41-81 ans) avec répartition équilibrée entre les sexes. L'hémorragie digestive, soit aiguë, soit occulte, était le symptôme le plus fréquent, suivi d'une symptomatologie abdominale douloureuse mais aspécifique. Une perte de poids se rencontrait plus spécifiquement chez les patients avec des tumeurs à haut degré de malignité. La localisation était dans deux cas le duodénum, dans douze cas le jéjunum et dans huit cas l'iléon, deux patients avaient des lésions multifocales. Tous ces patients ont bénéficié d'une résection chirurgicale macroscopiquement complète et aucun d'eux n'a reçu de traitement adjuvant. A noter que 100% de ces GIST étaient positifs pour le CD117, et 94% pour le CD34. Trois patients ont présenté une récidive et tous avaient une tumeur à haut potentiel de malignité. La survie des dix-huit patients à cinq ans est de 74% pour un suivi médian de cinquante-deux mois. Mais le taux de survie à cinq ans des tumeurs à bas degré de malignité était de 92% alors que celui des cas avec tumeur à haut degré de malignité était de 0%.
Les tumeurs stromales digestives sont rares. Dans les pays industrialisés, les tumeurs stromales du tube digestif ont, selon les séries, une incidence variant de 3-5 cas/100 000 à 10-20 cas/million d'individus.3-5 Parmi tous ces cas 20 à 30% seraient des tumeurs malignes.3 On les retrouve tout au long du tube digestif et leur localisation la plus fréquente est l'estomac, suivi de l'intestin grêle et, rarement, au niveau de l'sophage, du côlon ou du rectum.6 Des observations de localisation extraluminale, mésentère et épiploon, de même que des localisations multiples sont décrites dans la littérature.3
L'origine cellulaire de ces tumeurs semble être une cellule mésenchymale intestinale pluripotente dont la fonction n'est pas encore complètement spécifiée. De nouveaux travaux montrent une corrélation frappante dans l'immunohistochimie (CD117) et dans les structures cellulaires avec la cellule de Cajal, qui est une cellule intestinale impliquée dans la régulation péristaltique de l'intestin.1,2
Les tumeurs stromales prennent généralement origine dans la paroi intestinale au niveau de la tunica muscularis propria ou submucosa. Elles sont généralement de grande taille lors du diagnostic, car ces tumeurs ne deviennent symptomatiques que lorsqu'elles engendrent des complications locales. Dans la plupart des cas, elles sont macroscopiquement bien délimitées, encapsulées ou pseudo-encapsulées, et peuvent être multinodulaires. Elles sont fréquemment pédonculées et ont une consistance ferme avec une surface lisse ou lamellée. Elles sont souvent le siège d'hémorragie ou de nécrose. Dans les cas de tumeur de grande taille la muqueuse digestive présente souvent une ulcération, étant généralement à l'origine de saignement digestif.
Les tumeurs stromales se rencontrent à tout âge, mais on note une incidence plus élevée chez les patients entre la 6e et 7e décennie. La répartition selon les sexes est équilibrée. Ces tumeurs deviennent symptomatiques lorsqu'elles ont atteint une taille suffisante pour engendrer des complications locales. Ainsi les tumeurs se manifestent cliniquement soit sous la forme d'hémorragie digestive, soit aiguë, soit occulte ou des phénomènes subocclusifs (par sténose ou rarement invagination). Plus spécifiquement, au niveau de l'sophage, elles sont à l'origine d'une dysphagie. Dans la partie haute du tube digestif, estomac et intestin grêle, elles se manifestent généralement par des hémorragies digestives ou de vagues symptômes abdominaux. Dans la partie basse, côlon, leur clinique est caractérisée soit par une hémorragie digestive basse, une subocclusion ou obstructions complètes, soit des douleurs aspécifiques. Rarement, ces tumeurs peuvent être à l'origine d'une perforation digestive.3 Entre 20 et 80% des tumeurs stromales, selon les séries,7-9 sont découverts fortuitement lors de bilan à la suite de symptômes aspécifiques. De plus, une partie non négligeable des cas est découverte fortuitement lors d'intervention abdominale pour d'autres pathologies.
Etant donné la distribution anatomique des GIST et leur mode de présentation clinique (hémorragie digestive), à peu près 2/3 de ces tumeurs sont diagnostiquées par voie endoscopique. Un diagnostic histologique définitif reste difficile au travers de l'endoscopie, car ces tumeurs restent souvent recouvertes par la muqueuse, et en présence d'une ulcération les biopsies s'avèrent souvent non conclusives.8 L'apport de l'imagerie (Ultrason, CT-scan en RM) est important pour le diagnostic et le bilan d'extension des tumeurs stromales. Ces examens permettent d'évaluer l'extension de la tumeur, l'éventuelle infiltration des organes avoisinants ou la présence de métastase. Le CT-scan est particulièrement utile, permettant d'établir un diagnostic de tumeurs mésenchymateuses dans une grande partie des cas en raison des caractéristiques tomographiques de ces tumeurs et d'effectuer un bilan d'extension. Les GIST apparaissent au CT-scan comme une masse de densité cellulaire plutôt bien délimitée, parfois lobulée. Ils contiennent souvent des zone de nécroses. Ils peuvent être soit intraluminaux (tumeur pédonculée), soit dans la paroi du segment digestif, soit intrapéritonéaux.10
Le développement des méthodes d'immunohistochimie et de différents anticorps pour la définition de l'immunophénotype des tumeurs stromales a fait apparaître de nouveaux critères d'évaluation des GIST. Comme nous l'avons signalé plus haut, la détermination de la positivité au c-kit est indispensable au diagnostic des tumeurs stromales.3 Il s'agit de la mise en évidence de l'expression d'un récepteur tyrosine kinase, CD117, qui est présente dans tous les GIST contrairement aux tumeurs musculaires lisses variées. De plus, la majorité des GIST sont CD34 positif. Pour évaluer le taux de proliférations cellulaires et ainsi le potentiel de malignité des GIST, l'anticorps MiB1 est utilisé.1
La difficulté à obtenir un diagnostic sur le potentiel de malignité précis de ces tumeurs reste à l'origine des dilemmes thérapeutiques et de follow-up.11 En fait une distinction dichotomique entre tumeurs bénignes et malignes n'est sans doute pas possible. Ainsi, il faut plus probablement parler de potentiel de malignité plus ou moins important selon les cas. Divers critères sont actuellement utilisés pour évaluer le potentiel de malignité des tumeurs stromales. Le seul critère de malignité uniformément reconnu, quelle que soit la localisation, est la présence de métastase ou d'invasion ganglionnaire. Parmi les critères les plus fréquemment utilisés dans la littérature on relève la taille de la tumeur ainsi que l'activité mitotique. Une taille de moins de 5 cm et un taux de mitoses de moins de 5 mitoses/50 champs de microscope à fort grossissement (HPF) sont généralement admis comme facteur de bon pronostic.3,11,12 Ainsi, on parle de tumeur à bas potentiel de malignité si l'on retrouve moins de 5 mitoses par 50 HPF et de moins de 5 cm de diamètre et à haut potentiel de malignité en dessus de 5 mitoses et de 5 cm de diamètre.11,13 D'autres critères tels que l'index de prolifération (MiB1), la présence de nécrose ou l'infiltration de structure adjacente jouent probablement un rôle dans cette classification mais ne font pas l'unanimité suivant les différentes séries de la littérature (tableau 1).12
Actuellement, la thérapie de choix des tumeurs stromales est l'exérèse chirurgicale.5,14 Le but de la résection chirurgicale est une résection complète et dans la majorité des cas elle peut être considérée comme curative (tumeur bénigne ou à bas degré de malignité).7 L'extension de la résection chirurgicale dépend de la localisation : dans l'sophage une résection partielle avec une interposition intestinale isopéristaltique ou un remplacent avec l'estomac est inévitable. Pour l'estomac, une résection en wedge avec une marge de sécurité de 2 cm est à proposer pour des tumeurs de petite taille, pour les tumeurs avancées une gastrectomie partielle ou totale s'impose. Pour le duodénum une résection duodéno-pancréatique s'impose en exigeant de la même manière une marge de sécurité de 2 cm au minimum. Pour l'intestin grêle et le côlon une résection segmentaire suffit, par contre dans le rectum une extirpation de celui-ci est souvent indiquée. L'évidement ganglionnaire loco-régional n'a pas permis de montrer un bénéfice sur la survie, ceci principalement en raison de la rareté de la métastatisation lymphatique (7,15 Raison pour laquelle un curage ganglionnaire n'est pas proposé systématiquement pour obtenir une résection curative. La présence de métastases doit être prise en considération dans la planification d'une résection complète. Si une résection des métastases n'est pas envisageable, le but de la résection chirurgicale sera symptomatique (lever l'obstacle, arrêter l'hémorragie ou réséquer une éventuelle perforation).15
Le pronostic des tumeurs stromales de bas potentiel de malignité est bon. Leur taux de survie à cinq ans se situe aux alentours de 90% après résection chirurgicale et est comparable à la survie obtenue après résection d'un léiomyome. Par contre l'évolution post-traitement des tumeurs à haut potentiel de malignité marquée par la survenue fréquente et précoce de récidive tumorale avec des taux de survie à cinq ans est très faible. Seul le développement de traitement adjuvant efficace pourra permettre d'améliorer leur pronostic.15
Actuellement, ni la radiothérapie ni la chimiothérapie n'ont encore pu, comme traitement adjuvant, amener à une amélioration du pronostic des patients avec tumeur stromale.15 Actuellement, deux études de phase I sont en cours avec un traitement adjuvant intrapéritonéal pour des résections complètes ou quasi complètes.15 Par ailleurs, de nouveaux traitements avec des inhibiteurs du c-kit (tyrosine kinase) sont en cours d'évaluation et pourraient, dans un avenir proche, s'avérer très efficaces comme traitement adjuvant pour les tumeurs stromales gastro-intestinales.16
Le taux de récidive est élevé post-résection chirurgicale d'une tumeur stromale. Ainsi DeMatteo et coll.15 sur une série de 80 patients, sans différencier les tumeurs à bas et haut potentiels malins, trouvent un taux de récidive locale et à distance de 40%. Dans notre collectif ce taux est de 75% pour les tumeurs à haut potentiel de malignité. Pour les patients développant des métastases ou une récidive loco-régionale, une nouvelle exérèse chirurgicale est à envisager, voire à recommander, car celle-ci peut offrir une survie prolongée. Ceci d'autant plus qu'aucun autre traitement complémentaire ne s'est montré efficace dans le traitement des récidives.15 Par contre, l'attitude lors de la détection d'une récidive asymptomatique chez un patient âgé n'est pas clairement définie et les risques liés à une nouvelle intervention doivent être pris en compte.
En ce qui concerne le suivi des patients ayant présenté une tumeur stromale, il n'existe pas de directive formelle, ceci principalement en raison des difficultés à définir le potentiel de malignité des GIST. Actuellement les propositions se font sur les critères de malignité (taille, index mitotique, etc.) même si ceux-ci ne sont pas encore clairement identifiés dans la littérature et sur la localisation anatomique de la tumeur. Premièrement la localisation influence le pronostic, ainsi les tumeurs grêles semblent avoir le moins bon pronostic.6 Si les tumeurs à bas potentiel de malignité ont un pronostic à long terme qui est bon avec un taux de récidive très bas, il est tout de même nécessaire que ces patients soient suivis régulièrement cliniquement. Par contre pour les patients ayant présenté une tumeur à haut potentiel de malignité, le suivi doit être rapproché et ils bénéficieront d'une recherche approfondie d'éventuelle récidive tumorale. En effet le taux de récidive est très élevé chez ces patients, notamment de métastases hépatiques.15 En fonction de ces différents critères, nous proposons une attitude de suivi générale (fig. 1). Il est important que tous les patients ayant bénéficié d'une résection chirurgicale pour une tumeur stromale gastro-intestinale soient suivis à long terme.17 Ceci, principalement parce que les critères de malignité ne sont pas encore assez fiables pour permettre de séparer les tumeurs certainement bénignes des malignes ayant un risque de récidive.
Les tumeurs stromales digestives font partie des tumeurs mésenchymateuses du tube digestif. Elles se rencontrent généralement à des stades avancés en raison de leur silence clinique avant qu'elles n'engendrent des complications locales, ceci en dehors des cas découverts fortuitement en peropératoire. Leur traitement est, actuellement, uniquement chirurgical en raison de l'absence d'efficacité démontrée, soit de la radiothérapie, soit de la chimiothérapie sur ces tumeurs. Le pronostic post-résection chirurgicale de ces tumeurs varie de très bon, pour les tumeurs à fiable potentiel de malignité, à très mauvais pour les tumeurs à haut potentiel de malignité. Tous les patients ayant bénéficié d'une résection chirurgicale pour une tumeur stromale nécessitent un suivi à long terme. Ceci d'autant plus que l'évaluation du potentiel de malignité des GIST n'est pas encore assez fiable pour déterminer quels patients risquent de présenter une récidive. Les patients présentant une tumeur à haut potentiel nécessitent une recherche complète (US et CT-scan abdominal) d'éventuelle récidive qui devra être entreprise régulièrement. Toutes les récidives éventuelles pourront bénéficier d'une seconde chirurgie, car celle-ci peut amener à une nette amélioration du pronostic.