Mea culpa et relecture du passé récent. La contamination du cheptel français par l'agent de l'ESB a, jusqu'à ces derniers mois, été notablement sous-estimée. Telle est la conclusion, nullement rassurante que viennent de présenter les responsables de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, mercredi 30 mai, devant le Comité national de sécurité sanitaire. Cette observation résulte des enseignements tirés des programmes scientifiques de dépistage rapide des bovins, conduits, sous l'égide de cette agence et à la demande du gouvernement, depuis près d'un an. Et au vu de l'ensemble des résultats aujourd'hui disponibles, l'Afssa estime que les taux de prévalence de l'ESB dans le cheptel bovin français étaient clairement «sous-estimés» avant la mise en uvre durant l'été 2000 de ce nouvel outil de surveillance épidémiologique. Cette agence observe d'autre part que le programme de dépistage a permis de mettre en uvre «une diminution de l'écart apparent» entre les trois régions du grand Ouest français (tenues jusqu'à présent pour les plus touchées) et le reste du territoire national.Sans doute faudra-t-il revenir sur tout cela. Mais pour l'heure on ne peut manquer de traiter de l'aspect le plus concret, le plus spectaculaire aussi, du dépistage systématique des bovins de plus de trente mois. L'information nous a été gentiment livrée, analysée et détaillée lors de l'un de ces petits déjeuners pour happy few que la direction générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture aime organiser à échéance suffisamment lointaine pour que chaque partie puisse continuer à cultiver un certain mystère. Bilan : vingt-quatre bovins infectés, destinés à la consommation humaine, ont, en France, été dépistés depuis le mois de janvier. On se souvient que ce dépistage systématique des animaux de plus de trente mois, apparemment sains et destinés à être consommés avait été progressivement mis en place à compter du début du mois de janvier 2001, la France anticipant ici sur l'échéance initialement fixée par l'Union européenne au 1er juillet prochain. Les laboratoires agréés (on en compte aujourd'hui soixante-quatre) ont rapidement atteint leur rythme de croisière (compris entre trente mille et quarante-deux mille tests hebdomadaires) qui correspond à la consommation nationale.Dans le détail, on peut dire qu'au 20 mai 718 246 bovins avaient subi un test de dépistage rapide. Parmi eux, vingt-quatre animaux porteurs sains du prion pathologique ont été identifiés et, à ce titre, retirés de la chaîne alimentaire avant d'être détruits. Il s'agissait le plus souvent d'animaux élevés dans les départements français du grand Ouest (trois dans le Maine-et-Loire, deux dans le Calvados, la Vendée, la Seine-Maritime et les Côtes-d'Armor ; un dans la Manche, le Morbihan, la Mayenne et la Charente-Maritime). La contamination n'épargne toutefois pas certains départements de l'est de l'Hexagone : l'Ain, le Jura, la Marne, le Rhône, la Saône-et-Loire, la Haute-Savoie et les Vosges.Les animaux infectés étaient pour la plupart nés en 1994 et 1995 mais d'ores et déjà deux cas a priori inquiétants concernent des animaux nés en 1996 et, surtout 1997, soit après la mise en uvre des mesures préventives concernant la sécurisation des farines carnées destinées à l'alimentation de certains animaux d'élevage. Pour les responsables de ces travaux de telles données n'ont rien de surprenant : elles coïncident globalement avec les estimations faites avant la mise en uvre de ce programme de dépistage. Des travaux préliminaires britanniques avaient tablé sur des estimations de l'ordre d'une centaine (ou plus) d'animaux porteurs sains entrant chaque année en France dans la chaîne alimentaire humaine. C'est dire, avec le recul, l'importance préventive des mesures prises en 1996 concernant l'allongement de la liste des matériaux à risque spécifié et la sécurisation des farines. Mais c'est aussi dire, aujourd'hui, l'urgence qu'il y avait à organiser, pour des raisons sanitaires, un tel dépistage systématique dans un cheptel dont on sait aujourd'hui que la prévalence est d'un cas pour trente mille bovins.Rien n'étant jamais parfait dans une affaire où la mort semble omniprésente sans qu'on puisse en saisir les traits avec précision, certains des spécialistes français et européens des maladies à prion confient qu'une faille majeure existe aujourd'hui dans le système actuel de surveillance épidémiologique : l'absence du dépistage des animaux âgés de plus de trente mois qui, pour des raisons économiques, sont abattus, retirés du marché et détruits afin de soutenir le marché européen de la viande bovine. En France, depuis le mois de janvier, plus de cent soixante dix mille bovins ont fait l'objet d'une telle mesure et on ne saura jamais parmi eux, lesquels étaient infectés ni combien de troupeaux auraient dû être abattus dans leur totalité. La question, bientôt, ne se posera plus puisqu'à compter du 1er juillet cette mesure de soutien du marché sera devenue caduque. A partir de cette date, les carcasses des animaux non consommés seront stockées et devront avoir fait au préalable l'objet d'un dépistage systématique.Il faudra se souvenir qu'à la fin mai 2001, depuis le début de l'année quatre-vingt-deux cas d'ESB avaient été diagnostiqués et en France parmi lesquels quarante-quatre cas cliniques, quatorze cas résultant du programme de recherche de l'Afssa et vingt-quatre du plan de dépistage systématique mis en uvre dans les abattoirs. Depuis 1991, date de l'émergence de l'ESB en France, trois cent vingt-quatre cas ont été recensés. Il faudra bien aussi que toutes ces données soient un jour prochain comparées aux premiers résultats des campagnes de dépistage conduites en Allemagne, en Italie et en Espagne ; autant de pays dont les cheptels sont eux aussi contaminés en dépit de toutes les assurances qui, ces dernières années, avaient, avec une certaine arrogance, été données dans les enceintes communautaires. D'ici là la prochaine question à traiter est connue : celle de l'abaissement de 30 à 24 mois de l'âge des bovins devant impérativement être testés, mesure d'ores et déjà en vigueur en Allemagne.