Résumé
C'est un peu désagréable, ces concepts à la mode, comme celui de résilience, qui déboulent sans ménagement dans le champ de notre pratique médicale. On s'occupe le mieux possible des individus traumatisés ou mal partis dans la vie, on les traite comme des victimes, on se révolte contre les tout-puissants «déterminants sociaux de la santé», et voilà que d'un coup, patatras, des gourous médiatisés prétendent que c'est tout faux. Ils disent que ces individus malchanceux, dans certains cas, peuvent mener des existences tout ce qu'il y a de plus intéressantes et que donc il y a là un phénomène majeur auquel on n'a plus le droit de ne pas s'intéresser. Ils s'empressent d'ajouter qu'il s'agit d'y aller avec des pincettes, quand même, surtout vis-à-vis de la société, parce que le phénomène de résilience pourrait pousser à dire aux paumés qui ne s'en sortent pas : «Allez, bougez-vous, on en a vu des plus mal que vous s'en sortir» et que cette attitude aurait tout pour plaire au libéralisme économique ambiant. Ce serait quand même la pire des choses, pareille utilisation d'un concept médical pour stigmatiser encore plus les défavorisés et les souffrants. Tout ça pour dire que le sujet est délicat....Heureusement, voici un volume des Cahiers médico-sociaux1 qui met le doigt sur ces difficultés et dresse un état des lieux de la résilience. Sous la direction de Michel Manciaux, une trentaine d'auteurs tentent de cerner cette étonnante «capacité de survivre et de se construire malgré l'adversité». On est émerveillé par l'extrême richesse du concept. Mais un peu déçu par ses maigres conséquences pratiques. Quelque chose de généralisable existe-t-il, que l'on pourrait appliquer à l'ensemble de ceux qui ont souffert de traumatisme ? Disons-le tout de suite : non. Pas de recette universelle. Des guidelines, alors ? Peut-être, à la rigueur, mais qui ne vont pas au-delà de : «pousser l'individu qui a souffert à l'affirmation de soi, à la création, surtout ne pas l'enfermer dans un statut de victime mais l'entourer». Rien de plus précis, pas de techniques généralisables. La résilience n'est pas l'envers d'une maladie qui répondrait à un médicament précis. C'est une affaire culturelle et affective. Ainsi, certaines méthodes marchent très bien dans un contexte et avec des personnes précises alors qu'elles sont des échecs dans d'autres conditions. L'article de Stefan Vanistendael évoque le cas d'une chorale d'enfants, le Boys Choir of Harlem, qui agit comme système efficace de résilience pour les garçons de familles très démunies de Harlem. Mais cette chorale repose sur un subtil mélange de discipline, de rêve, de tutorat interne entre participants, le tout orchestré par un directeur charismatique. Impossible de reproduire cette alchimie ailleurs, comme on clone un MacDonald. La résilience ne pousse que sur la variété....Subversive, anti-loi sociale, la résilience prend à rebrousse-poil le comportement classique qui, dans la prise en charge du malheur, a toujours été fataliste, rappelle Boris Cyrulnik (autre auteur de ce volume) : un enfant blessé ou agressé est habituellement considéré comme un enfant perdu. Il existe en fait une impressionnante «prophétie créatrice», à partir de laquelle la société a mis au point des «circuits, des institutions, des discours». D'où le schéma pervers bien connu : «une fois que le choc est passé, on recueille l'enfant, on le place dans une institution, plus tard on lui verse une pension pour qu'il survive
en somme on l'abandonne». Le mouvement en faveur de la résilience est là pour nous rappeler que faire une «carrière de victime» n'est pas une vie....Longtemps, nous avons empoigné la question de la santé en nous intéressant aux seules causes des maladies, sans même nous demander s'il y avait un système de causes pour la santé aussi. La difficulté est que, si des manières de vivre ou des formes de personnalités assurent une meilleure santé, elles ne sont pas simplement reproductibles. La santé met en jeu des mécanismes bien moins généralisables que la maladie. Tenant en équilibre sur une création, elle ne cesse d'échapper à la science.Ainsi, à la différence de celles que l'on trouve en médecine, les stratégies de résilience reposent toujours, explique Vanistendael sur «la relation à l'autre et sur le sens». La résilience n'a donc rien d'une technique. Elle relève d'un autre ordre. C'est un certain «regard sur la réalité». Voilà bien l'ennuyeux, pour les professionnels : allez justifier une prise en charge basée sur un regard
...Est-ce parce que nous nous sentons tous secrètement victimes ? Ou parce que la réussite du miséreux a toujours un côté magique, pour ne pas dire religieux ? En tout cas, la résilience est un des ressorts romanesques les plus efficaces jamais inventés. Dans son article sur la «littérature de résilience», Angelo Gianfrancesco analyse les classiques du genre : contes de Perrault ou de Grimm, «Les Misérables» de Hugo, «Sans famille» de Malot ou «Oliver Twist» de Dickens.Mais quel dommage qu'il ne dise pas un mot sur le livre qui a littéralement ensorcelé la planète entière, sur le succès littéraire le plus colossal de tous les temps : Harry Potter. Harry est un petit garçon orphelin ses parents ont été assassinés dont le destin s'annonce tragique mais qui résilie dans toutes les situations, par toutes les ruses possibles. Recueilli par son oncle Vernon, vulgaire et bête, il est sans cesse humilié par son cousin obèse, Dudley, qui a toutes les faveurs de la maisonnée. Seulement voilà, non seulement Harry est un sorcier, mais en plus, il est un sorcier plein de confiance en lui. Bien que confusément, il sait qu'il va accomplir de grandes choses. Dans son école de sorcier, où les brimades et les humiliations ne manquent pas non plus, il vit d'humour et d'amitié et surtout d'une indestructible volonté d'obtenir justice pour ses parents.En réalité, la recette du succès de Harry Potter des dizaines de millions d'exemplaires vendus dans le monde entier tient plus à la mise en scène de la résilience d'un enfant que dans les détails de la vie quotidienne de l'internat des petits sorciers. Bien que cela aussi soit drôlement bien imaginé : on s'amuse méchamment, à lire les descriptions de cours de dressage d'hippogriffes mal lunés, ou de préparation de potions magiques qui agissent de travers, dans ce monde où les livres mordent, où les lettres parlent et où les balais volent (tous les garçons en pincent pour un balai hors de prix, l'Eclair de Feu, qui accélère de 0 à 200 km/h en 10 secondes)....Ce qui plaît chez Harry comme chez tout résilient ? Ils sont le signe, la preuve, que l'humanité entière, si mal partie dans l'existence, pourra peut-être s'en sortir, ne pas sombrer dans le destin tragique qui s'annonce. Allez savoir.