Il est difficile de repérer le poids de la souffrance subjective que provoque une maladie, puisque l'impact d'une même maladie est différent d'un patient à un autre. La capacité à absorber le choc que représente une maladie est liée aux ressources internes personnelles du patient à un moment donné de sa vie. Le concept de souffrance subjective liée à la maladie est d'autant plus important qu'il peut être en lien à la mauvaise adhésion des patients à leur traitement. Le PRISM (Pictorial Representation of Illness and Self Measure) est un outil qui permet, en peu de temps, de visualiser et de mesurer le poids de la souffrance subjective du patient. Nous faisons également mention d'une expérience de formation à l'utilisation du PRISM, au sein d'une équipe de soignants.
Dans le traitement de troubles somatiques et psychosomatiques il est important de définir les paramètres somatiques. Il est d'importance égale d'évaluer la souffrance subjective du malade. Si l'établissement des paramètres somatiques reste principalement du ressort du soignant, l'évaluation du vécu subjectif renvoie à la relation soignant-soigné. L'adhésion véritable du patient au traitement dépend essentiellement du partage avec le médecin de la compréhension du trouble somatique et du poids de la souffrance subjective.1 Cette entente commune a une influence majeure sur le cours de la maladie et l'efficacité des traitements.
Dans la médecine somatique, la durée des consultations est courte et la fonction du médecin se réduit à des activités diagnostiques, de choix et de contrôle thérapeutiques. La capacité de verbalisation du patient est souvent réduite, notamment par l'anxiété qui accompagne le vécu de la maladie. Les patients expriment rarement leur souffrance subjective, et peu de médecins sont conscients qu'il n'y a pas de corrélation directe entre la gravité d'une maladie et la souffrance subjective ressentie par le patient.2 Or ce n'est que par cette compréhension des plaintes subjectives du patient que la prise en charge médicale sera optimale.
Jusqu'à présent il n'existait pas d'instrument pour saisir le poids de la souffrance subjective du patient en peu de temps et en évitant la communication verbale.
Le PRISM a été développé en 1995 par un médecin psychiatre suisse3dans le but de créer un outil facilement applicable dans le quotidien clinique, qui permette au patient et au soignant de mettre en évidence, ensemble, les impacts subjectifs de la maladie.
Le PRISM3 est un plateau en métal blanc format A4, avec un disque jaune de 7 cm peint dans le coin supérieur gauche. La surface du plateau représente la vie du patient, le disque jaune le représente lui, c'est-à-dire son «Moi». A cela s'ajoute un disque mobile de 4 cm de diamètre et de couleur orange, aimanté sur une de ses faces. Ce disque représente la maladie. L'utilisation du PRISM peut se résumer ainsi : après description au patient de la signification du tableau et du disque jaune, on lui donne le disque mobile orange représentant la maladie. On lui pose la question suivante : «Pouvez-vous me montrer, à l'aide de ce disque orange, la place que prend la maladie dans votre vie, par rapport à vous ?». A cette question, le patient répond, en plaçant le disque orange quelque part sur le plateau. Ce que l'on observe, une fois que le patient a posé le disque, c'est sa position par rapport au disque jaune représentant le Moi du patient. La distance entre les centres des deux disques («maladie» et «Moi») fournit la mesure du poids de la souffrance. Cette distance s'appelle «Distance-PRISM».
Le minimum théorique de cette distance est de 0 cm (disque orange mis à l'intérieur du disque jaune), le maximum de 27 cm (disque orange placé le plus loin du disque jaune en diagonale). La signification que l'on peut donner aux différentes distances sera décrite plus loin.
Les mesures ou «distances-PRISM» qui ont été effectuées jusqu'à présent avec le PRISM auprès de patients souffrant d'une maladie chronique, ont été évaluées avec différents questionnaires validés.3 Les mesures PRISM sont corrélées avec : 1) les restrictions fonctionnelles liées à la maladie, évaluées avec le Health Assessment Questionnaire (HAQ) ; 2) les douleurs physiques, évaluées avec une échelle analogique visuelle de 0 à 10 ; 3) la dépression, évaluée avec l'échelle de Hamilton (HamD.) ; 4) les capacités d'adaptation à une situation, évaluées avec le Sense of Coherence (SOC).
Ces différentes corrélations, qui recouvrent des variables physiques et psychiques, démontrent la validité du PRISM en tant qu'instrument de mesure du poids de la souffrance subjective.
Jusqu'à présent, le PRISM a été appliqué auprès de 1500 patients atteints de maladies chroniques telles que la bronchite chronique obstructive, le lupus érythémateux disséminé, l'ostéoarthrite et la polyarthrite chronique évolutive et le diabète.
Le poids de la souffrance est en relation directe avec les capacités propres à chaque individu à faire face à une situation donnée. Comme l'ont écrit Ferragut et coll.4 «La souffrance va amener à une dimension d'angoisse et sera vécue en fonction de l'histoire personnelle du sujet, familiale, sociale et culturelle. L'être humain la vit dans son corps, ses sensations, ses émotions mais également dans son imaginaire, ses fantasmes, ses représentations mentales, ses pensées, ses interprétations. Le soignant a besoin de prendre conscience de tous ces éléments pour entrer dans une relation thérapeutique de bonne qualité. L'imaginaire est propre au sujet, lié à sa personnalité, à sa psychopathologie plus ou moins latente. Le malade va vivre différentes émotions : la tristesse, le désespoir, la colère, l'agressivité, la culpabilité, la peur et la terreur».
Le poids de la souffrance paraît être un concept cognitif d'une complexité supérieure que nous essaierons d'expliquer avec les modèles sur le stress et le coping de Lazarus5,6 et sur le sens de la cohérence d'Antonovsky.7
Dans les récents travaux de Lazarus, le stress est conçu comme un événement relationnel (fig. 1).
Chaque situation vécue engendre dans un premier temps, chez le sujet, une cognition pour évaluer la situation dans son importance individuelle : sans importance, un défi, une menace (évaluation primaire). Suit, dans un deuxième temps, une estimation des ressources personnelles en vue d'une résolution favorable, la plus économique pour l'individu, de la situation (évaluation secondaire). Si une situation est jugée comme étant importante, et que les ressources paraissent insuffisantes, l'individu réagira avec des émotions négatives. Ces émotions influenceront le comportement comme l'interprétation de la situation même.
L'évaluation cognitive paraît être déterminée par le sens de la cohérence (Sense of Coherence)7 d'une personne. Le SOC comprend trois niveaux : 1) une compréhension globale que les événements à rencontrer peuvent être prévus ou expliqués, ou rangés dans un contexte s'ils arrivent de manière imprévue ; 2) une conviction individuelle que les événements ont un sens et 3) un sentiment de pouvoir gérer par ses propres forces les exigences de la vie. Avec un questionnaire validé de vingt-neuf questions, un score SOC peut être déterminé. Une valeur SOC de base serait innée à chaque personne, se développerait jusque dans l'adolescence et augmenterait avec l'âge.8Une personne avec un score SOC élevé aura donc moins de difficulté à faire face à une situation, par exemple une maladie, qu'une personne avec un score SOC bas.
Le fait de visualiser permet la participation synchrone de différents éléments de perception. C'est cette synchronicité qui fait la force de la visualisation. Effectivement, l'image produit un effet sui generis, différent des processus mentaux analytiques habituels. Le sujet, face à l'image, ou le patient face au PRISM, reste souvent dans un temps d'arrêt, hors des mots. Tout se passe comme s'il était en train de vivre une véritable expérience. Lorsque le raisonnement conscient se remet en marche, il réapparaît souvent avec un effet de nouveauté. Il semblerait que les processus impliqués dans l'acte de voir sont proches des processus impliqués dans l'acte créatif, c'est-à-dire à mi-chemin entre la conscience et l'inconscience. Dans son livre sur la visualisation, F.J. Paul-Cavallier9 parle de «zone de perméabilité». Cette zone est, selon l'auteur, sensible à la visualisation.
Il n'est pas rare d'observer, chez les patients qui «font» un PRISM, un remaniement cognitif et émotionnel de la situation, ceci sans l'intervention directe du soignant. «L'approche des techniques de visualisation tient plus de l'accompagnement que des procédures d'intervention directives» (opus cit., p. 54).
En définitive, l'aspect visuel du PRISM permet tant au soignant qu'au patient de sortir du langage analytique et de laisser la place à d'autres processus, à mi-chemin entre le conscient et l'inconscient, ou, à mi-chemin entre ce qui est dit et ce qui n'est pas dit.
Le PRISM a été développé3 pour répondre à un certain nombre de difficultés dans la communication soignant-soigné : 1) le temps limité des consultations ; 2) la difficulté qu'ont, soignants et patients, à identifier la souffrance subjective liée à la maladie ; 3) la fréquence de non-compliance aux traitements. Tout d'abord le PRISM est un instrument facile d'application et qui nécessite peu de temps. Lorsque le suivi médical semble bloqué, le recours à une visualisation de la situation du patient à l'aide du PRISM, permet de l'aborder différemment. Enfin le PRISM permet de rester attentif à la souffrance subjective du patient, ce qui est important puisque celle-ci joue un rôle majeur dans le suivi du traitement médical.
Les limites d'application du PRISM tiennent essentiellement aux capacités d'abstraction du patient. Il n'est pas forcément aisé de transposer son Moi et sa vie sur un support en deux dimensions. L'expérience montre cependant qu'environ 90% des patients apprécient l'exercice et en retirent un bénéfice.
Soulignons ici une mise en garde quant à la simplicité du PRISM. Bien que le PRISM soit simple à comprendre et à utiliser, cette technique requiert de la part du soignant une grande finesse d'interaction, une capacité de retrait du devant de la scène, une bonne compréhension de la non-directivité des questions, ainsi qu'une empathie silencieuse et contenante à l'égard du patient. Ces conditions ne peuvent être réunies qu'après une formation spécifique à l'utilisation du PRISM et une bonne expérience clinique.
La superposition complète des disques «Moi» et «maladie» (distance-PRISM = 0) peut être comprise comme l'expression d'une surcharge du patient. Cette surcharge s'exprimera sous trois formes : cognitive, émotionnelle et comportementale. Sous sa forme cognitive, la maladie est vécue comme une catastrophe ; sous sa forme émotionnelle, elle s'exprime par une forte anxiété souvent associée à une dépression ; sous sa forme comportementale, la surcharge s'exprimera par des difficultés d'adhérence voire une non-compliance. Ces trois formes se renforcent bien évidemment entre elles (fig. 2).
Lorsque le patient visualise sa surcharge en plaçant le disque sur son Moi, il est important que le soignant s'abstienne de réagir par exemple en proposant des solutions concrètes. Par cette attitude contrôlée, il indique au patient sa capacité à contenir la situation, c'est-à-dire à comprendre et à accompagner le patient dans sa souffrance. Après un moment de silence chargé d'empathie, le soignant peut amener le patient à mettre des mots sur sa souffrance subjective. Une question possible pourrait être : «Pouvez-vous me dire ce que ça signifie pour vous de placer le disque sur vous-même ?».
Les patients avec une plus grande distance PRISM, indépendamment de la sévérité de leur maladie, ont une estime plus grande de leurs capacités de contrôle. Ils sont moins préoccupés par la maladie et sont moins sujets à des dépressions. Ces patients sont émotionnellement moins chargés, ce qui finalement se traduit par moins de déficiences fonctionnelles et une meilleure adhérence au traitement
Le but d'une intervention thérapeutique serait donc de modifier la distance PRISM. La simple remise en question par le soignant de l'estimation que le patient fait de ses capacités à gérer sa maladie, peut déjà augmenter la distance PRISM. A travers la visualisation de ce changement, on observera chez le patient des changements aux niveaux de sa cognition, de ses émotions et de son comportement.
Le PRISM a été introduit récemment à Genève au sein d'une équipe multidisciplinaire de soignants à la Division d'enseignement thérapeutique pour maladies chroniques. Les soignants ont bénéficié d'une formation de deux demi-journées pour l'utilisation du PRISM. Avec l'accord du patient (atteint de diabète ou d'obésité) les entretiens ont été filmés systématiquement pendant deux mois, et ont été revus en supervision personnalisée. L'attention a été portée sur :
1. l'ouverture de la séance : comment le soignant initie le patient au PRISM et comment il pose la première question standard : «Pouvez-vous me montrer, à l'aide de ce disque, la place que prend la maladie dans votre vie par rapport à vous ?».
2. Le rythme de l'échange : comment le soignant gère le silence et maîtrise une certaine lenteur dans l'échange. Ce rythme est au service du dialogue intérieur du patient.
3. La qualité des questions posées : comment le soignant formule-t-il ses questions : arrive-t-il à ne pas être directif, est-il capable de gérer des questions ouvertes ?
4. L'utilisation dynamique du PRISM : comment le soignant fait-il pour favoriser, dans l'imaginaire du patient, la perception d'une situation potentiellement dynamique. Cette amorce de changement dans la perception qu'a le patient de la situation se fait visuellement, en modifiant l'emplacement du disque-maladie sur le tableau PRISM.
Les soignants ont rapporté aux formateurs les bénéfices de leur expérience avec le PRISM. Ils ont noté : la facilité de l'application du PRISM ; l'impact des questions simples et ouvertes sur la qualité des informations livrées par les patients ; l'intensité de l'interaction et enfin, l'apport pour l'équipe soignante de disposer d'une nouvelle référence commune dans leur communication, par exemple : «Si on faisait un PRISM avec ce patient, où penses-tu qu'il placerait la maladie ?».
Plusieurs mois après la fin de la formation, les soignants utilisent le PRISM spontanément lorsque, disent-ils, ils se trouvent «bloqués» dans le suivi d'un patient atteint d'une maladie chronique.
Nous avons passé en revue certaines des ressources cognitives dont le patient a besoin pour faire face à sa maladie, et l'épreuve que représente la maladie pour ses ressources internes. Chaque individu réagit différemment face à la maladie. L'estimation du poids de la souffrance que celle-ci génère est un bon indicateur de ce qui peut compliquer une bonne adhérence au traitement.
Le recours au PRISM permet de tenir compte de la souffrance subjective induite par la maladie. S'introduire avec empathie dans cette souffrance c'est participer à l'intimité de la relation qu'un patient vit avec sa maladie.
Rappelons qu'il est important d'être attentif à l'aspect composite de la souffrance subjective, puisque les différents facteurs impliqués sont autant de portes d'entrées possibles dans l'accompagnement efficace d'un patient.
Le PRISM offre au soignant et au patient une représentation commune à partir de laquelle ils peuvent travailler ensemble ; il permet de visualiser les changements possibles de la situation et ainsi de stimuler, à travers l'imaginaire tant du patient que du soignant, une évolution favorable.*
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