Il est acquis que l'organisation du cortex cérébral est modifiée après une amputation. Mais cette modification est-elle réversible ? Nul n'avait encore étudié cette question. C'est aujourd'hui chose faite grâce aux travaux, publiés dans le numéro de juillet du mensuel Nature Neuroscience (Cortical reorganisation in motor cortex after graft of both hands, Pascal Giraux, Angela Sirigu, Fabien Schneider et Jean-Michel Dubernard), d'une équipe de neuropsychologie de l'Institut des sciences cognitives (ISC) du CNRS, basée à Lyon et travaillant en collaboration avec le Centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et l'hôpital Edouard Herriot à Lyon. Ces chercheurs ont étudié, à l'aide de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), la dynamique de la réorganisation corticale dans le cortex moteur d'un patient avant et après transplantation des deux mains. Ils ont montré que les mains greffées sont intégrées dans la représentation du schéma corporel et que la greffe a renversé l'organisation corticale précédemment induite par l'amputation.Comment le cerveau est-il influencé par des changements survenant dans des organes périphériques ? «Contrairement à la vision classique d'un schéma de connexion neural prédéterminé, le système moteur fait preuve d'une importante plasticité, rappelle-t-on auprès du CNRS. Chez les amputés humains, la représentation des muscles non affectés par l'amputation envahit des parties du cortex sensorimoteur précédemment attribué au segment amputé. Des patients dont le membre supérieur est transplanté à la suite d'une amputation fournissent l'occasion d'étudier la réversibilité de l'organisation cérébrale après une atteinte périphérique.»Cette occasion s'est présentée avec «C.D.» un patient qui a subi une transplantation bilatérale de mains, en janvier 2000 à Lyon,par l'équipe du Pr Jean-Michel Dubernard, une première mondiale dont on se souvient qu'elle fut amplement médiatisée à l'échelon international. Les chercheurs de l'équipe de neuropsychologie de l'ISC se sont focalisés sur les activations du cortex moteur (M1) et leur évolution au cours du temps. Le cortex moteur, qui contient une représentation somatotopique (représentation point par point) de notre corps, est la région qui nous permet d'envoyer la commande motrice, et donc de bouger. Dans cette étude, les mouvements des mains et des coudes ont été examinés. Avant l'acte chirurgical, les mouvements de la «main» droite ou gauche (les muscles de l'avant-bras étant actifs) activaient la partie la plus latérale de la zone de la main dans M1 correspondant à la région qui code les mouvements du visage.Six mois après la greffe, cette activation se déplace vers le milieu dans M1, de façon à occuper toute la région classiquement décrite comme étant l'aire de la main. Cette migration commença déjà à se manifester deux mois après l'opération. Une analyse sur le centre de gravité de ces activations montre qu'après six mois, il existe un déplacement de 10 mm pour la main droite et de 6 mm pour la main gauche, de la partie latérale vers la partie centrale de la région de la main. Les activations provoquées par les mouvements du coude ont évolué de façon parallèle, passant d'une région centrale dans M1, correspondant normalement à l'aire de la main, à une région supérieure, classiquement définie comme étant la région du bras. Là aussi, les centres de gravité de l'activité du coude se sont déplacés progressivement (plus précisément, après six mois : 8 mm pour le coude droit, 7 mm pour le coude gauche).Les modifications observées dans le cortex moteur pour les représentations de la main et du coude sont fortement corrélées entre elles, aussi bien au cours du temps que dans l'espace. Les activations de la main et du coude montraient un chevauchement important, lequel s'est accru avant l'opération chirurgicale et jusque six mois après. Des changements similaires ont été observés dans le cortex somatosensoriel. Pour les auteurs de la publication, la principale conclusion de cette étude est que les mains greffées «sont reconnues et activées de manière normale par le cortex sensorimoteur». «Cela suggère que les nouveaux influx périphériques ont permis un remodelage global de la cartographie corticale des membres et l'inversion de la réorganisation fonctionnelle provoquée par l'amputation, précisent-ils. En outre, les trajectoires spatiales de ces activations au cours du temps indiquent que le réarrangement cortical se fait d'une manière ordonnée. Ainsi, la plasticité cérébrale se fait selon le schéma normal de représentation du corps, celui qui prévalait avant l'amputation.» Quels peuvent être les mécanismes sous-jacents à cette plasticité corticale ? «Les modifications au sein de M1 pourraient résulter d'un changement dans l'équilibre des forces des activations parmi les connexions existantes, ajoutent les auteurs. L'activation de l'aire de la main déclenchée par les mouvements du coude dans la phase précédant la greffe pourrait apparaître comme résultant d'un changement dans le «poids» de ces connexions : autrement dit, la représentation du coude aurait envahi la région de la main amputée en raison de l'absence d'afférences périphériques ciblant cette région.» La transplantation de main aurait ainsi restauré l'efficacité des connexions originelles aux dépens de la représentation du coude, permettant ainsi aux caractéristiques normales de l'organisation corticale de «réapparaître» dans la cartographie cérébrale.