L'hypnose médicale est une relation médecin-patient qui se déroule dans un état de conscience modifié. Ce n'est pas une thérapie douce ou alternative et sa pratique nécessite de la part du thérapeute une formation adéquate et reconnue. Si l'effet antalgique de l'hypnose est clairement démontré par de nombreuses études, les mécanismes neurologiques sous-tendant les réponses aux suggestions hypnotiques antalgiques sont encore peu clairs. Dans le cadre de la douleur aiguë, l'hypnose peut permettre d'effectuer des gestes diagnostiques ou thérapeutiques douloureux en épargnant ou diminuant la consommation d'antalgiques. Lors de douleurs chroniques, l'hypnose et la pratique de l'auto-hypnose donnent au patient un moyen personnel de mieux les gérer dans les activités quotidiennes. L'hypnose ne constitue pas en elle-même une thérapie, mais s'inscrit dans une prise en charge globale de la douleur.
L'hypnose clinique est une relation ou une interaction patient-thérapeute qui se déroule dans un état de conscience modifié. La forme que prend la transe, ses caractéristiques, sa profondeur, son impact dépendent du contexte social et culturel, des attentes du sujet, de ses ressources, de ses mécanismes habituels pour faire face (coping) et de son propre «talent» pour l'hypnose. Elle fait partie de la médecine psychosociale et ne constitue pas en elle-même une thérapie. Elle ne fait pas partie des médecines parallèles ou complémentaires et n'a rien à voir avec des médecines douces sans danger. En effet, sa mise en uvre maladroite ou sans les compétences requises peut entraîner des complications parfois sérieuses.
Sur le plan phénoménologique, elle a une série d'effets que l'on peut utiliser comme adjuvants ou dynamisants dans une perspective thérapeutique (tableau 1) et d'une manière plus générale, l'hypnose peut renforcer l'influence des facteurs thérapeutiques non spécifiques (dynamisation de la relation, création d'espoir, attente positive d'un changement, etc.)
Tous les domaines de la médecine sans exception peuvent bénéficier de l'apport de l'hypnose, qu'il s'agisse de l'amélioration du confort du patient lors d'investigations longues ou douloureuses par une détente agréable ou une analgésie, ou de la correction de nombreux troubles fonctionnels, sans parler des approches plus psychothérapeutiques, par exemple en psychotraumatologie. Mais c'est depuis longtemps le traitement de la douleur qui constitue le domaine privilégié de l'hypnose.1
La douleur est un phénomène complexe qui est la conséquence directe d'une perception sensorielle intégrée au sein du système nerveux central et modulée par de multiples paramètres émotionnels, cognitifs, environnementaux et culturels. Si l'effet antalgique de l'hypnose est clairement démontré par de nombreuses études tant expérimentales que cliniques, les mécanismes neurologiques sous-tendant les réponses aux suggestions hypnotiques antalgiques sont encore peu clairs. Deux écoles théoriques tentent d'expliquer les mécanismes psychologiques, l'une suggère que l'analgésie provient d'une dissociation lors de l'état de conscience modifiée alors que l'autre propose un modèle cognitivo-comportemental, soulignant la compliance du sujet à l'expérience.2 Du point de vue physiologique, plusieurs études conduites chez des volontaires sains incluant divers types de stimuli nociceptifs expérimentaux ont montré, en plus d'une diminution de l'intensité et du caractère désagréable de la douleur, une diminution par exemple du réflexe nociceptif de retrait R-III ou de l'amplitude des potentiels évoqués somesthésiques.3,4 Une étude expérimentale incluant l'imagerie cérébrale fonctionnelle a montré une diminution du désagrément provoqué par une stimulation thermique chaude à la suite de suggestions tendant à diminuer le caractère désagréable de la douleur, sans changer la perception de l'intensité.5 La modulation hypnotique du désagrément de la douleur était corrélée à des modifications de l'activité dans le cortex cingulaire antérieur sans modification d'activité des autres aires corticales activées lors de stimulations douloureuses, comme les aires somesthésiques. L'induction d'une hypnose neutre, sans suggestions, n'a pas conduit à des modifications significatives de l'activité corticale y compris dans le cortex cingulaire antérieur, ainsi qu'à des changements de l'évaluation du désagrément ou de l'intensité de la douleur. Ces résultats suggèrent qu'en présence de processus compétitifs, la prééminence de la douleur est probable à moins que des suggestions additionnelles faisant intervenir des efforts d'attention, de visualisation et/ou de mémoire par exemple soient utilisées.6
Les résultats d'une autre étude, utilisant des suggestions hypnotiques faisant appel à la mémoire et à la visualisation d'expériences personnelles plaisantes évitant ainsi une focalisation sur le caractère désagréable de la douleur, ont montré que la diminution du caractère désagréable ainsi que de l'intensité douloureuse décrite par les sujets était également corrélée à une modulation d'activité du cortex cingulaire antérieur.7 Il faut relever que les suggestions hypnotiques de ces deux études font appel dans l'hypnose soit à une focalisation de l'attention pour la première étude, soit à la mémoire et à la visualisation pour la seconde, deux phénomènes psychologiques qui pourraient en eux-mêmes moduler la perception douloureuse.8
Une revue récente de la littérature9 confirme l'efficacité «modérée à importante» de l'hypnose en analgésie. Elle apporte un plus non négligeable dans certains cas de douleurs chroniques en s'adressant à la perception douloureuse elle-même. Les techniques les plus couramment utilisées en hypno-analgésie font appel à une suggestion directe d'anesthésie (hallucination négative d'insensibilité) ou d'analgésie (distorsion de la perception ou un remplacement par une autre sensation), un déplacement de la douleur ou une dissociation.10
De plus, dans des cas bien précis, l'hypnose est un moyen d'investigation permettant de comprendre rapidement les conflits, fantasmes ou difficultés relationnelles à l'origine d'une douleur ou de sa persistance.11
Le traitement de la douleur est une des activités principales de l'anesthésiste, que la douleur soit aiguë dans la phase préopératoire, par exemple lors d'accueil en urgence de patients traumatisés, ou dans la phase per- et postopératoire ou qu'elle soit chronique, l'anesthésiste faisant généralement partie de l'équipe multidisciplinaire des «centres de la douleur». Cependant, malgré l'amélioration des connaissances des mécanismes de la douleur, du développement de la pharmacologie et des techniques antalgiques, le traitement de la douleur reste un problème mal résolu puisqu'il a par exemple été rapporté récemment que près de 50% des patients ont présenté des douleurs postopératoires sévères.12
Face à ce constat, il apparaît de plus en plus logique et légitime qu'un nombre croissant d'anesthésistes s'intéressent, en plus de l'approche pharmacologique, à une approche plus globale du traitement de la douleur, dont l'efficacité a été rapportée il y a plus de 30 ans.13 Cette approche, dont fait partie l'hypnose, doit être considérée comme une approche complémentaire et non de substitution.
L'hypno-anesthésie ou hypno-analgésie «formelle» est une approche où le phénomène hypnotique est explicité en établissant un contrat qui fixe des objectifs précis pour obtenir le consentement éclairé du patient. Cette méthode est particulièrement indiquée lorsque plusieurs interventions et anesthésies sont programmées chez le même patient, comme par exemple des pansements chez les brûlés ou des débridements de plaies chez les traumatisés. L'apprentissage de l'auto-hypnose, après 3-4 séances d'hétéro-hypnose, permet généralement au patient de se rendre rapidement autonome, et donc d'assumer ses traitements douloureux sans la présence d'un hypnothérapeute. Il ressort de notre expérience que cette approche diminue de façon significative les besoins en antalgiques et par conséquent leurs effets secondaires, et permet aux patients de devenir plus actifs, donc plus participatifs à leur traitement et d'acquérir au fil du traitement une plus grande estime d'eux-mêmes et une meilleure capacité à affronter et à surmonter leur problème de santé.
L'hypnose «informelle», qui est une méthode où des techniques hypnotiques sont utilisées sans que soit explicitement évoqué le terme d'hypnose peut, ou devrait, être pratiquée en anesthésiologie de façon routinière pratiquement chez tous les patients. Le fondement de cette approche est basé sur l'observation que le stress induit par une douleur, ou par tout acte chirurgical ou anesthésique, provoque une modification de l'état de conscience similaire à celui observé dans la transe hypnotique en augmentant ainsi la suggestibilité. Cet état «hypnoïde» spontané, qui peut être aussi induit par la simple hospitalisation, devient thérapeutique et efficace pour autant d'une part qu'il soit reconnu, et d'autre part, que des suggestions positives et réconfortantes soient données au patient. Bien entendu, si cet état «hypnoïde» n'est pas reconnu, un discours ambigu ou perçu négativement peut être mal interprété, et avoir des effets délétères surtout si des négations sont employées, comme par exemple : «vous n'aurez pas de nausées, pas de douleurs». En effet, comment ne peut-on pas penser à un éléphant rose lorsqu'on vous dit : «ne pensez pas à un éléphant rose».
L'anesthésiste a probablement une position privilégiée pour traiter de façon complémentaire la douleur de façon non pharmacologique, notamment avec l'hypnose. En effet, le fait de pratiquer son activité dans le milieu chirurgical en y développant des techniques qui permettent de supporter des stimuli douloureux intenses, le rend plus crédible et crée une attente positive auprès des patients, ceci d'autant plus que la majorité d'entre eux sont dans un état «hypnoïde» spontané.
L'intérêt des anesthésistes n'est pas fortuit ni nouveau historiquement.14Outre le fait qu'il s'adresse au problème de la douleur, l'anesthésiste est concerné, comme le praticien de l'hypnose, par les états de conscience modifiés qu'il induit pour modifier les perceptions ; il est à l'aise dans cette relation particulière avec un patient «endormi» dans une relation apparemment à sens unique.
L'utilisation de l'hypnose en pratique médicale ambulatoire fait partie d'une approche globale intégrant les dimensions psychosociales à l'évaluation clinique et technique. La palette thérapeutique du praticien de premier recours s'enrichit ainsi d'un moyen non invasif dont les indications dans ce cadre sont assez nombreuses.15
Pour le généraliste, la gestion de la douleur par l'hypnose ne peut se passer au préalable d'un examen clinique détaillé et des investigations complémentaires nécessaires pour exclure toute pathologie traitable par des méthodes incisives, médicamenteuses ou chirurgicales, tels une méningite ou un tunnel carpien pour prendre des exemples d'une douleur aiguë et chronique. Dans un deuxième temps, il n'est pas exclu de recourir à l'hypnose pour alléger des céphalées ou des dysesthésies résiduelles liées aux pathologies précitées.
On peut facilement distinguer l'application de l'hypnose dans le cadre de l'urgence de celle qu'on envisage dans les situations chroniques. En effet, l'induction hypnotique dans la première situation est facilitée, en général, par l'état de choc émotionnel lié aux circonstances de l'accident. L'entrée en matière par rapport à l'hypnose peut se faire d'une façon tacite, sans l'annoncer au patient en tant que telle, ce qui donne au praticien une liberté d'action correspondant à la diligence exigée par l'urgence (vignette 1).
Une jeune femme de 17 ans s'est présentée avec une importante plaie jugale droite de 3 cm d'origine accidentelle. En larmes, elle présentait un choc émotionnel assez important. La suture envisagée nécessitait naturellement une injection d'anesthésie locale, ce que la patiente refusa catégoriquement. L'idée d'approcher une aiguille avec une seringue de son visage lui provoquait un état d'anxiété insurmontable. Elle exprimait une phobie spécifique des injections liée à une expérience traumatisante d'un acte médical forcé dans l'enfance. Par contre, l'idée de percer la peau avec l'aiguille courbée attachée au fil de suture ne lui présentait aucune source d'angoisse. Ce genre d'aiguille n'avait aucune représentation négative pour elle. Elle insistait sur son refus de l'injection anesthésiante et sur le choix de «ne rien faire d'autre qu'un pansement», malgré les explications du risque d'une cicatrisation béante et mutilante. Le choix d'une anesthésie par l'hypnose s'avéra payant. La patiente se calma progressivement sous les suggestions de détente et d'antalgie. L'induction hypnotique était facilitée par le choc émotionnel. Le désinfectant local appliqué pour préparer la plaie à la suture avait une température relativement froide, ce qui a été utilisé comme consigne hypnotique pour renforcer la sensation de froid «anesthésiant». La suture a pu ainsi être réalisée, la patiente étant toujours assise sur le bord du lit, sans aucune anesthésie locale, dans un territoire très sensible, celui du nerf trijumeaux.16
Quant aux situations chroniques, un entretien préalable impliquant l'anamnèse détaillée, les antécédents personnels et familiaux, en passant par les hobbies et les phobies éventuels, est indispensable à l'entrée en matière, explicite, de l'hypnose. Les attentes doivent être tempérées permettant au patient de prendre sa part de responsabilité et de contrôle. La durée de la prise en charge doit être planifiée dans le temps : un plan thérapeutique peut être dressé dès la première consultation. Les objectifs sont clairement fixés et une «pause» d'évaluation du travail accompli par l'hypnose doit être également programmée après un certain nombre de séances (vignette 2). Le dénominateur commun des cas précités est celui de l'écoute active. Le rejet par le patient de l'intervention médicale proposée, explicite (injection d'anesthésiant) ou implicite (gastroscopies itératives), est à chaque fois un élément-clé qui conduit vers les causes : des circonstances psycho-affectives et des expériences du vécu du patient. Pour la patiente de la première vignette, c'est l'injection forcée de l'enfance, une phobie iatrogène assez fréquente. La phobie a pour objet la nature de l'acte médical et non l'approche d'une aiguille en tant que telle ; l'aiguille de suture a pu être utilisée sans contrainte mais sous hypnose. Le patient de la deuxième vignette est l'exemple d'une douleur chronique dont le substrat organique est prouvé à chaque récidive. Le processus pathogène, à l'origine des récidives, est celui d'un stress lié à un conflit familial non résolu. L'hypnose a donné au patient les moyens de remonter à la source du problème, de le verbaliser et d'y trouver une solution.
Un homme de 27 ans s'est présenté avec des épigastralgies chroniques depuis deux ans. Le diagnostic d'un ulcère gastrique avait été objectivé à deux reprises par deux gastroscopies effectuées durant les 18 mois précédant la consultation. Le bilan gastroentérologique avait conclu à un ulcère récidivant sans surinfection par Helicobacter pylori ce qui avait conduit à un traitement de type anti-H2. A chaque arrêt de traitement, les douleurs réapparaissaient motivant la reprise du traitement. Le patient se plaignait de la prise ininterrompue des médicaments et exprimait une frustration face à une telle dépendance à son âge. Ses antécédents étaient simples et il ne souffrait pas d'autres problèmes chroniques. D'emblée, l'hypnose lui a été présentée comme une aide et non comme un traitement pouvant remplacer la prise médicamenteuse. Les deux premières séances, à un intervalle d'une semaine, ont visé à retrouver l'équilibre digestif de la période précédant l'apparition des symptômes. Aucune consigne hypnotique de diminution ou d'annulation de la douleur n'a été exprimée devant le risque de manipuler un signal d'alarme au détriment d'une perforation potentielle d'un ulcère prouvé. A la fin de la deuxième séance, le patient parlait d'un conflit familial avec son père, concomitant à l'apparition des symptômes digestifs. A la troisième consultation, le patient était plus calme et décrivait une amélioration de son sommeil. Il signala également une prise intermittente de son traitement anti-H2, par oubli, sans douleurs alarmantes. La troisième séance visait la recherche «d'un équilibre nouveau» toujours sans faire allusion à la douleur d'une façon directe. Deux semaines plus tard, le patient raconta sa rencontre avec son père après la longue période de rupture. Il signalait également un espacement de la prise des anti-H2 sans récidive des douleurs épigastriques. Deux autres séances ont visé le renforcement global de «l'équilibre retrouvé». Un an et demi s'est passé avant qu'un début de récidive des épigastralgies n'apparaisse dans un contexte de stress professionnel. Une séance de «rappel» a permis de «retrouver l'équilibre» et jugulé la symptomatologie sans recours à la médication. La catamnèse à quatre ans est toujours sans signes de récidive.
Chez un certain nombre de patients particulièrement «doués» pour l'hypnose, l'apprentissage de l'auto-hypnose pour une douleur chronique doit se faire avec certaines précautions. En effet, ayant apprécié l'efficacité de l'état hypnotique, il n'est pas difficile à de tels patients de recourir à l'auto-hypnose pour atténuer des douleurs dont le diagnostic n'a pas été encore établi.
Chez les praticiens de premier recours, l'importance de la douleur comme motif majeur de consultation associée à l'augmentation des problèmes psychosomatiques amène à envisager de développer l'hypnose dans ces domaines. A cela peut aussi s'ajouter une dimension économique, cette dernière étant devenue une préoccupation majeure ces dernières années. Les exemples précités démontrent, indirectement, des économies réelles ou potentielles liées à l'utilisation de l'hypnose. En effet, le jeune patient n'a plus nécessité de gastroscopie, et pour la jeune femme, le coût d'une anesthésie locale a pu être épargné.
Si l'efficacité antalgique de l'hypnose est reconnue depuis de nombreuses années en clinique, ce n'est que récemment que des études expérimentales utilisant des méthodes d'investigation pointues viennent le confirmer et tentent d'élucider les mécanismes sous-tendant les effets des suggestions hypnotiques.
En pratique clinique, le thérapeute, par des suggestions adaptées au patient et à la situation clinique, peut modifier les perceptions douloureuses pour obtenir selon les besoins : une anesthésie en vue d'un geste diagnostique ou thérapeutique ou une antalgie permettant une meilleure gestion des douleurs dans le quotidien. L'hypnose, n'étant pas une thérapie en soi, s'insère dans une prise en charge globale de la douleur, elle ne doit pas être considérée comme unique moyen «magique» contre la douleur. Cette approche doit être utilisée par des thérapeutes formés non seulement aux diverses techniques mais également à l'éthique telle que définie par la Société internationale d'hypnose.
Dans le but de promouvoir cette philosophie de l'hypnose médicale, des praticiens hospitaliers et extra-hospitaliers ainsi que des psychologues ont formé le «Groupe d'hypnose des Hôpitaux universitaires de Genève». Il faut relever que, contrairement à ce qui s'est passé ailleurs en Suisse, et même en Europe, où l'hypnose s'est propagée surtout en marge des milieux universitaires, la démarche genevoise a eu le privilège de pouvoir se développer dans des départements universitaires. Les membres de ce groupe se réunissent régulièrement pour discuter de façon multidisciplinaire de situations cliniques difficiles et partager des projets de recherche. Les membres formateurs du groupe assurent également une formation pour l'obtention du certificat d'aptitude technique pour l'exercice de l'hypnose médicale reconnu par la FMH.