Resteront-elles longtemps dans notre langue ces étranges formules directement issues de l'affaire de la vache folle ? Faute de pouvoir les connaître toutes, on en retiendra deux qui, sous diverses formes, ont à voir l'une avec l'abattage systématique du troupeau, la seconde avec les farines carnées de viandes et d'os. On parle ainsi désormais, pour évoquer une anomalie, une difformité ou une pathologie majeure de quelqu'un qui a été «nourri aux farines animales» et, pour désigner une action drastique, on plaisante sur le thème «un seul était contaminé mais ils ont abattu tout le troupeau». Abattre ou non tout le troupeau ? Telle est en France la question prioritaire en ce début de juillet caniculaire. On parle bien évidemment ici de cette mesure préventive et réglementaire mise en uvre depuis dix ans et qui veut que, lorsqu'un diagnostic d'ESB a été fait sur un animal, toutes les bêtes de l'élevage où il se trouvait soient abattues et détruites. Cette disposition drastique aura conduit à l'abattage préventif de plus de 30 000 bovins apparemment sains mais dont on pouvait raisonnablement penser qu'ils ne l'étaient pas. L'affaire, qui suscitait une opposition grandissante ces derniers mois, a pris une nouvelle dimension avec la mise en uvre, depuis le début de l'année, du dépistage systématique des bovins âgés de plus de trente mois et, depuis peu, de vingt-quatre mois.Pourquoi abattre et détruire alors qu'en toute hypothèse ces animaux seront testés avant d'entrer dans la chaîne alimentaire ? Pourquoi ne pas en finir avec cette pratique d'un autre âge qui n'est pas même recommandée par l'Union européenne ? Jusqu'à quand la France fera-t-elle du jusqu'au boutisme sanitaire et de la précaution exacerbée ? Belles et bonnes questions qui, à l'heure estivale où nous écrivons ces lignes, n'ont pas de véritables réponses. Interrogé à échéance régulière sur ce sujet, le ministre français de l'Agriculture expliquait qu'il n'était pas opposé au passage à l'abattage partiel mais qu'il attendait, avec sagesse, l'«avis des scientifiques». Or les scientifiques ont parlé et cela n'a guère plu au ministre. L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments vient ainsi de dire, avec de très nombreuses précautions, dans quelles conditions le gouvernement pourrait mettre en uvre un abattage partiel. Reprenant les termes des sages conclusions d'une majorité des experts du comité présidé par le Pr Dominique Dormont, Martin Hirsch, directeur général de cette Agence, fournit différents scénarios tout en mettant en garde contre ce qui constituerait des failles dans le dispositif de vigilance sanitaire. Etait-ce trop ?Interrogé sur les conclusions qu'il tirerait de cet avis, Jean Glavany a, curieusement, annoncé qu'il avait besoin de temps pour examiner ce texte «compliqué, pas clair». «D'abord, j'ai besoin de le lire et de le relire, de demander des explications, de faire des explications de texte pour mieux le comprendre parce qu'il est très touffu et pas simple», a déclaré le ministre. Il a aussi précisé que la décision ne dépendait pas de son seul ministère, ajoutant qu'il en discuterait avec ses collègues de la santé, Bernard Kouchner, et de la consommation, François Patriat. «Je veux aussi en parler avec les producteurs, avec les représentants des éleveurs, avec les organisations professionnelles agricoles et avec les consommateurs, a-t-il ajouté. Tranquillement, nous allons faire ces consultations interministérielles avec les producteurs, avec les consommateurs dans les jours qui viennent. J'espère que nous allons prendre une décision vite après». Huit jours plus tard, aucune décision n'a été prise et l'affaire, dit-on, sera tranchée qu'«en très haut lieu», ce qui en langage clair signifie l'Hôtel Matignon et les services du premier ministre, voire par Lionel Jospin en personne.Un ministre de l'Agriculture qui s'indigne et voudrait voir des scientifiques lui indiquer des «feux verts» ou des «feux rouges», l'organisation d'une consultation citoyenne visant clairement à prendre le pouls de la Nation autant qu'à diluer les responsabilités, l'entrée en scène du chef du gouvernement
La question est-elle si grave ? Elle est en tout cas bien plus complexe qu'il n'y paraît. Si, d'un strict point de vue statistique, il n'y aurait guère de risque à suivre l'un ou l'autre des scénarios dessinés par Martin Hirsch, il n'en va pas de même d'un point de vue symbolique. En finir avec l'abattage systématique, c'est prendre le risque d'une nouvelle crise, l'opinion ne comprenant pas que l'on fasse sauter un verrou mis en place depuis dix ans à un moment où l'on continue à recenser des cas d'ESB. C'est aussi prendre des risques économiques à l'exportation, les marchés étrangers pouvant toujours arguer que la France baisse sa garde. C'est, enfin, brouiller l'image d'un gouvernement arc-bouté sur le principe, sacré autant que républicain, de précaution avec tous les dangers politiques que l'on imagine. Attendons, patiemment, les augures.D'Athènes, ce 2 juillet : un premier cas de vache folle a été détecté en Grèce, dans la région de Kilkis, a annoncé aujourd'hui le ministre grec de l'Agriculture, Georges Anoméritis. La bête atteinte est une vache laitière de race Holstein née en novembre 1996, a précisé le ministre lors d'un point de presse à l'issue d'une réunion du Conseil scientifique consultatif. Le ministère avait dans un premier temps annoncé qu'il s'agissait d'un mâle. L'animal a été repéré dans un abattoir de Serres, capitale du département de Kilkis, et provient d'un élevage du village de Pontoiraklia, dans la même région. Tous les animaux du troupeau concerné, soit cent vaches et quarante-six veaux ont été abattus puis incinérés, a indiqué M. Anoméritis. Douce Grèce qui organise ses premiers bûchers sans se soucier un instant des migraines hexagonales.