Les principes classiques de la réadaptation nécessitent un réajustement chez la personne âgée : en effet, de nouvelles dimensions entrent en considération, auxquelles le médecin doit accorder une importance majeure : les comorbidités, les troubles cognitifs et psychiatriques, la démotivation et la fragilité des patients âgés sont autant de facteurs limitant les objectifs et les gains possibles. Cet article revoit dans quelle mesure ces éléments influencent la réadaptation de la personne âgée et comment il est possible de l'optimiser.
Dans le domaine gériatrique, la réadaptation après un événement déstabilisant tel qu'une maladie aiguë, un accident ou encore une opération revêt un caractère particulier. En effet, la fragilité et la réduction des réserves physiologiques du patient âgé induisent une diminution fonctionnelle rapide et souvent sévère rendant toute indépendance momentanément illusoire. De plus, la récupération de l'état antérieur sera généralement nettement plus ardue que chez le jeune. Dans cet article, les particularités de la réadaptation du sujet âgé sont discutées et quelques propositions sont faites, sur la base de la littérature existante et notre propre expérience.
La réadaptation consiste dans sa définition en un processus structuré d'évaluation et d'intervention permettant de diminuer ou de pallier les déficiences, les incapacités et les handicaps, consécutifs à une atteinte à la santé.1Son objectif est la restauration des capacités individuelles dans le but de permettre au sujet d'atteindre le niveau optimal de qualité de vie tenant compte de ses moyens.
Il nous paraît important, en préambule, de rappeler les bases conceptuelles actuelles du déclin fonctionnel, fondées sur le processus dynamique et évolutif de la cascade vers la dépendance (fig. 1).
Selon ce concept, toute pathologie (processus pathologique de base) peut aboutir à une déficience (anomalie située au niveau de l'organe), aboutissant elle-même à une incapacité (limitation fonctionnelle au niveau de l'activité physique ou psychique). Au stade ultime, le processus limite le patient dans son rôle et ses activités sociales, définissant ainsi le handicap.
Exemple : la gonarthrose (pathologie), longtemps méconnue car asymptomatique, entraîne, après quelques années des symptômes gênants, sous forme de douleurs, de limitation articulaire et de raideur (déficience). A la longue, différentes difficultés peuvent surgir telles que des troubles de la marche, une boiterie ou des difficultés à l'habillement par exemple (incapacité). Les conséquences finales de cette pathologie, non traitée, peuvent être dramatiques pour le patient avec un isolement social, l'impossibilité de faire ses courses, etc. (handicap).
Cette approche a l'avantage de permettre une évaluation fonctionnelle du sujet âgé, nettement plus rentable en informations pratiques. En effet, même si les diagnostics causal et anatomo-pathologique des maladies sont essentiels, ils restent insuffisants si les incapacités et les handicaps qu'elles engendrent ne sont pas reconnus. Le concept biomédical de la santé est orienté directement sur la compréhension de la cause ; il est applicable aux processus linéaires ou d'origine monocausale. Le modèle bio-psychosocial quant à lui s'adresse plus volontiers au fonctionnement et à la qualité de vie, ainsi qu'au milieu dans lequel le processus se développe. Le diagnostic fonctionnel est donc nettement plus adapté aux réalités du terrain et c'est de cette approche que s'inspire la réadaptation gériatrique.
En effet, les médecins semblent plus familiers avec les pathologies et les déficiences («le diagnostic») alors que les patients avec maladies chroniques sont plus gênés par les conséquences de leur problème (l'incapacité et le handicap).3
Dans cette vision dynamique de la dépendance, la réadaptation (comme toute autre intervention médicale) jouera un rôle de prévention tertiaire, visant à limiter ou éviter les répercussions des atteintes d'organe sur les capacités fonctionnelles et le rôle social du patient.4
Devant toute situation nécessitant une réadaptation, il est primordial d'évaluer dès le départ l'impact fonctionnel qu'engendre la pathologie, en utilisant une échelle de dépendance. L'index de Barthel, par exemple, simple et rapide d'utilisation, est largement répandu et permet de se faire une idée du degré de dépendance du patient dans les activités de base de la vie quotidienne.5 Graduée de 0 à 100, cette échelle peut être remplie par un soignant en deux à trois minutes. Une valeur inférieure à 60 est peu compatible avec une vie complètement indépendante.
Outre l'importance de la dépendance, le Barthel permet d'identifier quels sont les domaines les plus touchés (toilette, habillage, mobilité, alimentation, continence) et de cibler l'intervention. Il sert aussi de valeur de base à laquelle il sera aisé de se rapporter pour évaluer les progrès.
Bien évidemment, d'autres échelles plus spécifiques doivent être utilisées dans l'évaluation initiale, selon le type de pathologie rencontrée, mais ce sujet dépasse le thème de cet article. L'objectif pragmatique étant la récupération d'une indépendance, quasi synonyme de qualité de vie, l'index de Barthel quant à lui sera grandement utile dans toutes les situations.
Particulièrement chez le sujet âgé, les répercussions des déficits se font à plusieurs niveaux (médical, psychologique, fonctionnel, social) rendant la présence d'une équipe multidisciplinaire indispensable. Celle-ci, par l'approche globale qu'elle autorise, tisse un réseau relationnel thérapeutique autour du patient, le soutenant et l'accompagnant dans un processus de soins où sont concernées toutes les facettes de sa personnalité. Selon la littérature,6une équipe optimale devrait comprendre un ergothérapeute, un physiothérapeute, un assistant social (ou une infirmière assurant la liaison avec le secteur médico-social), un neuropsychologue, l'équipe infirmière et le médecin. Un consultant en médecine physique et réadaptation et un logopédiste doivent être disponibles. Le rôle spécifique de l'équipe est discuté plus bas.
On regroupe les candidats à une réadaptation gériatrique en quatre groupes, en fonction de leur problème médical et de leur pronostic.6
1. Les patients avec des déficits mineurs ne nécessitant pas de mesures de réadaptation excessives : on inclut dans ce groupe les patients avec tassement vertébral par exemple. Ils sont des candidats à une récupération complète.
2. Les patients avec des déficits plus sévères, nécessitant des mesures plus intensives comme, par exemple les patients avec fracture du col fémoral. Ils sont des candidats à une récupération quasi complète dans la majorité des cas.
3. Les patients avec un déficit fonctionnel (incapacité) potentiellement permanent mais stable. On y inclut les status après accident vasculaire cérébral ou les amputations. Dans ce groupe, de gros gains fonctionnels sont prévisibles, cependant sans récupération complète.
4. Les patients avec une incapacité s'aggravant progressivement tels que les parkinsoniens, les déments ou encore les patients avec maladie cardiaque ou pulmonaire sévère. Le but de la réadaptation, dans ces situations, est de maintenir ou d'optimiser au mieux les fonctions résiduelles.
Face au flot d'admissions en milieu gériatrique, aux diversités des pathologies et au coût représenté par leur prise en charge, il est nécessaire de sélectionner au mieux les indications à la réadaptation. L'adéquation de la réadaptation dépend évidemment de l'objectif qu'on se propose d'atteindre.
Cet objectif est fonction des données scientifiques de la littérature, et notamment du pronostic de l'affection de base, lorsqu'il est bien documenté par des études à grande échelle : par exemple, la mortalité après un accident ischémique cérébral est directement influencée par la sévérité du déficit neurologique, l'âge du patient et la présence de troubles de la vigilance ; le pronostic est aussi moins bon en cas d'atteinte du membre inférieur.7
La récupération dépendra aussi des ressources professionnelles disponibles (formation, motivation, fréquence de la prise en charge) comme cela a pu être prouvé avec les stroke units, qui améliorent la survie à long terme, la qualité de vie et diminuent la fréquence des placements.8
La stabilité médicale du patient est un élément à prendre en compte : un certain délai, propre aux pathologies spécifiques est recommandé avant d'entreprendre la réadaptation ; celui-ci doit être le plus court possible, étant donné les conséquences dramatiques de l'immobilisation prolongée chez l'âgé. Ainsi, les spécialistes en gériatrie orthopédique insistent sur la nécessité d'une mobilisation articulaire précoce en raison des risques d'engourdissement, de raideur, d'ostéoporose et de douleurs prolongées.9
La présence de comorbidités est quasiment la règle dans le grand âge, les patients souffrant volontiers de pathologies intriquées. Elles entravent sévèrement la réadaptation dans la grande majorité des cas : il suffit à cet égard d'imaginer les difficultés de réadaptation d'une fracture du col du fémur engendrées par une arthrose des poignets.
La reconnaissance initiale des comorbidités est aisée lorsqu'elles sont établies par l'évaluation de base. Cependant, on peut par exemple voir apparaître une angine de poitrine sévèrement limitante avec parfois des complications cardiovasculaires importantes, révélée à la faveur d'une physiothérapie intensive. A ce titre, il est utile de savoir que la physiothérapie de remobilisation est coûteuse en énergie (tableau 1), ce dont il faut tenir compte chez un patient aux réserves limitées.
La présence de comorbidités favorise l'irruption de complications (pneumonie, thrombose veineuse, escarres) qui brisent l'élan pris dans une réadaptation ; de tels événements nécessitent parfois l'interruption de celle-ci. Ces complications apparaissent par ailleurs plus fréquemment du fait des durées de séjour classiquement plus longues dans cette population. La fréquence élevée des troubles psychiatriques, secondaires à l'hospitalisation, comme l'état dépressif ou l'état confusionnel sont des exemples de déstabilisation d'une grande banalité en milieu gériatrique, rendant toute approche réadaptative peu efficace.
Les troubles cognitifs, d'une fréquence également très élevée chez l'âgé, sont à l'origine de difficultés de réadaptation tout en étant parfois la cause de l'événement impliquant celle-ci. Un screening simple (par exemple le Mini-Mental Status) est recommandé comme test de dépistage. Face à ces patients, les qualités professionnelles de l'équipe doivent impérativement se doubler de qualités humaines, d'empathie et d'écoute permettant une adaptation aux limites cognitives des patients. Parfois au contraire, c'est le comportement du patient (en ergothérapie par exemple) qui permet de révéler un trouble cognitif méconnu auparavant.
Même si les troubles cognitifs ralentissent la réhabilitation, les patients démentifiés font des progrès en réadaptation, notamment grâce à l'approche multidisciplinaire. Dans une étude cherchant à connaître l'influence de l'état cognitif sur la réadaptation, les patients atteints d'un déficit modéré à moyen ont progressé mais se sont montrés moins susceptibles de maintenir leurs acquis sur le long terme en l'absence de mesures de réadaptation.11
Ces éléments sont utiles à connaître lorsqu'on est confronté à des difficultés de justification des prestations de physiothérapie auprès des médecins-conseils de caisses-maladie.
Quoi qu'il en soit, les démences avancées doivent inciter à établir des objectifs de réadaptation adaptés et rationnels.
Le succès d'une réadaptation est avant tout une affaire de motivation : selon la théorie de Kemp,12 la motivation est directement proportionnelle à la volonté, à la confiance et au gain présumé ressentis par le patient (volonté d'accomplir des progrès, confiance dans l'efficacité de la prise en charge, gains attendus) (fig. 2). Elle est d'autant plus faible que les coûts, compris sous la forme «d'investissements personnels» sont perçus comme élevés. Il importe donc de prendre en compte les objectifs propres du patient et les efforts qu'il est prêt à fournir pour les atteindre.
Les principaux problèmes rencontrés en réadaptation proviennent de troubles dépressifs et de syndromes régressifs (syndrome de régression psychomotrice ou de glissement). Typiquement caractérisés par une baisse de la motivation, ils nécessitent une reconnaissance précoce (par exemple par l'application d'une échelle de dépression gériatrique). Le syndrome de régression psychomotrice se présente souvent, quant à lui, par un désintérêt pour la rééducation, un arrêt dans la progression, accompagné de troubles posturaux typiques.13 Les patients ne présentent pas d'éléments dépressifs majeurs, ils ne ressentent tout simplement plus la volonté de poursuivre la réadaptation, se sentant mieux dans la stagnation. La prise en charge de ces situations fréquentes nécessite tout d'abord la capacité de reconnaître ce syndrome, une attitude globale adaptée (diminution temporaire des exigences, attitude soutenante non stimulante), une médication sérotoninergique et une physiothérapie travaillant principalement sur l'équilibre et la posture.
Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (et semble-t-il les dopaminergiques), améliorent en effet la capacité décisionnelle, la coopération et la motivation, tout au moins dans les réadaptations post-accident vasculaire cérébral.14
Dans le domaine de la réadaptation, le patient plus qu'ailleurs en médecine est son propre thérapeute. Il est seul en mesure de puiser dans ses propres réserves les moyens d'atteindre l'objectif qu'il s'est fixé avec l'équipe médicale. Malgré toute l'énergie apportée par les partenaires, il lui revient de prendre à son compte le travail de réadaptation. Un tel objectif nécessite une démarche essentielle d'information de la part des thérapeutes sur les objectifs, les moyens utilisés, le bien-fondé de l'attitude, etc. Cette information reste semble-
t-il encore trop imparfaite. Une étude suisse, s'intéressant à ce sujet, a démontré que plus d'un tiers des patients en réadaptation (intacts sur le plan cognitif) ignorent partiellement ou totalement leurs diagnostics et leur traitement.15
Il apparaît donc primordial face au patient âgé de l'informer de façon simple sur le programme de rééducation, en évoquant des objectifs concrets : les fonctions entraînées doivent être liées à la vie de tous les jours pour être plus rapidement acquises («nous nous rendons aux WC puis à la cafétéria retrouver vos enfants» et non «nous allons marcher», de signification vide pour le patient). Un feedback doit être donné le plus souvent possible au patient, ses progrès doivent lui être régulièrement communiqués et ses connaissances vérifiées. Une attitude recommandée est celle d'aborder les difficultés sous forme de potentialités plutôt que sous forme de déficits («vous pouvez encore faire ceci» et non «vous ne pouvez plus faire cela»). L'adhésion du patient et sa motivation seront donc bien meilleures si les objectifs sont appropriés (par rapport au problème et aux caractéristiques du patient), négociés, clairement communiqués et réalistes.
Tout patient subissant un déclin fonctionnel, de quelque origine que ce soit, va développer des modifications psychologiques proches de celles qui se rencontrent dans le deuil (déni, protestation, révolte, etc.) qui sont des entraves à la réadaptation. Le travail de l'équipe multidisciplinaire trouve ici une de ses spécificités, qui consiste à mobiliser les ressources restantes pour stimuler un patient vivant cette phase difficile.
Les proches et la famille jouent un rôle essentiel dans la réadaptation du sujet âgé : en effet, l'image de soi que le patient donne à sa famille peut être ressentie comme humiliante ; d'un autre côté, le patient souffre parfois d'un manque de compréhension de ses problèmes par ses proches ; enfin, la famille peut éprouver de réelles angoisses en imaginant la charge de travail qui l'attend à la sortie. De tels éléments constituent des freins possibles aux progrès. Ils doivent être précocement abordés avec le patient et ses proches.
L'équipe multidisciplinaire est particulièrement utile dans la réunion et la confrontation. En effet, c'est de la synergie des individualités réunies en groupe qu'émane la vraie utilité de la réadaptation pour le patient. C'est lors des réunions de l'équipe, centrée sur le patient, que ressortent les informations déterminantes pour la suite. La confrontation des informations amenées lors de ces réunions par les différents protagonistes permet la correction de données par le groupe, l'adhésion à un modèle de prise en charge, la participation interactive, le développement d'idées et la garantie du respect du malade dans l'ensemble de ses dimensions.
Un avantage supplémentaire réside dans le fait que les objectifs visés peuvent aussi être réalisés par d'autres membres de l'équipe (poursuite d'une activité spécifique en l'absence de certains partenaires).
En dépit de tout ce qui a été dit, le patient n'a qu'un seul objectif final, celui de retourner à domicile. Ce désir farouche de retourner à domicile est un élément à utiliser au profit de la réadaptation, notamment grâce au travail de l'ergothérapeute. L'ergothérapeute est certainement le partenaire qui évalue au mieux les capacités fonctionnelles d'un individu en rapport avec ses déficits. Au bout de la chaîne en quelque sorte, il (ou elle) observe le patient dans les activités de la vie quotidienne : dans la mesure du possible, il comble les déficits propres au patient par une adaptation du milieu, soit par des moyens de compensation (moyens auxiliaires), soit par des interventions dans l'environnement du patient (adaptation de l'environnement au sujet). L'environnement représente en effet pour un patient en réadaptation un monde de barrières physiques et psychologiques susceptible de diminuer ses capacités et sa qualité de vie.
En pratique, l'évaluation du domicile, par l'ergothérapeute, en présence du patient, peut alors donner de nombreux renseignements supplémentaires et apporter un coup de pouce supplémentaire à la motivation.
Une autre technique souvent utilisée est ce que nous appelons «le retour à l'essai» : une fois la réadaptation apparemment terminée, le patient quitte l'hôpital pour le domicile, son lit restant libre pour une réhospitalisation à tout moment, ceci pour une durée de trois jours environ.
Une conception spécifique de la réadaptation chez la personne âgée s'est progressivement mise sur pied ces dernières années, grâce à l'épanouissement de la médecine gériatrique. Ce type de réadaptation dont les principes sont rappelés dans cet article a démontré une réelle efficacité et ceci dans de nombreuses études contrôlées, avec des améliorations fonctionnelles très nettes et des séjours hospitaliers raccourcis, pour autant que les patients aient été sélectionnés.16,17
Les grands principes de la réadaptation restent les mêmes que pour le patient jeune : stabilisation du problème initial, prévention des complications secondaires, restauration des capacités fonctionnelles, adaptation du sujet à l'environnement et de l'environnement au sujet, intégration des proches. Par contre, les problèmes propres à la personne âgée que sont les comorbidités, les troubles cognitifs et les troubles de la motivation en particulier rendent nécessaire une approche plus globale, à la fois médicale, sociale et psychologique. Grâce à la prise en charge multidisciplinaire, les besoins globaux sont estimés et les objectifs adaptés en tenant compte des potentiels du patient, et en s'attachant à le garder au centre du processus décisionnel.