Comment, dans le brouhaha de la biologie que l'on dit sans cesse triomphante, situer l'essentiel de l'accessoire, le réellement prometteur du banal éphémère ? La question n'est certes pas nouvelle. Elle s'impose tout particulièrement dans le domaine de ce qu'il est désormais convenu de nommer les «cellules souches» et tout particulièrement, pour des raisons éthiques autant que thérapeutiques, des cellules souches des tissus différenciés. On sait depuis près de trois ans qu'il pourrait être possible de faire l'économie de cellules embryonnaires dans l'optique de la mise au point d'une médecine régénératrice. Il existe en effet des cellules au fort potentiel régénératif capables de persister dans de nombreux tissus, y compris ceux constituant un organisme adulte.«Ces cellules souches, initialement considérées comme irréversiblement engagées dans une voie de différenciation donnée, sont en réalité d'une plasticité beaucoup plus importante qu'on ne l'imaginait, explique le Pr Axel Kahn (Département de génétique Institut Cochin de génétique moléculaire, Paris) dans les colonnes du mensuel franco-québécois Médecine/Sciences. Les articles se multiplient aujourd'hui pour démontrer qu'existent dans la zone sous-ventriculaire du système nerveux central des cellules souches neurales qui, chez l'adulte, entretiennent une neurogenèse continue.1,2 Dans certaines expériences, ces cellules souches neurales se sont révélées capables de se différencier en cellules de divers types.3 Une population à 80% homogène de cellules souches neurales a pu être isolée de souris adultes, par fractionnements cellulaires à partir de la paroi des ventricules latéraux. Un tiers de ces cellules semble résider dans la couche épendymaire, les deux tiers restant dans la région sous-épendymaire. La multipotence de cette population est illustrée par sa possible différenciation, in vivo, en neurones et cellules gliales et, ex vivo, également en myotubes».Il faut ajouter que des cellules souches neurales ont aussi été isolées de cerveaux humains, y compris adultes. Une réserve doit, ici, être faite, le nombre de ce type de cellules semble diminuer avec l'âge. On a d'autre part appris, ces derniers mois, l'extraordinaire plasticité d'éléments cellulaires que l'on croyait engager dans un processus irréversible de différenciation. Des cellules souches hématopoïétiques peuvent ainsi, au-delà de leur capacité à donner naissance aux différents éléments du sang, «donner» du muscle, du foie, jusqu'à du tissu nerveux. Certains sont aussi parvenus à isoler, à partir du muscle, des éléments cellulaires capables de repeupler une moelle osseuse.«La moelle contient également des cellules souches mésenchymateuses qui peuvent engendrer du cartilage, de l'os, des tendons, du tissu adipeux, du muscle et des cardiomyocytes,4,5 souligne encore Axel Kahn. De spectaculaires résultats ont ainsi été publiés par greffe de différentes populations de cellules médullaires dans des curs de rats lésés par cryolésion ou ischémie expérimentales. La peau et le derme constituent à l'évidence un tissu d'accès facile, et dont l'utilisation pour la reconstitution ex vivo de peau greffée chez les brûlés est déjà ancienne. C'est dire le considérable intérêt de la publication démontrant le potentiel prolifératif et la multipotentialité de cellules souches dermiques de souris».6Des «skin-derived precursors», cellules souches murines peuvent se différencier en neurones, cellules gliales, cellules musculaires lisses et adipocytes. Des précurseurs prélevés sur des scalps humains auraient eux aussi le pouvoir de se différencier en neurones. On peut ainsi parier, avec le Pr Kahn, que dans les années qui viennent, d'autres sources de cellules progénitrices dotées d'une certaine plasticité de différenciation seront très vraisemblablement dévoilées. «Ainsi, la solution de la thérapie cellulaire est-elle peut-être en chacun d'entre nous» prophétise-t-il. La voie est-elle encore longue ? Nul ne peut raisonnablement répondre à la question. De la même manière, on voit encore assez mal quelle pourrait être ici l'articulation entre la manipulation de l'échelon cellulaire et celui, moléculaire, issu notamment des programmes de génomique fonctionnelle. Et dans ce cortège prometteur d'incertitudes et d'interrogations, nul ne sait s'il conviendrait de n'investir que dans les cellules souches des tissus différenciés ou travailler de front sur les cellules souches embryonnaires avec tous les risques inhérents à la réification de l'embryon humain.1 Doetsch F, Caillé I, Lim DA, et al. Subventricular zone astrocytes are neural stem cells in the adult mammalian brain. Cell 1999 ; 703-16.2 Goudl E, Reeves AJ, Graziano MSA, Gross CG. Neurogenesis in the neocortex of adult primates. Science 1999 ; 286 : 548-52.3 Clarke DL, Johansson CB, Wilbertz J, et al. Generalized potential of adult neural stem cells. Science 2000 ; 228 : 1660-3.4 Pittenger MF, Mackay A, Beck SC, et al. Multilineage potential of adult human mesenchymal stem cells. Science 1999 ; 284 : 143-7.5 Liechty KW, Mackenzie TC, Shaaban AF, et al. Human mesenchymal stem cells engraft and demonstrate site-specific differentiation after in utero transplantation in sheep. Nat Med 2000 ; 6 : 1282-6.6 Toma JG, Akhavan M, Fernandes Karl JL, et al. Isolation of multipotent adult stem cells from the dermis of mammalian skin. Nat Cell Biol 2001 ; 3 : 778-84.