Tourmente sur le front des brevets et questions philosophiques éternelles, nouvellement formulées, touchant au vivant et à l'argent, à la médecine et à la mort. A Paris, le célèbre Institut Curie a pris la décision de partir ouvertement en guerre contre le monopole qu'il estime «abusif» dont jouit la firme américaine Myriad Genetics dans le secteur des tests génétiques de prédisposition aux cancers du sein et de l'ovaire. Et Curie de faire savoir qu'il entendait obtenir que ce monopole ne s'applique pas dans l'ensembles des pays du Vieux Continent. L'affaire est d'importance : l'initiative de l'institut parisien, spécialisé dans la lutte contre le cancer, a reçu le plein soutien des ministres de la Recherche et de la Santé, Roger-Gérard Schwartzenberg et Bernard Kouchner, et de sociétés savantes uvrant dans le champ de la génétique médicale.«L'utilisation du brevet par Myriad Genetics constitue un véritable abus» commente un conseil en propriété industrielle consulté par l'Institut. Deux arguments sont avancés : le manque de fiabilité du test commercialisé (10 à 20% des mutations ne sont pas détectées par cette méthode) et son caractère novateur dans la mesure où il existait des méthodes de détection avant l'arrivée sur le marché du test de Myriad. Ajoutons à cela, et ce n'est pas mince, que le test est facturé par Myriad firme basée à Salt Lake City 2400 dollars (18 000 francs français, 2744 euros) alors que son coût véritable serait de l'ordre de 5000 FF (762 euros). Le test prédictif actuellement pratiqué en France revient aujourd'hui à environ 750 euros, pris en charge intégralement par les caisses de sécurité sociale. Pour le dire autrement, les prétentions commerciales de Myriad Genetics engendreraient chaque année en France une dépense supplémentaire de 36 millions de francs (près de 5,5 millions d'euros). Et l'Institut Curie d'ajouter que cette menace concerne désormais toute l'Europe.L'Institut explique refuser de se plier à pareil diktat, rejoint en cela par les 17 laboratoires français qui pratiquent ces tests de prédisposition et conseillent les familles à risque. On sait que ces méthodes visent les formes héréditaires de la maladie qui représentent moins de 10% des quelque 34 000 nouveaux cancers du sein survenant chaque année en France. Une publication signée du Dr Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique oncologique de l'Institut Curie du Journal of Medical Genetics montre les importantes failles de détection du test industriel américain. «Les revendications de Myriad conduisent à une situation de monopole qui serait une entrave à la recherche, opposée aux intérêts de la santé publique, préjudiciable pour les femmes à risque et contraire à notre conception de la médecine» commente encore l'Institut. Ce dernier postule que comme pour les thérapies du sida, Myriad pourrait un jour se retrouver confrontée à la procédure de «licence obligatoire» déclenchée par des pays qui voudront donner un accès aux tests sous d'autres conditions que celles que la firme entend imposer au monde.«Une telle confrontation s'est déjà produite aux Etats-Unis mais n'a pas débouché sur une contestation du brevet» explique Maurice Cassier, sociologue au CNRS, interrogé par l'Agence France-Presse. Résultat : des chercheurs et des laboratoires universitaires ont renoncé à faire ces tests, abandonnant le monopole de leur réalisation à Myriad Genetics sans aucune contre-expertise scientifique. La contestation de l'Institut Curie sera déposée auprès de l'Office européen des brevets avant le 9 octobre, date limite du recours. «Par sa portée excessivement large, le brevet délivré par l'Office européen des brevets à Myriad Genetics confère à cette société un monopole abusif d'exploitation des tests de prédisposition aux cancers du sein» a souligné M. Schwartzenberg. Pour le Dr Dominique Stoppa-Lyonnet, ceux qui auraient recours à d'autres techniques de diagnostic de mutations s'exposeraient.L'Office européen des brevets de Munich va-t-il devenir le nouveau point géométrique de notre éthique ? Sans aucun doute. Cette instance trop méconnue a ainsi rejeté il y a quelques jours un recours déposé contre un brevet accordé à l'Université de Stanford (Etats-Unis) pour l'implantation de cellules ou d'organes humains sur des animaux. Le brevet EP 322240 va permettre de breveter la création de chimères, murins dotés de cellules sanguines humaines ou singes équipés de neurones humains. L'organisation écologiste Greenpeace, à l'origine, avec d'autres plaignants, du recours, s'indigne. L'Office, qui dit se fonder sur la nouvelle directive européenne en matière de brevets, explique que sa décision résulte des applications possibles dans la lutte contre différentes maladies comme le sida ou contre la pénurie d'organes pour les transplantations et qu'à ce titre ce brevet ne pouvait être rejeté.L'Office des brevets a aussi pris soin de souligner que de tels processus pouvaient certes apparaître «immoraux» à de nombreuses personnes, mais qu'il n'avait pas à s'ériger en «censeur moral». «La possible utilisation médicale d'un brevet ne peut seule justifier la délivrance d'un brevet. De tels brevets ne sont pas éthiquement justifiables» soutient pour sa part Greenpeace-Allemagne. Qui, en définitive, de la morale ou de l'industrie en marche, l'emportera ? Et quand ? W