Invitation de Jean Glavany, ministre de l'Agriculture pour une soirée parisienne sur les Grands Boulevards. Près de 3000 personnes pour assister, en avant-première, au film «Une hirondelle fait le printemps» dominé par le formidable jeu de Michel Serrault qui, avec le temps, s'installe joliment, aux marches de la folie, dans la peau du plus grand acteur vivant français. Michel Serrault campe ici pour la première fois un rôle de paysan. Il est confronté à Mathilde Seigner, Parisienne qui entend rompre avec la nouvelle économie, internet et les embouteillages automobiles et s'installe pour cela dans la splendeur du plateau du Vercors. Retour à la nature ? Air connu, dira-t-on. Quelle erreur. S'il s'agit bien d'aller élever des chèvres, cette plongée vers la solitude des montagnes n'a rien de commun avec les utopies des néo-ruraux des années qui, en France, suivirent mai 1968. Rude formation technique, soutien du ministère de l'Agriculture, usage du téléphone portable ; nous sommes en 2001 et le ministère de l'Agriculture aide à la recherche de la ferme et du troupeau de chèvres
La jeune femme devra aussi amadouer le propriétaire de la ferme Michel Serrault vieil agriculteur taciturne qui n'a fait ni le deuil de sa femme et ni celui de ses vaches, abattues pour cause de vache folle.Il faut voir les images de l'abattage du troupeau pour saisir la portée symbolique de ce que cette affaire a pu déclencher dans l'opinion, le traumatisme infligé à notre inconscient collectif, la douleur qui, de l'éleveur concerné au consommateur de viande, nous taraude. Jusqu'à Michel Houellebecq, jadis pestiféré, aujourd'hui artiste officiel qui, dans son dernier roman («Plateforme» chez Flammarion), écrit : «La crise de la vache folle m'intéressait peu, je me nourrissais essentiellement de Mousline au fromage». Mais pour revenir à Michel Serrault, 73 ans, c'est sans doute bien parce que le film traitait pour partie de la vache folle que M. Glavany nous avait invité. «Je n'avais jamais joué de rôle de paysan, mais il n'y en a pas tellement» explique l'acteur qui reçut à cette occasion la distinction de chevalier dans l'ordre du mérite agricole, un honneur également connu sous le nom de «Poireau».Pourquoi une telle distinction à un homme qui se définit comme un «enfant des boulevards extérieurs.» «J'ai connu les moissons quand j'étais gosse en colonies de vacances, pendant la guerre, il n'y avait rien à bouffer, on envoyait les enfants à la campagne, confie-t-il. Puis j'ai eu une ferme et un paysan qui travaillait pour moi dans le Perche pendant quinze ans.» «Je connais un peu cela, c'est pour cela que cela m'a amusé.» On aimerait pourtant aller plus loin. Dites-nous Michel Serrault comment vous voyez ces campagnes où persistent à roder les prions pathologiques dans des cheptels que nous ne regarderons plus jamais de la même manière. Quelles réflexions suscitent, chez l'acteur que vous êtes, cette nouvelle maladie animale et sa forme humaine ? Avez-vous, du fait de votre sensibilité particulière sinon pathologique une autre perception des problèmes auxquels nous sommes confrontés ? Avez-vous, comme tant d'autres, changé vos habitudes alimentaires ? Répondez-nous d'urgence Monsieur Serrault !Quelques jours avant cette douce soirée parisienne, un éleveur d'Indre-et-Loire vivait douloureusement ce que Serrault mimait avec jubilation : la découverte d'un cas de vache folle dans son troupeau ; événement de relative importance dans la mesure où ce département était officiellement indemne d'ESB. La Nouvelle République du Centre-Ouest, le quotidien régional, traite de l'affaire dans le détail qui explique que l'éleveur concerné est venu devant la presse expliquer qu'il n'avait «rien à se reprocher.» Nous reviendrons sur ce dossier mais comment ne pas observer que quelques jours avant la découverte de ce cas nous nous interrogions sur les raisons pouvant expliquer que les bovins ruminant dans la douce Touraine demeuraient vierges de vache folle alors que l'Anjou paye un tribut non négligeable au fléau.«En toute hypothèse, nous devons nous garder de faire de la démagogie dans ce domaine hautement sensible étant entendu que les pouvoirs publics ont depuis plusieurs années, en liaison avec les professionnels, cherché à tout mettre en uvre pour protéger les consommateurs, nous déclarait alors Philippe Roulière, l'un des meilleurs et des plus célèbres bouchers du département dont nous avons déjà vanté dans ces colonnes les mérites et les vertus. En écho, lui répondait le Pr Marc Savey de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'un des meilleurs experts français de la maladie de la vache folle : «Nous sommes, en l'état actuel de nos connaissances, incapables de fournir des prévisions sérieuses. Il nous faut d'autre part nous garder de faire de grandes différences entre les départements français déclarés indemnes et les autres. Nous sommes ici, notamment dans la région Centre, dans la loi des petits nombres. Rappelons simplement que vingt départements français concentrent près de 90% des cas.»Voilà certes qui est bien dit, Pr Savey. Il n'empêche que notre Touraine est désormais officiellement infectée, que l'on parle dorénavant de vache folle sur les écrans de nos nuits blanches et que les écrivains, grisés par la mode qu'ils suscitent, citent le sujet sans doute pour faire, comme l'on dit depuis quelque temps en France, «tendance». Une hirondelle, jadis, ne pouvait faire le printemps. Nos vaches folles présentes et à venir feront-elles nos hivers ? W