Au siècle dernier déjà, il a été reconnu que le milieu hospitalier n'était pas suffisant pour la formation du médecin praticien et qu'un supplément en médecine ambulatoire était nécessaire. Ce mandat de formation, avec la recherche en médecine de premier recours, est le domaine des policliniques médicales universitaires. En traçant l'histoire de celles-ci, l'auteur conclut qu'elles ne doivent pas s'isoler des médecins praticiens, mais collaborer avec eux afin de rendre l'enseignement et la recherche plus pertinents.
Les motifs qui ont mené à la fondation des policliniques médicales au siècle passé dans plusieurs villes ont très probablement été de nature socio-médicale. L'assistance médicale a été remplacée par une institution dans laquelle des médecins qualifiés faisaient des consultations régulières et également des visites à domicile.
Au siècle dernier déjà, il a été reconnu à quel point la clientèle d'une telle policlinique était valable pour la formation prégraduée et postgraduée de jeunes médecins. En 1833 déjà, la Faculté de médecine de Zurich écrivait au gouvernement : «Es ist allgemein anerkannt, dass, um den künftigen Arzt zu seinem Berufe vorzubereiten, die Hospitalklinik nicht genüge. Theils kommen hier überhaupt manche Krankheiten und Kränklichkeiten selten oder gar nicht vor, theils mangeln hier gänzlich die Verhältnisse des häuslichen Lebens, welche oftmals dem Arzte in der Privatpraxis so vielfältige Schwierigkeiten entgegen setzen, und mit welchen der Studirende doch Gelegenheit haben, und welche möglichst zu überwinden oder zu vermeiden er Anleitung erhalten soll».Ce jugement de la problématique de l'enseignement clinique n'a pas besoin d'être changé d'un iota. Mandat de prise en charge et mandat d'enseignement ont été la base du travail des policliniques. Les observations, résultats d'examens et trouvailles si riches ont été les bases naturelles de la recherche scientifique ; ainsi un mandat de recherche était pratiquement sous-entendu. Les policliniques médicales suisses ont poursuivi ce triple mandat pendant plusieurs décennies avec succès, d'une façon indispensable et à un niveau élevé.
En 1994, les cinq directeurs des policliniques médicales universitaires d'antan ont analysé le changement des systèmes de santé et ont publié une prise de position commune.1 Ils y constatent que le mandat de prestations est en train de changer rapidement et que ce sont les policliniques qui ont évolué d'institut de prestations médicales pour une population pauvre en «centres d'excellence». Verbalement, ils écrivent :
«Les policliniques médicales universitaires (PMU) devraient représenter à l'Université les médecins internistes installés et les généralistes s'occupant des soins de base (primary care) et jouer ainsi un rôle de «leadership académique» dans ce domaine.
Les PMU devraient être des centres de recherche dans le domaine de la médecine de base.
Les PMU devraient être des centres d'excellence particulièrement dans l'enseignement de la médecine de base.
Les PMU devraient créer ou renforcer des liens avec des médecins installés et les institutionaliser («Interface»).
Les PMU devraient conserver leur rôle important dans la prise en charge des sujets défavorisés tels que migrants, patients atteints du VIH, toxico-dépendants, alcooliques, sans-abri, etc.».
Cette prise de position commune, avec la prétention au «leadership académique» n'est pas restée sans contestation. Le «leadership» des policliniciens a été contesté dans le sens d'une critique constructive : davantage de partenariat a été demandé :2 «Es darf aber nicht das Anliegen einer Institution oder Instanz sein, eine Führungsrolle zu beanspruchen. Die Aufgaben sind so komplex und vielfältig, dass sie nur partnerschaftlich gelöst werden können. Die Medizinischen Universitätspolikliniken möchten wir als Partner der «Interfaces» verstehen».
Au cours de la même année 1994, ce partenariat fut effectivement institutionnalisé : le Collège de médecine de premier recours fut fondé et les facultés de médecine déléguèrent les directeurs des policliniques à son Conseil de fondation. Entre-temps, cette organisation est devenue opérationnelle et elle est effectivement en position d'aborder des tâches et problèmes communs des praticiens en médecine de premier recours de telle façon que des duplicités dans le cadre des sociétés partenaires ont pu être évitées. Ainsi, ce partenariat désiré entre policliniques et praticiens pour la recherche et l'enseignement peut ainsi maintenant être concrétisé et intensifié.
Le système de santé actuel est caractérisé par des changements rapides, la perte d'orientation, le transfert dans le domaine ambulatoire, des possibilités médico-techniques devenues économiquement incontrôlables et des efforts de trouver des chemins pour sortir de cette broussaille avec des modèles et méthodes plus ou moins neufs tels que Evidence-based medicine, decisional analysis, disease managementet autres anglicismes. Le danger est cependant trop grand que chaque secteur, chaque groupe, chaque institution ne voie que ses propres intérêts et problèmes et que la mise en réseau si souvent désirée reste un vu pieux. Dans cette situation, on a besoin d'institutions qui essayent au moins de jouer le rôle d'interface aussi rationnellement que possible. Il y a une place centrale à occuper aux interfaces entre la médecine ambulatoire et stationnaire, entre la médecine de premier recours et la médecine spécialisée, entre recherche et pratique, entre science et empirisme. C'est là que s'imposent tout naturellement les policliniques médicales, et ceci avec les spécialités de la médecine de premier recours et leur instrument opérationnel, le Collège de médecine de premier recours ! Un petit doute subsiste si des institutions si vénérables telles que les policliniques peuvent véritablement mobiliser la volonté, la force et la flexibilité pour répondre à une fonction si complexe. La volonté de «leadership» ne suffit pas. L'idée d'être un centre d'excellence grandiose évidemment non plus. Le véritable but ne peut être qu'un partenariat réel menant à une «excellence élargie». Une vision ou une illusion ?
Quels sont maintenant concrètement les forces des policliniques vues sous l'angle de la société des internistes ? Leur
chance unique se situe dans la position entre hôpital et pratique, entre prise en charge stationnaire et ambulatoire et entre recherche et médecine pratique. La médecine interne générale moderne est la base professionnelle de leur activité une médecine interne dont le but est de trouver les méthodes optimales et adaptées pour le diagnostic, le traitement et les activités accompagnantes pour les patientes et patients, de les expliquer et de les réaliser. Bien entendu, le spectre de compétences doit s'élargir dans les domaines voisins de la médecine interne et aussi répondre à la mission communautaire. Etant donné que pratiquement toutes les investigations approfondies et les traitements sont offerts ailleurs et d'une qualité identique, l'attractivité des policliniques doit se situer sur un autre plan en tant que centre de référence, voire de permanence.
Il s'ensuit un certain nombre de desiderata fondamentaux qui, selon les policliniques, ont été plus ou moins ou alors pas du tout réalisés.
I Les policliniques doivent être des centres de compétence. Il s'agit cependant moins de méthodes spécialisées que d'un «disease management» optimal de la communication et de la prise en charge raisonnable et intégrative de patients chroniques en médecine ambulatoire.
I Les policliniques doivent rester ouvertes pour la ville. Ceci déjà pour la raison qu'elles ne pourront plus atteindre le nombre de patients dont elles ont besoin pour remplir leur mandat. L'accès direct pour les patients sans rendez-vous aux urgences doit être garanti.
I Les policliniques pourraient être des «laboratoires» pour de nouvelles méthodes et modèles de la prise en charge de patients et de l'évolution de la qualité avant que ceux-ci soient déclarés «evidence-based» à l'usage général. Ces «techniciens de laboratoire» ne doivent cependant pas rester isolés en tant que médecins des policliniques, mais intégrer les internistes et généralistes du dehors. Par ce moyen, la pertinence pour le cabinet et l'approbation des résultats seront assurées.
I Les policliniques doivent se sentir engagées dans les formations prégraduée et postgraduée de la médecine ambulatoire. Ces formations s'adressent aussi bien aux futurs internistes qu'aux futurs généralistes, dont la formation est également en très grande partie basée sur une médecine interne moderne avec ses domaines annexes. Etant donné que les policliniques ne peuvent jamais complètement refléter la façon de travailler du cabinet, ni ses limites voire son implantation dans la communauté, elles doivent s'engager pour une rotation de leurs assistanats au cabinet et doivent collaborer avec des cabinets adaptés dans leur entourage.
I Les policliniques doivent faire le pont sur le fossé qui existe encore entre les médecins qui pratiquent intra-muros et extra-muros de l'institution hospitalière. Ceci ne doit pas être fait par une approche paternaliste («revenez de temps en temps dans l'Alma Mater et on vous montre comment il faut faire !»), mais par un partenariat où chacun bénéficie des forces de l'autre. Un des buts pourrait être de créer un groupement plus large de collaborateurs anciens et d'autres médecins compétents et intéressés qui participeraient en rotation à la prise en charge de patients, à l'enseignement et à la recherche.
I Les policliniques doivent participer aux possibilités sans limites de la recherche dans le domaine de la médecine de premier recours et former un point de cristallisation scientifique, toutefois sans utiliser les praticiens que pour des fournisseurs ou collectionneurs de données. Les policliniques et les praticiens ne doivent pas seulement collaborer au moment où les questions de recherche sont posées et les protocoles élaborés, mais aussi pour l'analyse des résultats et les conclusions. Les policliniques pourraient être une sorte de «patrie» pour la science de la médecine de premier recours, mais pas se considérer comme «patrimoine» unique.
I L'offre de la formation continue est devenue immense. Malgré ceci, les policliniques, en collaboration avec les praticiens, ont une chance particulière d'offrir une formation continue orientée sur la pratique et fondée sur les bases scientifiques de la médecine de premier recours, comme ce n'est guère possible par d'autres institutions.
Comment financer tout cela ? Je suis reconnaissant que cette question ne me soit pas posée dans cet article cependant il est évident qu'il faut trouver d'autres modèles de financement et d'autres solutions pour, par exemple, la formation postgraduée. On peut ajouter d'une façon générale que des institutions florissantes avec une large renommée et des projets attractifs trouvent plus facilement des ressources financières que ceux dont la raison d'être est mise en doute de l'intérieur et de l'extérieur.
La Société suisse de médecine interne et le Collège de médecine de premier recours félicitent la Policlinique de médecine de Genève pour ses 125 ans d'existence et se réjouissent de sa dynamique dans un environnement qui change rapidement et de sa compétence qui englobe déjà une grande partie des aspects développés plus haut.