ça y est, les premiers jours d'automne arrivent. Et du coup, rebelote : le choc de l'annonce anticipée des nouvelles primes, les assureurs-maladie qui organisent leur conférence de presse pour se blanchir (ce sera le 1er octobre), les politiciens qui dévoilent leurs remèdes dans une jolie pagaille. Bref, l'habituel psychodrame. En plus, ça leur plaît, aux médias, ce genre d'agitation ritualisée. Rien de tel pour vendre du papier. L'ennui est que ça pourrait mal tourner, une année ou l'autre. Imaginez que le politique perde la maîtrise de l'évolution tranquille de la crise du système de santé. Imaginez que les gens descendent dans la rue, ou refusent massivement de payer leurs primes (pourquoi pas ?). On pourrait se retrouver, suivant qui serait le plus habile à récupérer politiquement la révolte, soit avec quelque chose du genre initiative Minimax de l'UDC, autrement dit un catalogue des prestations remboursées réduit à sa portion congrue, (et un secteur privé florissant, ce qui contenterait, entre autres, pas mal d'assureurs), soit avec un système 100% étatisé (étouffant, inefficace et cher, comme le sont ceux des pays qui ont essayé).Nous aurions tort de banaliser la situation. Devant l'augmentation continue des primes, la population a «un sentiment d'impuissance, d'inquiétude, d'incompréhension et même de colère», expliquait il y a peu Marianne Meyer, nouvelle secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs....Cette année, en plus, est celle de tous les risques. L'annonce d'une forte augmentation des primes se fait dans un contexte d'immense incertitude économique. Bourses mondiales en quasi krach, vagues de licenciements, menaces de récession : impossible de prévoir jusqu'où iront les conséquences de la «longue guerre» que les Etats-Unis lancent contre le terrorisme. Même les investisseurs disent se trouver face à une crise sans aucun précédent, au futur illisible. Comment, dans ce soudain désordre ambiant, les ménages réagiront-ils à une augmentation allant jusqu'à 10% de leurs primes ? Du côté politique, l'une des réactions probables, c'est une reprise en main autoritaire des dépenses publiques, y compris des assurances obligatoires. En médecine, au nom de l'urgence de la crise, les caisses-maladie pourraient se voir donner carte blanche pour maîtriser les coûts....Quoi qu'on fasse, la médecine coûte toujours davantage. Les nouvelles technologies et le vieillissement de la population n'expliquent pas tout. Drôle de situation, en réalité. Personne ne comprend vraiment ce qui se passe. Les plus idéologues ont des explications toutes faites (l'asymétrie de l'information, l'offre qui crée la demande, tout est là, pas besoin de chercher ailleurs). Les plus honnêtes font preuve d'humilité. Ainsi, le Pr François Ferrero, lors d'un exposé à Mauvoisin, la semaine dernière, montrait qu'après un long plateau, les hospitalisations en psychiatrie ont, ces dernières années, étonnamment progressé, à Genève. Pourquoi ? Lui avoue ne pas savoir. Aucune hypothèse ne se vérifie. Cette progression est-elle couplée à l'offre de soins ? Eh bien non : le nombre de lits et le personnel n'ont cessé de diminuer. On a aussi pensé, à un moment, que la courbe de cette progression suivait celle du chômage. Fausse piste, ici encore : le chômage a décru sans influencer les hospitalisations psy. On peut aussi affirmer : il y a psychiatrisation des problèmes de société, les gens veulent être pris en charge à la moindre contrariété. Mais est-ce si simple ? Ce n'est en tout cas pas prouvé. On peut enfin dire : en dépensant l'argent des hospitalisations dans la prévention et le champ social, les résultats seraient meilleurs. Mais qu'en sait-on ? Et comment s'y prendre ?...Lors d'une autre réunion («La santé dans tous ses états», au Comptoir suisse), le Pr Gianfranco Domenighetti sortait ses chiffres et ses théories, épatant la galerie avec son habituelle manière de magicien malicieux. Les petits cantons suisses-allemands, disait-il, ont deux à trois fois moins de médecins que Genève et Vaud par exemple, et dépensent moitié moins pour leur santé. Pourtant leurs habitants ne meurent pas davantage de maladies curables et surtout se disent satisfaits des soins qu'on leur donne dans la même mesure que les Vaudois ou Genevois. Sous-entendu : hors la Suisse primitive et quelques cantons petits et raisonnables, l'argent de la médecine est gaspillé. Que répondre ? Toujours les mêmes choses : nous ne disposons pour le moment d'aucun moyen pour mesurer et donc comparer la qualité de la médecine. Seuls quelques objectifs sont évalués. Mais nul ne peut affirmer qu'avec ses primes moitié moins élevées l'Uranais est aussi bien soigné que le Bâlois. Même la satisfaction d'une population ne signifie pas grand chose. Un paysan nidwaldien peut se dire ravi de sa santé malgré une phobie sociale et une arthrose de hanche non traitées, alors que ces pathologies sembleraient scandaleuses à un Genevois moyen, dont l'échelle de contentement est beaucoup plus élevée. Peut-on exiger qu'il voie le monde comme un Nidwaldien ?Les grandes villes sont des endroits particuliers de civilisation, à la fois créatifs, vivants, riches, et en même temps fragiles, violents, déstabilisants. Le «souci de soi», le rapport au corps et au sentiment de bien-être y sont différents. On y souffre davantage de solitude et de dépendance, les inégalités y sont plus profondes qu'ailleurs. Tout cela, nous pouvons le regretter mais non l'abolir d'un coup de baguette magique. Il n'y a rien d'absolu, dans l'évaluation du rôle d'un système de santé. Que du relatif, du discutable, du culturel....Le culturel, ce n'est pas le fort des économistes. Au cours du même colloque, Martin Bernhardt critiquait les recettes que propose Bilan de septembre pour réduire les coûts de la santé. Il faut dire que le magazine ne fait vraiment pas dans la dentelle. Titre du dossier : «Santé : moins 30%. Les remèdes pour économiser tout de suite 12 milliards». En résumé, y a qu'à : y a qu'à lancer des HMO, imposer des cartes de santé, réduire les lits hospitaliers, instaurer une comptabilité analytique et vendre les médicaments moins cher. Des chiffres mirobolants sont avancés, mais jamais justifiés. Pas un mot sur les besoins de la population. Quelle santé ? Quelle solidarité ? Quelle liberté ? C'est pourtant de cela que doit découler la réflexion sur les outils de maîtrise....Quelle époque troublée nous vivons. Bientôt Tarmed sera en place. Mais même son instigateur, H.-H. Brunner, sombre dans le pessimisme. «Le Tarmed et le remaniement du Tarmed, dit-il dans Bilan (p. 61), ne sont que les étapes d'une marche sans fin qui mènera bientôt aux domaines suivants : forfaits, rentabilité, rationnement, qualité des fournisseurs de prestation autorisés à établir des factures, etc.». Mauvaise traduction ? Nouvelle façon qu'a la FMH de voir les choses ? Tarmed comme point de départ d'un toboggan vers la nuit de la médecine