Si personne n'oserait plus aujourd'hui soutenir qu'elle a une fonction rédemptrice, la douleur et tout particulièrement la douleur postopératoire demeure bien souvent encore insuffisamment prise en charge en France comme dans de nombreux autres pays. Cette situation est d'autant plus difficile à comprendre que des progrès notables ont été réalisés dans la compréhension de ses mécanismes et l'amélioration des techniques antalgiques. Tel est le constat dressé par un rapport de l'«Alliance pour les technologies médicales» que vient de rendre public l'Académie française de chirurgie. Cette «alliance» regroupe des représentants des industries des technologies médicales (Syndicat national des industries des technologies médicales, European Confederation of Medical Devices Associations et Advanced Medical Technology Association) et associe à ses actions des professionnels de la santé et des patients «conscients de la valeur médicale de ces technologies et des enjeux de santé qu'elles représentent».Le paradoxe veut que si la douleur demeure encore trop souvent en souffrance, la plupart des outils et des médicaments qui permettraient de la soulager sont maintenant à la disposition des médecins : pompes analgésiques contrôlées par le patient et diffuseurs portables notamment. «Un des produits de référence découvert il y a près de 200 ans ! la morphine, continue à sentir le soufre, soulignent les auteurs du rapport. Il n'est pas rare d'entendre encore des médecins ou des infirmières justifier la faiblesse de la prescription en mettant en avant des risques d'accoutumance ou de dépendance, alors que toutes les études scientifiques démontrent au contraire la quasi-inexistence de ce danger». Si les études sur les moyens de mieux prendre en charge la douleur et les nouvelles techniques foisonnent, celles qui visent à évaluer la réalité française sont rares. Aucun recensement officiel du nombre de pompes analgésiques en circulation, ni de leur utilisation, en particulier pour la douleur postopératoire.«Les pays voisins de la France ne semblent guère mieux lotis en matière de prise en charge de la douleur, selon une étude suédoise menée dans cent cinq centres hospitaliers de dix-sept pays d'Europe et publiée en 1998 dans l'European Journal of Anaesthesiology, peut-on lire dans le rapport. Cinquante-cinq pour cent des anesthésistes se déclaraient «peu» ou «pas» satisfaits du tout de la prise en charge de la douleur dans les services de chirurgie. Elle était, en revanche, meilleure en salles de réveil, toutefois 27% des établissements interrogés ne disposaient pas de ce genre de salles, et 64% des hôpitaux n'avaient pas non plus de services strictement dédiés à la prise en charge de la douleur aiguë. Faute de moyens, de nombreux anesthésistes ne peuvent avoir recours aux pompes analgésiques autocontrôlées. C'était notamment le cas en Irlande, en Finlande, en Allemagne, en Grèce, en Suède et au Royaume-Uni. Seulement 40% des établissements interrogés utilisaient des échelles d'évaluation de la douleur». Si les opiacés sont disponibles dans la plupart des pays pour le traitement de la douleur postopératoire, 25% des médecins considèrent que la loi concernant la prescription et l'administration d'antalgiques majeurs est trop contraignante. En Autriche, Allemagne, Grèce, Italie, Espagne, plus de 40% des anesthésistes sont insatisfaits ou très critiques vis-à-vis des réglementations qui régissent ces prescriptions. «Ce taux atteint 67% en Grèce et en Espagne. Dans certains hôpitaux du Royaume-Uni et de Suisse, les anesthésistes sont seulement en charge du traitement de la douleur postopératoire dans les 24 heures qui suivent l'intervention. Au-delà, ils n'ont qu'un rôle de conseil'».Pour le Dr François Boureau (hôpital Saint-Antoine, Paris), plusieurs facteurs peuvent être avancés pour expliquer l'insuffisance de la prise en charge médicale de la douleur. «La douleur est un phénomène banal d'une grande fréquence et, de ce fait, les médecins risquent d'amalgamer sans nuance les douleurs épisodiques, transitoires, banales et les douleurs rebelles ou chroniques qui évoluent depuis des mois, voire des années, explique le Dr Boureau. Un autre élément est la dilution des responsabilités. Comme la prise en charge de la souffrance incombe à chaque médecin, elle risque fort d'être reléguée hors des préoccupations centrales de chacun». Phénomène subjectif auquel le médecin est souvent mal formé ou pas formé du tout la douleur est «toujours la conséquence d'une cause». Cette donnée, estime le Dr Boureau, «entretient l'idée qu'il suffit de traiter la cause pour agir valablement sur la douleur et disqualifie de fait toute mesure susceptible de n'apparaître que symptomatique ou palliative». Il faut ajouter le manque de confiance de nombreux soignants quant à l'utilisation des morphiniques et la hantise de masquer un diagnostic.Il faut savoir que les analgésiques puissants comme les morphiniques n'induisent pas de dépendance. L'incidence des effets indésirables graves est mal documentée et impose certes une surveillance plus contraignante mais la morphine reste le produit de référence pour l'analgésie postopératoire chez l'adulte et en pédiatrie. Les effets indésirables des morphiniques sont pour la plupart dépendants de la dose mais pas de la voie d'administration. Le plus grave est la dépression respiratoire, favorisée par l'association à un autre traitement sédatif ou à un terrain particulier (sujet âgé, insuffisance respiratoire, enfant de moins de cinq mois). Il faut aussi compter avec de possibles nausées, vomissements, ralentissement du transit et rétention urinaire.