Leurs propriétés pharmacologiques confèrent aux benzodiazépines une efficacité indéniable et une faible toxicité/létalité, mais s'accompagnent d'effets secondaires non négligeables. Les personnes âgées sont parmi les plus exposées aux effets secondaires des benzodiazépines : augmentation des risques de chutes et de fractures de hanches, péjoration des fonctions cognitives, survenue d'un état confusionnel. La prescription des benzodiazépines doit donc être prudente chez la personne âgée, et la question du sevrage d'une consommation chronique doit être posée, en particulier en cas d'effet secondaire avéré.
La prévalence élevée des troubles anxieux et des troubles du sommeil fait des agents anxiolytiques et hypnotiques des médicaments parmi les plus fréquemment prescrits et consommés. Ces psychotropes appartiennent pour la plupart à la classe des benzodiazépines, au sein de laquelle on classe habituellement les molécules selon leur profil d'action clinique prédominant (anxiolytique ou hypnotique) et leurs propriétés pharmacocinétiques ; on distingue ainsi des substances d'action prolongée (demi-vie plasmatique > 24 heures : chlordiazépoxide (Librium®), clonazépam (Rivotril®), clorazépate (Tranxilium®), diazépam (Valium®), etc.), des substances d'action moyenne (demi-vie plasmatique de 5 à 24 heures : alprazolam (Xanax®), bromazépam (Lexotanil®), oxazépam (Anxiolit®-Seresta®), etc.), des substances d'action brève (demi-vie plasmatique ®), triazolam (Halcion®), brotizolam (Lendormine®), etc.). Leurs propriétés pharmacologiques confèrent aux benzodiazépines une efficacité indéniable et une faible toxicité/létalité, mais s'accompagnent d'effets secondaires non négligeables. L'arrêt brutal de leur consommation est en outre à l'origine d'un syndrome de sevrage signant l'existence d'un risque d'authentique état de dépendance qui augmente la difficulté à en interrompre la prise et par là même, accroît le risque d'une consommation chronique. Les benzodiazépines peuvent en outre être consommées en excès dans le cadre de pathologies addictives, elles sont alors souvent associées à une consommation d'autres substances psychoactives comme l'alcool ou d'autres psychotropes. Les personnes âgées n'échappent pas à cette consommation fréquente et/ou chronique de benzodiazépines. Les effets secondaires, les conséquences d'une consommation prolongée et/ou excessive, la pharmacodépendance, peuvent avoir pourtant des conséquences majeures sur l'état de santé des personnes âgées. La prescription des benzodiazépines doit donc répondre, dans ce contexte, à quelques principes particuliers, et la question du sevrage d'une consommation chronique doit être posée, même s'il s'avère souvent difficile à mettre en oeuvre.
La prévalence de la consommation des benzodiazépines dans la population générale âgée est estimée de 9%1 à près de 25%.2 La proportion de substances à action prolongée peut atteindre près de 50%, la consommation est associée à la présence d'une comorbidité anxieuse ou dépressive, à la prise d'un ou de plusieurs autres psychotropes dans près de 20% des cas.3 La durée de consommation semble augmenter avec l'âge, la prise d'une substance à demi-vie prolongée, une prescription initiale par un psychiatre et comprenant un nombre plus élevé de prises journalières.4 Près de 17% des prescriptions se révèlent inappropriées, en considérant comme telles les prescriptions de plus de deux mois à des «doses équivalent diazépam» supérieures à 20 mg par jour.5
La prescription à l'hôpital général est également élevée, probablement plus en rapport avec le niveau de symptomatologie anxieuse et dépressive qu'avec l'état de santé,6 plus fréquente chez les patients de plus de 65 ans, en service de chirurgie, avec des durées moyennes de séjour prolongées.7 Un travail réalisé en 1996 aux urgences du CHUV à Lausanne a montré que parmi les patients de plus de 75 ans admis aux urgences, près de 45% d'entre eux remplissaient les critères d'une consommation chronique (telle que définie par la prise d'une benzodiazépine au moins trois fois par semaine pendant au moins quatre semaines précédent l'admission).8
La consommation de benzodiazépines est également élevée en institution, plusieurs enquêtes relevant des taux de 15 à 30% de résidents consommateurs. Il convient de noter que cette prise de benzodiazépines est prolongée (près d'un an de durée moyenne dans l'étude danoise de Sorensen) et associée à la présence d'une pathologie dépressive.9
Il est communément admis que les benzodiazépines ont un spectre élargi d'effets cliniques par leur action anxiolytique, hypnotique, anti-épileptique, myorelaxante, amnésiante, dont les proportions varient d'une spécialité à une autre. Les effets secondaires chez le sujet âgé ne sont que la conséquence de ces effets pharmacologiques principaux. Ainsi une somnolence diurne peut compliquer la prise de benzodiazépines. La responsabilité d'une consommation de substance à action prolongée a en outre été évoquée dans l'augmentation du risque de survenue d'accidents de la voie publique (accident de voiture).10 Les conséquences en terme d'altération de la vigilance font également des benzodiazépines l'un des facteurs précipitants les plus fréquemment impliqués dans l'apparition d'un épisode confusionnel (delirium), les risques semblant plus élevés avec des substances à action prolongée et des doses élevées.11
Dans une population de sujets âgés de plus de 55 ans, les consommateurs chroniques de benzodiazépines se sont révélés avoir une diminution significative des performances aux épreuves de mémoire à court terme et de rappel différé, comparativement à des sujets contrôles et des sujets alcoolo-dépendants, et la récupération des fonctions cognitives semble plus aléatoire chez les patients les plus âgés.12
L'effet d'une consommation chronique de benzodiazépines sur le status fonctionnel ne semble pas différent de celui d'autres conditions médicales morbides (telles que la présence de troubles cognitifs, les antécédents d'accidents cérébraux, la présence d'une maladie de Parkinson, etc.).13 De fait, l'étude réalisée aux urgences du CHUV ne montre pas d'altération significative du status fonctionnel chez les consommateurs chroniques (versus les non-consommateurs), elle met toutefois en évidence une association significative de la consommation chronique avec une fréquence plus élevée de chutes.8 L'un des fait les mieux établis est d'ailleurs celui d'une forte association entre consommation de benzodiazépines et risque de fracture du col du fémur. Il semble que le risque soit plus élevé avec les hypnotiques,14 dans les premières semaines de prescription,15 et en cas d'association de plusieurs benzodiazépines.16
Le syndrome de sevrage aux benzodiazépines survient lors d'une interruption brutale, plus précocement et intensément en cas de substance à action brève. Elle prend la forme d'une anxiété, d'une insomnie, d'une agitation, de douleurs gastro-intestinales, tableau en fait similaire à la symptomatologie anxieuse pour laquelle la prescription a été instaurée. C'est donc la présence du «syndrome psychosensoriel» qui signe la présence du syndrome de sevrage, associant symptômes de dépersonnalisation et/ou de déréalisation, à des anomalies perceptives, une hyper-vigilance, des crises convulsives. Cette phase est suivie par une phase de rechute, réapparition de la symptomatologie anxieuse, puis d'une phase de rebond, majoration du tableau anxieux initial.17Chez le sujet âgé, la présence du «syndrome psychosensoriel» est particulièrement difficile à distinguer d'un authentique état confusionnel aigu, dont il présente un grand nombre de caractéristiques cliniques, ce qui fait dire que c'est autant la prise des benzodiazépines que leur arrêt brutal qui se révèlent être un facteur précipitant la survenue d'un épisode confusionnel chez la personne âgée.
Les principales indications des benzodiazépines reposent sur leurs propriétés pharmacologiques. Du fait de leur effet anti-épileptique, le diazépam (Valium®) et le clonazépam (Rivotril®) sont largement utilisés dans le traitement des crises convulsives. Il s'agit alors de prescriptions isolées, limitées dans le temps, sans contre-indication majeure chez la personne âgée.
Les troubles du sommeil constituent l'une des grandes indications de la prise de benzodiazépines. Les insomnies aiguës (®), brotizolam
(Lendormine®), préférées chez la personne âgée aux substances à action prolongée (flurazépam (Dalmadorm®), lormetazépam (Noctamid®), estazolam (Nuctalon®), etc.) ou à d'autres substances à actions brèves comme le triazolam (Halcion®) ou le flunitrazépam (Rohypnol®), souvent mal tolérés du fait de leur fort potentiel amnésiant et d'altération de la vigilance à l'origine de syndromes confusionnels. Rappelons néanmoins que des alternatives existent à la prescription de benzodiazépines dans les troubles du sommeil, en particulier par le recours aux substances de la famille des imidazopyridines (zolpidem/Stilnox®), des cyclopyrrolones (zopiclone/Imovane®), des pyrazolopyrimidines (zaléplone/Sonata®). La clométiazole (Distraneurine®) reste également largement utilisée du fait de sa grande sécurité d'emploi aux doses hypnotiques. Les antidépresseurs à profil sédatif sont également très utiles, les substances sérotoninergiques (trazodone (Trittico®), Néfazodone
(Nefadar®) sont alors préférées aux tricycliques particulièrement mal supportés chez la personne âgée du fait de leurs effets anticholinergiques et cardiovasculaires.18
Les troubles anxieux enfin, sont des indications majeures de prescription des benzodiazépines, qu'il s'agisse d'attaques de panique, d'anxiété généralisée accompagnée ou non de manifestations phobiques, réaction aiguë à un facteur de stress, trouble de l'adaptation. Bon nombre d'antidépresseurs sérotoninergiques ont néanmoins également fait preuve d'un bon rapport efficacité/tolérance dans ces indications.
En reprenant les recommandations générales proposées par Salzman,19 il convient, lorsqu'il y a une indication formelle à la prise de benzodiazépines chez la personne âgée, de respecter les principes de prescription suivants :
1. Ne prescrire qu'une benzodiazépine à la fois.
2. Préférer des substances à action brève si plusieurs prises par jour sont possibles ou en cas de traitement hynotique.
3. En cas de prescription de substance à action prolongée, se limiter à une prise par jour.
4. Proscrire toute prescription en présence d'une pathologie démentielle ou d'un état confusionnel.
5. Limiter les risques d'interactions avec d'autres substances psychoactives (alcool, autres psychotropes).
6. Utiliser des doses faibles, augmenter progressivement.
7. Limiter la durée de la prescription, en particulier lors d'une initiation du traitement en milieu hospitalier somatique.
8. Informer les patients des risques d'une consommation chronique et poser la question d'une diminution progressive en vue d'un arrêt définitif.
9. En cas de consommation chronique sans possibilité d'interruption, diminuer et limiter progressivement la dose journalière ou limiter la prise à un jour sur deux.
La question du sevrage devrait être systématiquement posée en présence d'effets secondaires certains, tels que la survenue d'un état confusionnel, une somnolence diurne, des chutes et/ou une myorelaxation, des troubles cognitifs, des troubles respiratoires, et en particulier la présence d'un syndrome d'apnée du sommeil.
La mise en uvre du sevrage peut s'avérer plus difficile et est donc plus discutable, chez des patients porteurs d'une codépendance à d'autres substances (alcool), ou porteurs de pathologies psychiatriques chroniques (troubles de la personnalité, certaines pathologies psychotiques), ou de dyskinésies tardives.
Le sevrage peut être réalisé ambulatoirement par la diminution très progressive (un quart de dose toutes les trois semaines), ou par l'usage d'une molécule relais souvent indiquée en cas de sevrage de plusieurs benzodiazépines. Le recours au clonazépam (Rivotril®) a ainsi montré de bons résultats. Des schémas de sevrage plus brefs en milieu hospitalier ont montré des résultats satisfaisants, le traitement de substitution par lormétazépam (Noctamid®) ou trazodone (Trittico®) pouvant être stoppé dès le huitième jour avec un taux de succès de 75% (à six semaines).20 Le recours au placebo, à raison d'une à plusieurs prises de placebo progressivement insérées dans les prises hebdomadaires, a également montré de bons résultats. L'information et la motivation du patient, l'implication de ses proches, sont alors un facteur déterminant du succès.21
La découverte de la classe des benzodiazépines a été un progrès majeur de la psychopharmacologie. Ces substances ont été «victimes de leur succès», du fait de leur très bonne efficacité et de leur faible toxicité/létalité. Les personnes âgées sont parmi les plus exposées à une consommation chronique et aux effets secondaires qui peuvent prendre chez elles des formes dramatiques. La démarche du clinicien est alors rendue extrêmement complexe, puisqu'il se doit, d'une part, de ne pas priver son patient âgé d'une des classes de psychotropes parmi les plus efficaces, mais d'autre part d'éviter de l'exposer aux effets secondaires et aux conséquences parfois dramatiques d'une consommation chronique.